De nouvelles recommandations de la Société Française d'Endocrinologie conduisent à réactualiser la conception et la gestion des nodules thyroïdiens. L’habituelle bénignité des nodules, étayée par l’évaluation cytologique, est mieux prise en compte. Le Pr Wémeau souligne :
« Un nodule thyroïdien est “a priori” bénin et constitue la première manifestation d’un goitre plurinodulaire qui s’affirmera au cours des ans. Ce principe de bénignité est à remettre en cause dans les cas où les données cliniques, échographiques, cytologiques ou l’évolutivité ne sont pas rassurantes. »
La démarche devant un nodule thyroïdien doit permettre d'éviter des explorations inutiles et de limiter l’intervention chirurgicale aux situations qui la nécessitent vraiment. S’il importe de diagnostiquer les 5 % de nodules malins, il faut aussi tenir compte du coût des investigations et des surveillances, de leur incidence psychologique pour les patients confrontés à une incertitude anxiogène. Le nodule thyroïdien ne représente pas une urgence diagnostique.
ÉPIDÉMIOLOGIE
-› On désigne par nodule thyroïdien toute hypertrophie localisée de la glande thyroïde (nodulus = petit nœud). Ce nodule peut être solitaire ou accompagné d’autres nodules ; on parle alors de goitre multinodulaire. Environ 4 % de la population adulte est porteuse d’un nodule palpable, et parmi eux, 10 % développeront un goitre. La prévalence des nodules est environ trois fois plus importante chez les femmes et augmente avec l’âge. Presque tous les sujets développent au fil du temps des nodules occultes uniquement détectables par l’échographie (l’étude SU.VI.MAX en a découvert par échographie chez 55 % des personnes de plus de 40 ans).
-› Les cancers de la thyroïde diagnostiqués représentent en France 1,3 % de tous les cancers. Ils sont d’un bon pronostic (0,3 % des décès par cancer en France). Leur prévalence, à l’occasion de thyroïdectomies ou d’études autopsiques, est beaucoup plus élevée. De ce fait, on estime que seulement un cancer occulte sur quinze évoluera vers un stade symptomatique. Le risque de cancer est similaire qu’il s’agisse d’un nodule isolé ou d’un goitre multinodulaire. Le sexe masculin et/ou un âge inférieur à 20 ans ou supérieur à 60 ans multiplient le risque par deux.
-› Le cancer papillaire est le plus fréquent (de l'ordre de 85 %) avec une survie supérieure à 95 % vingt ans après l’acte chirurgical (2, 5).
DÉCOUVERTE D'UN NODULE
-› Un nodule est habituellement découvert soit parce qu'il est visible, soit lors de la palpation systématique de la thyroïde. De plus en plus souvent, le généraliste est confronté à des patientes chez lesquelles le cardiologue (ou le radiologue, l'angiologue, voire le gynécologue) a balayé la thyroïde avec son échographe et a découvert un nodule thyroïdien occulte.
« Ces nodules occultes sont bénins dans leur immense majorité et le resteront sans conséquences cliniques. » Leur exploration n’est pas une urgence ; cependant, une hérédité familiale de cancer médullaire de la thyroïde (30 % de formes familiales) ou papillaire (5 %) ou certaines caractéristiques échographiques doivent inciter à la vigilance.
-› La palpation permet d'évaluer la taille du nodule, sa consistance, normale ou dure, de rechercher des adénopathies suspectes, une dysphonie. Il faut s’enquérir d’une éventuelle exposition aux radiations, d’une histoire familiale de pathologie thyroïdienne, d’une augmentation rapide du volume.
-› Certains signes cliniques peuvent orienter sur la nature d’un nodule :
- Un nodule douloureux d’apparition brutale est évocateur d’un hématocèle. Il faut alors prévoir une échographie et une ponction évacuatrice et se méfier de la récidive de saignements après la ponction de nodules solides compliqués d'hématocèle.
- Un nodule douloureux avec de la fièvre est suggestif de thyroïdite subaiguë. VS, CRP, TSH, échographie sont alors demandés.
- Aucun critère clinique n’est spécifique de cancer mais certaines caractéristiques cliniques alertent : l’association de deux critères de forte suspicion rend le risque de malignité proche de 100 % (2) (cf. encadré E1).
LA TSH EST EN PREMIÈRE INTENTION
-› Le dosage de TSH est indispensable et suffit en première intention. Il permet de détecter l’ensemble des dysfonctions thyroïdiennes :
- Une TSH élevée fait suspecter une thyroïdite auto-immune et, seulement dans ce cas, justifie la demande d'anticorps antithyroïdiens (anti-TPO).
- Une TSH basse suggère un nodule fonctionnel producteur d’hormones thyroïdiennes (5 à 10 % des nodules). L’échographie et la scintigraphie sont nécessaires mais il n’y a pas d’indication à la ponction.
- Une TSH normale, cas le plus fréquent, oriente vers un problème morphologique nécessitant avant tout une échographie.
-› Il n’est pas justifié de doser la thyroglobuline. Elle n’a pas de place dans la reconnaissance du caractère bénin ou malin d’un nodule. La thyroglobuline est indiquée essentiellement dans la surveillance des nodules cancéreux opérés.
-› Le dosage de la calcitonine est recommandé dans un contexte héréditaire de carcinome médullaire de la thyroïde ou de flushs, de diarrhées motrices ou en cas de suspicion de malignité (clinique, échographique ou cytologique) et avant une intervention chirurgicale. Un taux très élevé constitue un argument en faveur d’un cancer médullaire (3).
L’ÉCHOGRAPHIE DEMEURE L’IMAGERIE DE RÉFÉRENCE
L’échographie représente l’imagerie de référence des nodules thyroïdiens. Elle en apprécie le volume,
l’échostructure (solide, liquide ou mixte), l’échogénicité en comparaison du parenchyme environnant, les limites, les formes, la présence de calcifications et analyse leur vascularisation grâce au mode Doppler. Un nodule liquidien se traduit par une plage vide d'écho avec une paroi fine, un renforcement postérieur des échos et une absence de vaisseaux. Un nodule solide est décrit par son échostructure comparée à l'échogénicité du parenchyme adjacent (iso-, hyper- ou hypoéchogène).
-› L’échographie, en appréciant parfaitement le contenu et les contours d’un nodule, conditionne le pronostic et la prise en charge.
- Soit le nodule ne contient pas de contingent solide décelable à l’échographie, son contenu est homogène typiquement colloïdal ou avec un dépôt échogène non vascularisé au Doppler (correspondant à la sédimentation d’un hématocèle ancien), parfois avec une ponctuation brillante en queue de comète. Alors, ce nodule est sûrement bénin.
- Soit le nodule est solide en totalité ou en partie, on en apprécie bien l’échogénicité et les contours. Souvent, le nodule est hyperéchogène, homogène avec des contours nets et la présence d’un halo complet (bande hypoéchogène périnodulaire correspondant aux vaisseaux refoulés). Dans ce cas le risque de cancer est extrêmement faible (voir encadré 2). Dans les autres cas, il faut envisager une cytoponction(1).
- La présence de microcalcifications, les contours irréguliers, le caractère hypoéchogène du nodule, la vascularisation sont associés à un risque élevé de malignité. Quand ces éléments s'associent, le risque augmente de façon significative.
-› L'échographie peut détecter la présence d'autres nodules. On considère que les micronodules
(< 5 mm) peuvent être négligés. La juxtaposition de plusieurs nodules correspond à une dystrophie du corps thyroïde, soit à un goitre hétéro-multinodulaire.
-› L'échographie permet aussi de détecter des ganglions cervicaux dont l’aspect est un meilleur critère que la taille pour différencier normal et pathologique. Le ganglion est allongé, l’adénopathie est ovalaire, la vascularisation du ganglion centrale, celle de l'adénopathie diffuse, irrégulière, l'adénopathie n'est plus structurée (4).
QUELS NODULES PONCTIONNER ?
La ponction pour étude cytologique représente l’examen le plus informatif sur la nature des nodules thyroïdiens isolés. La décision de demander une cytoponction est basée sur l’existence de critères suspects.
-› Aucun signe clinique ou échographique pris isolément n’a de valeur pathognomonique, hormis le franchissement des limites de la thyroïde et/ou la présence d’adénopathies de structure identique au nodule suspect.
-› En pratique, les signes qui font recommander la cytoponction sont :
1. Quelle que soit la taille au-delà de 5 mm, dès qu’un nodule présente l’un des signes suivants :
- Une hypoéchogènicité vraie ;
- Des contours mal limités ou festonnés et/ou une absence de halo ;
- De très fines calcifications de répartition souvent hétérogènes en motte ou en « tempête de neige ».
à noter que la présence de macrocalcifications n’a pas de valeur, ni péjorative ni rassurante ;
- Une vascularisation centrale anarchique ;
- Un rapport du diamètre antéro-postérieur par rapport à la largeur supérieur à 1.
2. Une augmentation franche de la taille du nodule, › 20 % en un an, notamment si cette augmentation est discordante par rapport aux autres nodules.
3. Une taille › 3 cm. La taille du nodule n’a pas d’influence sur le risque de cancer. En revanche, si le nodule correspond à un cancer, la taille influence fortement le pronostic.
4. Une adénopathie de structure analogue au nodule.
5. Des signes cliniques particuliers : nodule dur, fixé, douloureux, une augmentation rapide, une adénopathie.
6. Des antécédents familiaux de cancer de la thyroïde, une radiothérapie dans l’enfance (1).
En cas de nodules multiples sans contexte à risque ni nodule à risque, la cytoponction est réalisée pour le nodule dominant, supérieur à 2 cm et non kystique.
-› La cytoponction, réalisée à l’aiguille fine sans aspiration et sous guidage échographique, comme son interprétation cytopathologique, nécessite des opérateurs entraînés. Deux à trois ponctions sont réalisées pour un nodule. L’examen est très peu douloureux, les complications exceptionnelles.
-› La performance de la cytoponction est excellente pour reconnaître le caractère bénin, suspect ou malin d’un nodule solide hypoéchogène, d’une taille supérieure à 10 mm ; elle est moindre pour les petits nodules du fait de l’insuffisance de matériel prélevé.
La sensibilité globale de la cytologie à l'aiguille fine est supérieure à 90 %, sa spécificité supérieure à 75 % (1). Elle est le meilleur examen pour sélectionner les patients à opérer ; elle a permis une augmentation d’environ 30 % de la détection de cancer parmi les patients opérés pour nodule thyroïdien et a limité de façon considérable le nombre d’interventions chirurgicales inutiles.
› Il faut savoir redemander une cytoponction, après 6 mois, en cas de cytoponction normale, mais avec un nodule suspect et en cas de modifications morphologiques.
› Les résultats de l'étude cytologique sont actuellement présentés dans l'un des six types de la classification de Bethesda (cf tableau 1).
QUI OPÉRER ?
Les indications ont pu être largement réduites du fait des meilleures possibilités d'évaluation des nodules. La chirurgie est indiquée en cas :
- De nodule cliniquement, échographiquement ou cytologiquement suspect ;
- De nodule volumineux responsable de symptômes locaux, et/ou de compression ;
- D'apparition secondaire de signes cliniques, échographiques ou cytologiques, suspects.
La chirurgie est toujours précédée d’un dosage de calcitonine afin de repérer un éventuel cancer médullaire dont la prise en charge thérapeutique est spécifique. L’intervention consiste le plus souvent en une thyroïdectomie totale, en cas de cancer mais aussi de dystrophie controlatérale.
Une indication chirurgicale doit être discutée avec le patient en cas de nodule solide ou mixte après deux examens cytologiques non contributifs, en cas de nodule hyperfonctionnel ou toxique (le traitement radio-isotopique est une alternative), de nodule plongeant, d’adhésion insuffisante à la surveillance proposée…
QUI ET COMMENT SURVEILLER ?
-› L’évolution des nodules bénins se fait vers la régression spontanée dans environ 30 % des cas. La majorité des nodules restent stables. Une augmentation d’au moins 15 % après 3 ans, s'observe dans 20 à 25 % des cas.
-› La transformation d’un nodule bénin en nodule malin est incertaine et rare (2).
-› La surveillance est de mise pour les nodules non suspects. Elle a pour objectif de dépister un cancer passé inaperçu ou non diagnostiqué, l’apparition d’un dysfonctionnement thyroïdien ou la survenue d’une gêne fonctionnelle. Cette surveillance associe examen clinique, échographie, dosage de TSH. Elle est programmée à 6 mois, 1 an, 18 mois puis sur un mode progressivement espacé à 2 ans, 5 ans, 10 ans en l’absence d’éléments, fonctionnellement ou morphologiquement, péjoratifs. Tout signe évolutif clinique ou échographique, c'est-à-dire une augmentation rapide et significative (plus de 20 % en un an) du nodule ou l’apparition de signes suspects justifie une nouvelle cytologie.
-› La majorité des nodules occultes découverts fortuitement, échographiquement « tranquilles », peuvent bénéficier d’une simple surveillance par la palpation occasionnelle de la loge thyroïdienne.
-› Une hormonothérapie par levothyroxine à visée frénatrice peut seulement se justifier chez les sujets jeunes (avant la cinquantaine) dans la perspective de la prévention de l'évolution vers le goitre plurinodulaire.
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