INTRODUCTION
L’asthme se définit comme un trouble ventilatoire obstructif réversible (spontanément ou à l’aide d’un traitement), une hyperréactivité bronchique et/ou des épisodes récurrents de symptômes respiratoires comme un essoufflement, des sifflements dans la poitrine, une toux ou une sensation d’oppression thoracique (1). L’asthme allergique est la forme la plus fréquente d’asthme : le terrain allergique est retrouvé chez 70 à 80 % des adultes asthmatiques et chez 95 % des enfants atteints (2). On estime que l’asthme sévère constitue une maladie à part entière, peu fréquente et qui concernerait entre 3,6 et 13 % des asthmatiques (3, 4), à tel point que certains auteurs suggèrent qu’elle pourrait être considérée et prise en charge comme une maladie rare (5). L’asthme sévère entre dans l’ère de la médecine personnalisée, du fait de l’identification récente de sous-groupes de patients, de type allergique ou non, éosinophilique ou non.
→ Conséquences Les asthmatiques sévères auraient en moyenne cinq fois plus d’exacerbations que les asthmatiques légers à modérés et sont davantage hospitalisés pour cette raison au cours de leur vie. Près d’un patient asthmatique sévère sur deux s’est rendu aux urgences sur une période d’un an (6). Par ailleurs, plus de 28 % des patients ayant un asthme sévère estiment avoir une mauvaise qualité de vie en raison de l’asthme. 60 % déclarent que leur maladie a un impact fort sur l’activité physique et 64 % ressentent un désavantage au quotidien. 77 % des asthmatiques sévères ne peuvent plus pratiquer d’activité physique et 30,9 % d’entre eux souffrent de dépression (7). L’asthme sévère est responsable de complications parfois importantes de la corticothérapie, et a des répercussions sociales et professionnelles lourdes, ainsi qu’un coût important en termes de consommation de soins (8, 9). Les difficultés respiratoires sont permanentes, ce qui entrave la vie familiale, sociale et professionnelle, avec des arrêts de travail et des jours d’école manqués, un renoncement à l’activité physique, etc. C’est pourquoi la maladie peut être prise en charge en tant qu’affection de longue durée (ALD n° 14) et même bénéficier de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).
Son diagnostic est complexe : il ne peut être porté qu’après un suivi de six à douze mois permettant d’éliminer un certain nombre de diagnostics différentiels mais aussi de s’assurer que les causes les plus fréquentes de mauvais contrôle de l’asthme sont maîtrisées (10). En partenariat avec le médecin généraliste, l’asthme sévère requiert une expertise pneumologique pour son diagnostic mais également pour sa prise en charge thérapeutique et son suivi. Grâce aux biothérapies, une large moitié des asthmatiques sévères peut retrouver une vie normale, soit totalement exempte de tout symptôme, soit grandement soulagée.
DÉFINITION
L’asthme est dit sévère lorsqu’il nécessite des doses élevées de corticostéroïdes inhalés, associées à un autre traitement de fond pour prévenir la perte de contrôle (exacerbations, réveils nocturnes…) ou lorsqu’il reste non-contrôlé malgré ces traitements (11). Il correspond aux formes les plus difficiles à traiter de l’asthme. La prévalence de l’asthme sévère semble stable. Même si cette maladie est aujourd’hui mieux connue, il n’en reste pas moins que de nombreux asthmatiques sévères ne sont pas diagnostiqués en raison d’une difficulté à porter un diagnostic précis.
DIAGNOSTIC
C’est seulement au terme d’une prise en charge considérée comme optimale durant au moins six mois que l’on peut qualifier l’asthme de sévère (12). Bien que l’asthme sévère soit une maladie suivie dans des centres spécialisés et faisant l’objet de réunions collégiales d’asthme, le médecin généraliste occupe une place importante dans la prise en charge, en partenariat avec tous les acteurs. En effet, il est le médecin de premier recours en cas d’urgence et d’exacerbation d’asthme mais également, par sa connaissance globale du patient et de son environnement, il peut contribuer au diagnostic car il est aisé de confondre un asthme « sévère » authentique et un asthme « difficile », c’est-à-dire difficilement contrôlé pour de nombreuses raisons comme des problèmes d’observance et/ou une réponse insuffisante aux traitements.
À cette fin, il est à même de repérer un mauvais usage du dispositif inhalé (un asthmatique sur deux), une mauvaise observance, une bonne gestion des traitements de fond et de secours, de comprendre une exposition persistante aux facteurs déclencheurs (tabac, anxiété, stress, pollution, allergènes, etc.) et de prendre en charge les comorbidités (allergies, rhinosinusite chronique, reflux gastro-œsophagien, apnées du sommeil, tabagisme, dépression, polypose nasosinusienne, obésité, etc.) en ayant recours si besoin à d’autres confrères, médicaux ou paramédicaux (conseillers en environnement intérieur, etc.).
Le médecin généraliste, comme le pneumologue, est en mesure également d’optimiser le traitement médicamenteux en fonction des critères cliniques. La nécessaire évaluation du contrôle de l’asthme est réalisée à l’aide d’un des deux auto-questionnaires : Asthma Control Test (ACT) (TAB. 1) ou Asthma Control Questionnaire (ACQ). Ils sont faciles d’utilisation en médecine de ville.
→ Établir un diagnostic d’asthme sévère reste donc complexe. Il repose sur un faisceau d’arguments cliniques, anamnestiques et paracliniques observés sur six à douze mois. Si, par exemple, un patient asthmatique a plus de deux exacerbations par an sous corticothérapie par voie générale (entre 0,5 et 1 mg/kg/j), il faut se poser la question de l’éventualité d’un asthme sévère. La première des étapes est de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un asthme « difficile ». La démarche qui mène de l’un à l’autre comprend la révision du diagnostic, l’évaluation de l’adhésion au traitement et des comorbidités.
→ Le bilan pneumologique pour le diagnostic et la prise en charge d’un asthme sévère doivent comporter une évaluation clinique pour éliminer tout autre diagnostic (hyperventilation, dysfonction des cordes vocales, dilatation des bronches…), des complications des traitements ainsi que le retentissement psychologique, social et professionnel (12). Concernant la mesure du contrôle de l’asthme, elle est réalisée par un questionnaire type ACT ou ACQ. L’absence de contrôle est définie par un score de symptômes correspondant à un mauvais contrôle (score ACQ élevé > 2 ou score ACT < 20), ou la survenue de deux exacerbations de l’asthme ou d’une exacerbation grave dans l’année précédente, ou la présence d’une obstruction fixée (VEMS < 80 %) (13). Le nombre d’exacerbations sur les douze mois précédents, la consommation de corticoïdes oraux et de leur dose cumulée annuelle, le nombre de visites non programmées, de visites aux urgences et hospitalisations, la gêne dans les activités de la vie courante doivent être comptabilisés.
Parmi les examens figurent une exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) avec mesure des volumes maximaux expirés, une pléthysmographie et un test de réversibilité, un bilan allergologique respiratoire complet (alimentaire selon les orientations cliniques), une tomodensitométrie thoracique et des sinus et un bilan biologique (dosage des IgE totales, NFS, sérologie aspergillaire, IgE spécifiques anti-aspergillaires, anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles). Le bilan de dysimmunité est à adapter en fonction de la clinique (recherche de déficit immunitaire, de maladie auto-immune…).
Des explorations spécifiques peuvent s’avérer pertinentes (épreuve d’effort avec mesure de la VO2max, une endoscopie bronchique, une analyse de l’expectoration induite, une mesure de NO exhalé, un test d’hyperventilation provoquée, une recherche de dyskinésie des cordes vocales à l’effort…).
→ La réunion de concertation d’asthme Depuis 2018, il est recommandé que le diagnostic et les thérapeutiques soient discutés de manière collégiale lors d’une réunion de concertation d’asthme (RCA), regroupant au moins deux pneumologues experts dans l’asthme sévère avant de débuter ou de modifier un traitement de stade 5 : biothérapie, corticothérapie orale, thermoplastie, traitements hors AMM (macrolides, immunosuppresseurs…). Il peut aussi être proposé au patient une inclusion dans un essai clinique ou une demande d’avis spécialisé auprès d’une plateforme d’asthme sévère.
PRISE EN CHARGE
La prise en charge des patients souffrant d’un asthme sévère s’appuie sur les recommandations du Global Initiative for Asthma (GINA) (14), datant de 2020 et qui prévalent en France. Chez les patients présentant des exacerbations ou un mauvais contrôle des symptômes en dépit de doses optimales de corticostéroïdes inhalés et bêta 2-agonistes à longue durée d’action et qui ont des biomarqueurs allergiques ou éosinophiles, ou qui ont besoin de corticoïdes oraux, un traitement biologique ciblé d’appoint peut être envisagé, selon les recommandations du GINA.
En effet, ces dernières années, la recherche a fait de grands progrès avec, notamment, l’identification de phénotypes d’asthme sévère. La description du phénotype de l’asthme comprend le diagnostic allergique et des comorbidités, et inclut la mesure des éosinophiles sanguins. Grâce à des biothérapies ciblant spécifiquement ces groupes de patients allergiques et/ou éosinophiliques, une large moitié des asthmatiques sévères peut retrouver une vie normale, totalement ou partiellement débarrassés de tout symptôme.
Les recommandations du GINA préconisent un phénotypage de l’asthme sévère et la recherche de biomarqueurs qui permettent de guider le choix de l’anticorps monoclonal :
• Dans l’asthme allergique, la réaction allergique est caractérisée par la production d’IgE spécifiques des aéro-allergènes.
• Dans l’asthme de phénotype éosinophilique, il existe une corrélation plus ou moins étroite entre l’inflammation éosinophilique (reflétée par une concentration > 300 cellules/μL de sang) des voies aériennes et les symptômes d’asthme.
• L’inflammation de type 2 (TAB. 2) est définie par la production des cytokines IL-4, IL-5 et IL-13 et se caractérise par une réaction allergique et/ou éosinophilique. L’inflammation T2 se retrouve donc à la fois dans l’asthme allergique et l’asthme éosinophilique et, de ce fait, dans la majorité des cas d’asthme sévère.
• Les corticoïdes inhalés associés ou non aux bronchodilatateurs à courte et longue durée d’action demeurent la règle dans l’asthme sévère, car ces asthmatiques sont à haut risque d’exacerbations, par exemple au contact d’agents pathogènes, dont les virus. Une corticothérapie par voie générale peut être maintenue si nécessaire.
• La corticothérapie générale est souvent indiquée en cas d’asthme sévère non contrôlé, qu’il soit éosinophilique et/ou allergique ou non. Mais les patients non-allergiques/non éosinophiliques répondent moins bien. L’asthme chez ceux ayant le phénotype non éosinophilique/non allergique (EOS-) dont l’inflammation est médiée, au moins en partie, par les lymphocytes Th17, est classiquement peu corticosensible.
• Il est possible – en principe – de réduire les doses de corticothérapie par voie générale, voire dans certains cas s’en passer, selon les directives du Global Initiative for Asthma 2020.
• Un anti-IgE, l’omalizumab (SC pour les 6 ans et plus ; 1 injection toutes les 2 ou 4 semaines ; dose injectée 75- 600 mg) est recommandé en cas d’asthme allergique sévère. Grâce à ce traitement, un tiers des asthmatiques allergiques voient leur vie transformée et un autre tiers est partiellement soulagé.
• L’utilisation d’un anti-IL-5 (mepolizumab en IV 250 mg ATUn, reslizumab Perf 10 mg/ml) ou d’un anti-IL-5R (benralizumab, 30 mg SC) est préconisée chez des patients adultes atteints d’asthme éosinophilique sévère ayant des antécédents d’exacerbations et une éosinophilie sanguine ≥ 300/µl.
• L’utilisation d’anti-IL-4R + anti-IL-13R (dupilumab, 150 mg/ml SC ATUn) est recommandée en cas d’asthme sévère éosinophilique/type 2 ou chez les patients ayant besoin de corticostéroïdes oraux d’entretien, quel que soit le niveau d’éosinophilie sanguine. Le dupilumab est efficace dans l’asthme sévère T2 (allergique et/ou éosinophilique) dans les mêmes proportions que les anti-IgE et anti-IL-5 : les deux tiers des patients sous traitement n’ont plus de symptômes ou présentent des symptômes bien moindres, avec, de plus, un effet rapporté sur la polypose nasosinusienne.
Néanmoins, tous les patients n’ont pas ce phénotype d’asthme sévère à éosinophiles et/ou allergique. L’asthme chez ceux ayant le phénotype non éosinophilique/non allergique dont l’inflammation est médiée, au moins en partie, par les lymphocytes Th17, est classiquement peu corticosensible et réfractaire aux biothérapies actuellement disponibles. Chez eux, les comorbidités sont plus fréquentes, avec un moindre contrôle de la maladie. Un espoir provient d’une nouvelle classe qui bloque l’action de la lymphopoïétine stromale thymique (TSLP), une cytokine épithéliale ayant un rôle d’alerte vis-à-vis des agressions envers l’épithélium bronchique. L’anti-TSLP tézépélumab a obtenu en phase III des résultats quel que soit le phénotype des asthmatiques sévères, et qu’ils aient ou non un taux élevé d’éosinophiles. D’autres molécules sont en cours de développement.
Hélène Joubert (rédactrice médicale), avec le Pr Antoine Magnan (chef du service de pneumologie, hôpital Foch, Suresnes)
BIBLIOGRAPHIE
1 - Sofia Temam. Déterminants sociaux et asthme : approche épidémiologique. Santé publique et épidémiologie. Université Paris-Saclay, 2017. Français. NNT : 2017SACLS110. tel-01821462.
2 - https://asthme-allergies.org/asthme/#1492184100331-9d5eb8bb-7a25 (consulté le 17/06/2020).
3 - Hekking PP, Wener RR, Amelink M, Zwinderman AH, Bouvy ML, Bel EH. The prevalence of severe refractory asthma. J Allergy Clin Immunol. 2015;135(4):896-902.
4 - Raherison C, Janson C, Jarvis D, Burney P, Cazzoletti L, de Marco R, et al. Evolution of asthma severity in a cohort of young adults: is there any gender difference? PLoS One. 2009; 4(9):e7146.
5 - Wenzel SE. Little orphan asthmas? J Allergy Clin Immunol. 2015; 135(4):903-4.
6 - Sondage online réalisé auprès de 501 patients asthmatiques sur la prise en charge de l’asthme en novembre 2019, OpinionWay.
7 - Livre blanc Asthme et inégalités 33 propositions pour une meilleure prise en charge de l’asthme et de l’asthme sévère. 2020. https://splf.fr/wp-content/uploads/2020/11/ASTHME-LIVREBLANC-nov2020.pdf.
8 - Lefebvre P, Duh MS, Lafeuille MH, Gozalo L, Desai U, Robitaille MN, et al. Acute and chronic systemic corticosteroid-related complications in patients with severe asthma. J Allergy Clin Immunol. 2015; 136(6):1488-95.
9 - O'Neill S, Sweeney J, Patterson CC, Menzies-Gow A, Niven R, Mansur AH, et al. The cost of treating severe refractory asthma in the UK: an economic analysis from the British Thoracic Society Difficult Asthma Registry. Thorax. 2015; 70(4):376-8.
10 - Arnaud Bourdin, Pascal Chanez, Le diagnostic de l’asthme sévère en 2016, La Lettre du Pneumologue, mars-avril 2016.
11 - Chung KF, et al. International ERS/ATS guidelines on definition, evaluation and treatment of severe asthma. European Respiratory Journal 2014;43:343-73.
12 - Organisation et parcours de soins dans l’asthme sévère. Didier A. et al. Septembre 2016. Rapport du groupe de travail “Asthme sévère” de la FFP.
13 - Chung KF, Wenzel SE, Brozek JL, Bush A, Castro M, Sterk PJ, et al. International ERS/ATS guidelines on definition, evaluation and treatment of severe asthma. Eur Respir J. 2013.
14 - 2021 GINA Report, Global Strategy for Asthma Management and Prevention. https://ginasthma.org/gina-reports/.
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