Le psoriasis a bénéficié d’une véritable révolution depuis les années 1980. D’abord dans sa compréhension physiopathologique, évoluant ainsi d’une pathologie de renouvellement épidermique à une maladie systémique immune. Et ensuite dans sa prise en charge thérapeutique, passant des goudrons en application locale aux injections sous-cutanées trimestrielles grâce aux biothérapies. Le psoriasis, qui touche environ 4 % de la population, ne doit pas être aujourd’hui considéré comme une simple maladie de la peau, mais un reflet du métabolisme interne et de l’effet négatif de l’inflammation sur d’autres organes nobles comme le système cardio-vasculaire.
RAPPELS CLINIQUES
D’un point de vue physiopathologique, il survient une cascade d’événements immunologiques partant du contact avec l’agent inducteur (virus, bactérie…) sur un terrain génétique prédisposé. De la cellule présentatrice de l’antigène aux cellules lymphocytaires TH1 et TH17, de nombreux liens (interleukines) sont sécrétés ayant pour cible les cellules de l’inflammation [1].
Le psoriasis est une dermatose érythématosquameuse touchant classiquement les zones d’extension, le cuir chevelu, la région lombaire. Mais il peut toucher toutes les zones cutanées (photos 1 et 2) : plis, paume des mains et plante de pieds, ongles. L’atteinte génitale (photo 3) concerne 15 à 20 % des patients ayant un psoriasis sévère [2]. Il existe deux pics de fréquence, vers 20 et 45 ans. Le premier est associé à des comorbidités rhumatismales ou intestinales. Le second, en plus des précédentes comorbidités, à la maladie métabolique associant surpoids, diabète, dyslipidémie et hypertension artérielle.
→ La gravité du psoriasis Elle s’apprécie selon différents scores ou index :
• BSA (body surface area) : surface cutanée atteinte (une paume de main du patient représente 1 % de surface corporelle).
• PASI (psoriasis area severity index) : index de gravité en fonction des caractéristiques des plaques et de la surface cutanée.
• DLQI (dermatology life quality index) : index d’évaluation de la qualité de vie grâce à un questionnaire standardisé.
L’origine du psoriasis n’est pas psychologique, et les patients vivent mal cette caricature. Cela finit par induire des pathologies psychiatriques, dont la dépression. Le célèbre Pr Touraine, dermatologue, disait que nous ne pouvions laisser dans le désarroi un patient atteint de psoriasis seul devant son miroir.
On détermine ainsi :
• des psoriasis légers avec un BSA < 3 % et un DLQI < 3 .
• des psoriasis modérés dont le BSA est compris entre 3 et 10 % et le DLQI entre 3 et 10.
• des psoriasis sévères avec un BSA > 10 % et un DLQI > 10.
C’est la règle des 10 qui justifie le traitement systémique.
→ Les comorbidités L’inflammation cutanée a des conséquences vasculaires. Le psoriasis est associé, surtout à partir de 40 ans, à la maladie métabolique. Par ailleurs, l’examen clinique doit rechercher des signes de rhumatisme (périphérique ou central), des signes de MICI et de dépression [3].
→ Les médicaments inducteurs ou aggravants Certains médicaments peuvent induire, faciliter ou aggraver la maladie psoriasique : les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les antipaludéens de synthèse, les bêtabloquants, le lithium, les corticoïdes par voie générale, l’amoxicilline, l’interféron gamma, les anti TNF-α (effet paradoxal ou « interferonite »).
TRAITEMENTS
Selon la gravité du psoriasis, il existe différentes possibilités thérapeutiques.
→ Les traitements topiques Pour un psoriasis léger : prescrire des topiques adaptés. Il s’agit de dermocorticoïdes et/ou analogues de la vitamine D et/ou kératolytiques et/ou émollients. De nombreuses formes galéniques sont adaptées à chaque localisation : shampoing pour le cuir chevelu, lotion pour les zones pileuses, pommade pour les zones épaisses et sèches, crème pour les zones intermédiaires et un progrès pour une galénique en aérosol délivrant une association dermocorticoïdes-cholécalciférol. La question majeure concerne l’observance du traitement.
→ Les traitements systémiques Pour un psoriasis nécessitant un traitement systémique, des recommandations françaises [4] ont été publiées.
♦ Première ligne des traitements systémiques : Différents traitements systémiques peuvent être proposés à ce stade (TAB 1).
• Le méthotrexate Utilisé à des doses anti-inflammatoires, efficaces entre 15 et 25 mg par semaine en une prise hebdomadaire, suivies 48 h après de la prise de folates (Spéciafoldine® 5 mg x 2, en prise unique 48 heures après la prise du méthotrexate). La réputation de médicament hépatotoxique a la vie dure. En fait, c’est le terrain et l’existence d’une NASH (foie stéatosique) qui rend la tolérance délicate. Le suivi se fait par des examens réguliers : recherche de cytolyse hépatique, dosage du procollagène III, d’un fibrotest ou d’un fibroscan. Le recours à la ponction biopsie hépatique doit être exceptionnelle.
• La photothérapie (UVA, UVB) Ne pas dépasser 150 séances PUVA + UVB cumulées. On considère un échec s’il y a absence de réponse ou en cas de rechute rapide. La photothérapie est contre-indiquée en cas d’antécédent de mélanome ou carcinome épidermoïde, de phototype I ou bien en cas contraintes logistiques.
• L’acitrétine La première prescription d’acitrétine doit être réalisée par un dermatologue. Le renouvellement peut être fait par le médecin traitant. Avant le traitement par acitrétine, il faut disposer d’un bilan des lipides (cholestérols et triglycérides), d’un dosage de la glycémie, d’un bilan hépatique et rénal.
Pour les femmes en âge d’avoir des enfants, le traitement par acitrétine ne peut être envisagé que sous certaines conditions de prescription et de délivrance. En effet, comme toutes les autres molécules de la famille des rétinoïdes, l’acitrétine est tératogène. Cette prescription nécessite donc le recueil d’un accord de soins ainsi que la délivrance par votre dermatologue d’un carnet-patiente complété.
Une contraception efficace est obligatoire au moins 1 mois avant le début du traitement (pilule, stérilet, implant). Un test de grossesse doit être réalisé tous les mois et 3 jours avant la prescription initiale ou le renouvellement du traitement. Par précaution, la contraception est maintenue jusqu’à 3 ans après l’arrêt du traitement. Et les tests de grossesse se poursuivront à rythme régulier pendant 3 ans après la fin du traitement.
Posologie : l’acitrétine à la dose de 10 à 25 mg tous les jours (sous forme de gélules) pour débuter. La dose d’acitrétine pourra être augmentée jusqu’à 50 mg par jour, selon la tolérance. Le traitement doit être pris au cours d’un repas ou avec du lait pour améliorer l’absorption du médicament.
En cas d’association de l’acitrétine à la photothérapie, la dose sera le plus souvent maintenue à 25 mg par jour.
Un contrôle des bilans lipidique et hépatique est effectué à 1 mois, puis à un rythme adapté à chaque patient.
• La ciclosporine à prescription initiale hospitalière et de renouvellement hospitalier tous les 6 mois [5]. La surveillance porte sur la tension artérielle et la fonction rénale nécessitant une adaptation des doses. Il existe un grand nombre d’interactions médicamenteuses, jusqu’au pamplemousse. La dose varie entre 2,5 et 5 mg/kg/jour. Les autres effets secondaires fréquents sont l’hyperplasie gingivale, l’hypertrichose, les tremblements, paresthésies, œdème du visage et les troubles gastro-intestinaux.
• L’aprémilast Traitement dont l’AMM date de deux ans, à prescription limitée à certains spécialistes. Ce n’est pas un anticorps, mais une petite molécule qui agit en intra-cellulaire. La phosphodiestérase 4 est inhibée, le taux de AMPc est augmenté et il y a augmentation des médiateurs anti-inflammatoires. Effets secondaires nombreux, pour une efficacité moyenne. On note des troubles digestifs avec diarrhée et perte de poids (jusqu’à 10 % du poids). Mais surtout, il existe un warning sur le risque de dépression.
♦ Deuxième ligne des traitements systémiques : les biothérapies
Après échec ou intolérance à au moins deux traitements systémiques classiques, d’autres médicaments doivent être envisagés (TAB 2 et 3). On distingue :
• Les protéines de fusion (« cept ») :
Étanercept et aléfacept correspondent à la fusion du domaine récepteur d’une protéine humaine avec les régions constantes d’une IgG 1 humaine.
• Les anticorps monoclonaux :
- anticorps monoclonaux chimériques « ximab » (infliximab) : cette famille d’anticorps chimériques est le résultat de la fusion de segments d’anticorps humains et murins.
- anticorps monoclonaux humanisés « zumab » (ixekizumab, certolizumab, risankizumab) : ces anticorps chimériques sont constitués de quelques acides aminés des régions variables de séquences murines.
- les anticorps monoclonaux humains « umab » (adalimumab, ustékinumab, secukinumab, brodalumab, guselkumab) : leur synthèse utilise des cellules isolées d’origine humaine.
À part l’infliximab, dont l’injection se fait par perfusion lente, les autres molécules se font par administrations injectables en ambulatoire, à un rythme variable en raison de demi-vies différentes.
La prescription initiale est hospitalière et le renouvellement se fait par les spécialistes en dermatologie, rhumatologie, gastro-entérologie ou médecine interne.
Ces molécules sont efficaces avec un objectif pour les plus récentes de PASI 90, soit 90 % d’amélioration [6 et 7]. Elles nécessitent une bonne connaissance des risques car il s’agit de traitements chroniques.
Le risque principal est infectieux, en particulier pour les voies aériennes supérieures, d’où la vérification et mise à jour des vaccinations (la grippe annuelle, le pneumocoque tous les 5 ans). Les vaccins vivants sont contre-indiqués au cours du traitement par immunomodulateurs, soit les vaccins contre la fièvre jaune, le rotavirus, la varicelle, le BCG, le vaccin buvable contre la poliomyélite, le vaccin ROR.
En cas d’infection sévère ou fébrile, le traitement est arrêté et un traitement adapté préconisé, dans toutes les situations suivantes [8] :
- infection virale de type grippe, bronchite, zona…
- infection virale active chronique (VHC, VHB).
- infection ou surinfection bactérienne non compliquée.
- infection bactérienne sévère (fièvre, bactériémie, atteinte systémique, atypies).
- suspicion de tuberculose (réactivation de tuberculose latente ou de novo) [9].
La tuberculose doit être recherchée, traitée même en cas d’infection latente selon un protocole indiqué par l’ANSM [10].
Le risque de cancer est constaté pour les cancers épidermoïdes cutanés (mais fréquemment liés à des expositions antérieures aux UV), mais pas avec les autres cancers solides ou lymphome.
Généralement, la conduite à tenir en cas d’interventions chirurgicales est de suspendre le traitement, sauf si celui-ci est indispensable.
En cas de désir de procréation, la règle est d’arrêter la biothérapie sauf pour le certolizumab car il ne passe pas la barrière placentaire. Si la mère a reçu un traitement immunosuppresseur pendant sa grossesse, le bébé sera considéré comme immunodéprimé pendant les 3 premiers mois de sa vie (attention donc aux vaccins BCG, ROR, Polio par voie buccale).
4 MESSAGES CLÉS
♦ Le psoriasis est une maladie systémique nécessitant la prise en charge des comorbidités.
♦ Le psy ne donne pas du pso, mais le pso donne du psy.
♦ Il existe des traitements dont le but est d’améliorer la qualité de vie et obtenir un blanchiment à 90 % [11].
♦ Le rôle du médecin traitant est indispensable à la sécurité du patient.
Bibliographie
1. - Gordon KB, Strober B, Lebwohl M et al. Efficacy and safety of risankizumab in moderate-to-severe plaque psoriasis (UltIMMa-1 and UltIMMa-2): results from double-bind, randomized, placebo-controlled and ustekinumab-controlled phase 3 trials. Lancet.2018;392:650-61.
2. - Larsabal M & al. Br J Dermatol, 6 sept. 2018.
3. - Kimball AB, Gieler U, Sampogna F et al. Psoriasis: is the impairment to a patient’s life cumulative? J Eur Acad Dermatol Venereol. 2010 ;24(9):989-1004.
4. - Amatore F, Villani AP, Tauber M et al. French guidelines on the use of systemic treatments for moderate-to-severe psoriasis in adults. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2019;.33(3):464-483.
5. - L Dubertret, M Perrussel, O Robiola and G Feutren. Cyclosporin in psoriasis. A long term Randomized Study on 37 Patients; Acta derm.-venereol.(stockh.) 1989,suppl.146,p136.
6. - Mrowietz U, Kragballe K, Reich K et al. Definition of treatment goals for moderate to severe psoriasis : a European consensus. Arch Dermatol Res. 2011;303:1-10.
7. - Nast A, Jacobs A, Rosumeck S et al. Methods Report: European S3-Guidelines on the systemic treatment of psoriasis vulgaris – update 2015 – EDF in cooperation with EADV and IPC. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2015;29(12):e1-22.
8. - T Pham et al, Revue rhum Nov 2008 :75 Hors série n°5.
9. - Fiches “infections bactériennes et opportunistes”, “tuberculose” et “infections virales” téléchargeables sur le site du CRI : www.cri-net.com.
10. Recommandations afssaps 2005 – Prévention et prise en charge des tuberculoses survenant sous anti-TNFα.
11. Manalo IF, Gilbert KE, Wu JJ. Time to Raise the Bar to psoriasis Area Severity Index 90 and 100. J Drugs Dermatol. 2015;14(10):1086-8.
Liens d'intérêts
L’auteur déclare avoir été invité à des congrès, et être orateur, investigateur en lien avec les laboratoires AbbVie, Novartis et Janssen.
Mise au point
Le suivi des patients immunodéprimés en soins primaires
Cas clinique
Le papillome intracanalaire
Etude et pratique
Mesure de la PA, la position du patient est importante
Recommandations
Prise en charge des pneumonies aiguës communautaires