Le terme "âgé" désigne aujourd'hui les personnes de plus de 65 ans polypathologiques ou celles de plus de 75 ans. Les diabétiques âgés rassemblent les patients dont la maladie a débuté antérieurement – les plus nombreux - et les nouveaux diabétiques, dont la maladie est découverte tardivement. Selon l'Institut national de veille sanitaire (InVS) et l'étude Entred, la moyenne d’âge des personnes diabétiques de type 2 est de 65 ans, et le quart des diabétiques a 75 ans ou plus (21 % pour la tranche d'âge 75-84 ans et 4 % pour la tranche d'âge 85 ans et plus).
OBJECTIFS GLYCÉMIQUES ET CONCEPT DE FRAGILITÉ
Le concept de fragilité
-› La notion de vieillissement peut recouvrir des situations très hétérogènes, allant de l'octogénaire autonome et en bonne forme au patient totalement dépendant. Le patient "fragile" – et le diabétique âgé est souvent fragile - se situe entre ces deux extrêmes, avec tous les intermédiaires possibles. L'objectif de la prise en charge diffère selon les cas. Ainsi, la prévention des complications du diabète reste l'objectif prioritaire tant que le sujet est autonome et ne présente pas de comorbidités notables, tandis que chez le patient fragile, on privilégie plutôt la prévention de l'évolution vers la dépendance. Chez le patient dépendant, les objectifs sont l'amélioration de la qualité de vie et la prise en charge symptomatique.
-› Les critères de fragilité doivent être dépistés chez les patients diabétiques âgés. Ces critères sont pluriels et sont au mieux recherchés au cours d'une évaluation gériatrique standardisée (EGS). "La réalisation d'une EGS complète est certes difficile en médecine générale, mais il est possible une fois par an de passer en revue les principaux éléments afin de dépister une éventuelle fragilité, tant sur le plan clinique que social", souligne le Pr Blicklé.
Parmi les facteurs de fragilité, outre les éventuelles comorbidités (AVC, pathologies chroniques invalidantes, cancers, polypathologie et polymédication), figure un ensemble de conditions regroupées sous le terme de "syndromes gériatriques" : altération des fonctions cognitives, dénutrition (IMC, surveillance du poids, test Mini Nutritional Assessment), chutes (get up and go test, appui unipodal), incontinence, escarres, déficits sensoriels, susceptibilité aux effets secondaires médicamenteux. S'agissant de l'état mental, la dépression, la maladie d'Alzheimer et les autres démences (MMSE…) constituent d'importants facteurs de fragilité.
La dépendance fonctionnelle également : besoin d'aide pour la préparation des repas, les courses, le ménage, la prise des médicaments, atteinte de la mobilité, lenteur de la marche, déficits sensoriels. La nécessité d'une contention, l'alitement, les difficultés familiales et socio-économiques, et enfin la mauvaise santé subjective clôturent la liste des critères à rechercher.
-› Concernant les objectifs glycémiques, les diabéto-gériatres français, dans un "guide pour la prise en charge du diabétique âgé", se font l'écho de recommandations européennes de 2004, qui proposent des objectifs glycémiques adaptés à la fragilité du sujet diabétique âgé. "Il s'agit d'un cadre de prise en charge tenant compte des autres priorités de santé chez les patients fragiles, incluant le risque iatrogène lié aux traitements antidiabétiques. On est ainsi plus tolérant vis-à-vis de l'objectif glycémique chez le sujet fragile (HbA1c entre 7,5 et 8,5 %), contexte dans lequel le risque d'hypoglycémie iatrogène semble parfois démesuré par rapport au bénéfice attendu. Pour autant, il y a toute une frange de diabétiques âgés bien-portants, chez qui il n'y a pas lieu de changer les objectifs glycémiques standards et les stratégies thérapeutiques recommandés pour les patients plus jeunes".
Cette notion de fragilité a d'ailleurs été mise en évidence dans les récentes études ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes ; N Engl J Med 2008) et VADT (Veterans Affairs Diabetes Trial ; N Engl J Med 2009), qui testaient les effets d'un contrôle glycémique intensif (sans se limiter à la population des diabétiques âgés). "La cinétique de la baisse glycémique est apparue comme étant un élément important, de même que la prise en compte du passé hyperglycémique du patient. En effet, un sujet dont l'HbA1c est restée voisine de 9,5-10 % durant 10-15 ans ne peut pas être ramené brutalement à 7 %. Certains indicateurs suggèrent d'ailleurs qu'une baisse trop importante de l'HbA1c est susceptible d'être délétère chez les patients dont l'HbA1c s'est maintenue à un niveau élevé durant plusieurs années. À un âge avancé, il n'est donc pas recommandé de forcer sur l'atteinte de l'objectif glycémique, mais il n'y a pas lieu non plus de priver un diabétique âgé autonome et bien-portant des traitements lui permettant d'obtenir un bon contrôle glycémique, comme chez l'adulte plus jeune".
COMMENT TRAITER UN DIABÉTIQUE ÂGÉ ?
La prise en charge d'un diabétique âgé doit tenir compte tout à la fois du niveau d'HbA1c, de l'ancienneté du diabète, d'un état de fragilité éventuel, du risque iatrogène, incluant le risque d'interactions médicamenteuses, des contre-indications potentielles à certains antidiabétiques, et de la présence de comorbidités.
Diététique : éviter les interdits
Le premier objectif nutritionnel face à un patient diabétique âgé est d'éviter l'évolution vers la dénutrition. Les restrictions et les interdits alimentaires ne sont donc pas de mise, et souvent, l'amaigrissement ne constitue plus un objectif raisonnable, en raison du risque de perte de masse maigre et d'aggravation de la sarcopénie. L'appétence de nombreux sujets âgés pour le sucre les conduit souvent à privilégier les aliments glucidiques.
Pour autant, il convient de rester vigilant et de veiller au bon équilibre et à la régularité des repas, tout en respectant les goûts du patient. "Les sujets diabétiques ayant vieilli avec leur maladie ont d'ailleurs souvent modifié de longue date leurs habitudes alimentaires. Et pour ceux exempts de critères de fragilité, il n'y a pas lieu de relâcher l'effort sur les mesures hygiéno-diététiques. Toujours dans le cadre des traitements non médicamenteux, l'activité physique a fait la preuve de son efficacité, mais en pratique quotidienne, la mise en œuvre de programmes d'activité physique chez les sujets âgés se heurte à de nombreuses difficultés, notamment en raison du manque de structures adaptées".
Les médicaments du diabétique âgé
Stricto sensu, tous les antidiabétiques peuvent être utilisés. Les repères proposés dans les dernières recommandations françaises restent applicables, mais le praticien doit tenir compte de certaines contraintes de prescription liées au terrain.
-› La metformine est utilisable tant que la clairance de la créatinine est supérieure à 60 ml/min/m2. En deçà, les biguanides sont classiquement contre-indiqués en raison du risque d'acidose lactique. "Cette attitude a probablement pour vocation à être assouplie dans le futur, les données du registre international REACH (Reduction of Atherothrombosis for Continued Health) ayant récemment montré que la metformine reste bénéfique chez les diabétiques de type 2 présentant un degré modéré d'insuffisance rénale (30 à 60 ml/min/m2). On recommande dans ces cas l’utilisation de posologies réduites de metformine et l’information claire du patient et de son entourage quant à la nécessité d’arrêter temporairement le traitement au cours de toute affection intercurrente, ou lorsqu'un examen avec injection d'un produit de contraste iodé doit être réalisé. L'insuffisance cardiaque décompensée et l'insuffisance hépatique restent des contre-indications".
-› "Parmi les sulfamides hypoglycémiants, ceux à demi-vie longue (carbutamide et glipizide GITS ) doivent être évités, ainsi que le glibenclamide, fréquemment prescrit. Ce dernier a en effet une durée d'action prolongée en dépit de sa demi-vie biologique relativement courte, et il a souvent été impliqué dans la survenue d'hypoglycémies sévères (3). Les autres molécules de cette classe (gliclazide, glimépiride...) exposent moins au risque d'hypoglycémie. S'agissant du répaglinide, il n'a pas l'AMM au-delà de 75 ans, mais il n'en est pas contre-indiqué pour autant. Il a pour avantage d'être aisément modulable, le patient devant prendre le traitement au moment des repas, quel qu'en soit l'horaire, et supprimer une prise s'il saute un repas".
-› "Les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 (DPP4) (saxa, sita et vildagliptine) sont potentiellement intéressants chez le diabétique âgé, mais on manque de recul à leur égard". Les gliptines sont généralement prescrites en bithérapie. Seule la sitagliptine est pour le moment autorisée en monothérapie, sans remboursement, lorsque la metformine est contre-indiquée ou mal tolérée.
-› "Les inhibiteurs de l'alphaglucosidase (acarbose et miglitol) constituent plutôt des traitements d'entrée chez le diabétique âgé, en l'absence de troubles digestifs préexistants. Ils sont bien adaptés aux situations d'hyperglycémie post-prandiale, fréquente dans ce contexte. La pioglitazone, désormais la seule représentante de la classe des thiazolidinediones, expose certes au risque de rétention hydrosodée et d'insuffisance cardiaque, mais elle peut rendre service chez certains patients bon répondeurs, chez qui le contrôle glycémique reste longtemps satisfaisant avec ce traitement. En revanche, je suis plutôt réservé quant à l'emploi des analogues du GLP-1 (Glucagon Like Peptide-1) (exénatide et liraglutide) chez le diabétique âgé, explique le Pr Blicklé, en raison de leur effet anorexigène, recherché chez les patients plus jeunes en cas d'obésité associée, mais potentiellement délétère chez le sujet âgé".
-› Enfin, l'insulinothérapie est volontiers utilisée, soit en raison de l'évolution du diabète, soit du fait de la survenue d'un événement intercurrent ou d'interactions médicamenteuses impliquant les antidiabétiques oraux."L'insulinothérapie améliore généralement la qualité de vie des diabétiques dont le diabète est chroniquement déséquilibré sous traitement oral, mais ceci est moins évident dans les autres cas. Les schémas d'insulinothérapie sont souvent très simples chez le sujet âgé et, la prudence étant de mise en raison du risque d'hypoglycémie, l'atteinte de l'objectif glycémique est parfois difficile". L'éducation thérapeutique de patient et/ou de son entourage reste essentielle, comme chez le patient plus jeune.
-› L'HTA est associée au diabète dans 50 % des cas entre 65 et 74 ans et dans 70 % des cas après 85 ans. Classiquement, l'objectif tensionnel chez le diabétique tout venant est fixé à 130/80 mmHg, et cet objectif reste inchangé chez le diabétique âgé "bien portant". Chez le sujet fragile, on admet des chiffres plus élevés, en pratique 150/90 mmHg.
S'agissant de la dyslipidémie, les seuils sont les mêmes que pour le reste de la population.
Quid des complications ?
-› Parmi les complications métaboliques, le coma hyperosmolaire constitue le mode de décompensation le plus fréquent chez le diabétique âgé, même en l'absence de diabète antérieurement connu. C'est une urgence imposant l'hospitalisation.
Les hypoglycémies (glycémie < 0,60 g/l) restent fréquentes. Chez le sujet âgé, les symptômes sont souvent discrets ou atypiques (vertiges, désorientation, chute, trouble du comportement), passant parfois inaperçus du fait de l'existence de troubles cognitifs, et survenant volontiers la nuit. L'insulinothérapie reste la cause la plus fréquente des hypoglycémies chez le diabétique traité, mais les sulfamides hypoglycémiants sont également en cause, notamment en cas d'insuffisance rénale ou hépatique ou lorsque survient une interaction médicamenteuse.
Les formes graves d'hypoglycémie exposent au risque de séquelles cognitives, et augmentent le risque de survenue d'un infarctus du myocarde ou d'un AVC. L'éducation du patient et de son entourage est donc essentielle. "Quant à l'autosurveillance des glycémies capillaires, elle ne doit pas être systématique, sauf bien sûr en cas d'insulinothérapie. Elle peut cependant s'avérer nécessaire chez certains patients traités par sulfamides hypoglycémiants".
-› Les troubles trophiques des pieds résultent de plusieurs facteurs : neuropathie diabétique sensitive et/ou motrice, neuropathie autonome, artériopathie des membres inférieurs, présence de déformations (hallux valgus, orteils en griffe), port de chaussures inadaptées, soins de pédicurie "sauvage", traumatisme favorisé par une mauvaise acuité visuelle ou une mobilité réduite, marche pieds nus à domicile, paronychie. Le "pied à haut risque" associe neuropathie diabétique et déformations.
-› L'incidence de l'insuffisance cardiaque est doublée chez le diabétique âgé, l'hyperglycémie étant responsable d'une atteinte myocardique spécifique, à laquelle il faut ajouter les effets de l'HTA, fréquente dans ces tranches d'âge, et ceux des cardiopathies ischémiques.
-› Les complications macro-angiopathiques telles que la coronaropathie et l'AVC ont peu de spécificité chez le diabétique âgé. La première est volontiers silencieuse et son dépistage est malaisé dans ce contexte. Une fois la maladie coronarienne mise en évidence, la prise en charge médicamenteuse ne diffère pas de celle proposée à l'adulte plus jeune (antiagrégant plaquettaire + statine + bêta-bloquant + IEC après vérification de la fonction rénale et de la pression artérielle), mais les procédures de cardiologie interventionnelle sont parfois récusées chez les patients fragiles.
-› Au rang des complications micro-angiopathiques, la néphropathie a peu de spécificités chez le sujet âgé diabétique. Dans cette population, l'atteinte rénale est plus souvent due à une néphroangiosclérose ou à une néphropathie interstitielle qu'à une glomérulopathie diabétique. La surveillance de la microalbuminurie ou de la protéinurie, ainsi que l'estimation du débit de filtration glomérulaire (DFG) doit être réalisée une fois par an (4).
La formule MDRD (Modification of the Diet in Renal Disease) est aujourd'hui préférée à celle de Cockcroft et Gault chez les sujets âgés. " La formule MDRD s'est en effet montrée plus fiable dans ce contexte. Pour autant, il faut garder présent à l'esprit que ces deux modes de calcul ne sont que des estimations de la clairance de la créatinine. Par ailleurs, la formule MDRD ayant été initialement mise au point pour évaluer le degré d'insuffisance rénale, elle est moins performante dans le spectre des valeurs normales. Elle a en revanche une bonne fiabilité pour des valeurs de DFG inférieures à 60 ml/min/m2". Dès lors que la clairance de la créatinine passe en dessous du seuil des 60 ml/min/m2, le traitement antidiabétique (sulfamides hypoglycémiants, metformine) doit être adapté.
Quant à la rétinopathie diabétique, elle représente la 4e cause de diminution de l'acuité visuelle chez la personne âgée après la DMLA, la cataracte et le glaucome. Il s'agit plus souvent d'une maculopathie œdémateuse que d'une rétinopathie proliférante. L'enjeu étant la prévention de la perte d'autonomie, un examen ophtalmologique annuel est souhaitable.
-› Les troubles cognitifs sont plus fréquents chez les diabétiques âgés, et l'on sait que le risque de démence vasculaire est doublé chez le diabétique et multiplié par 6 lorsque diabète et HTA sont associés. La présence de troubles cognitifs compromet la bonne gestion du traitement, et à ce titre, doit être dépistée.
-› Les facteurs favorisant les chutes sont nombreux chez le diabétique âgé : mauvais contrôle glycémique et hypoglycémies, neuropathie périphérique, hypotension orthostatique (attention aussi aux traitements antihypertenseurs), mobilité réduite, obésité, déformations des pieds, déficit visuel, polymédication.
Cas clinique
Le prurigo nodulaire
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC