INTRODUCTION
Il y aurait en France entre trois et six millions de personnes souffrant d’acouphènes, dont environ 5 % présenteraient des acouphènes handicapants. Les acouphènes, qui se manifestent par des grésillements, des bourdonnements, des sifflements, etc., peuvent concerner une seule ou les deux oreilles. Ils peuvent être intermittents ou persistants, durant alors plusieurs mois, voire plusieurs années. On distingue les acouphènes objectifs, signes de la présence d’un bruit organique issu du patient lui-même et qui est donc susceptible d’être enregistré ; et les acouphènes subjectifs, inaudibles par un sujet extérieur, et par conséquent impossibles à enregistrer.
LES ACOUPHÈNES OBJECTIFS
Les acouphènes objectifs sont rares et ne représentent qu’environ 5 % des acouphènes. On les entend en auscultant l’oreille et il convient de remarquer s’ils sont ou non synchrones au pouls.
→ Les acouphènes synchrones au pouls
Les acouphènes pulsatiles, synchrones au pouls, indiquent qu’un bruit d’origine vasculaire est transmis à l’oreille interne qui est elle-même normale. Certaines circonstances peuvent aggraver ces acouphènes d’origine vasculaire, comme l’effort physique ou des positions particulières de la tête. L’acouphène peut être systolique, ou systolique et diastolique. L’examen clinique est important :
• l’otoscopie permet d’orienter vers une tumeur vasculaire de la caisse du tympan, sous forme d’une masse tumorale colorée (bleuâtre ou rougeâtre) visible à travers la membrane tympanique,
• l’auscultation des vaisseaux du cou permet d’orienter vers un bruit d’origine cervicale,
• la compression de la veine jugulaire permet d’orienter vers un bruit d’origine veineuse,
• une pression de l’apophyse mastoïdienne permet d’orienter vers une fistule durale,
• et surtout la prise de la tension artérielle recherche une HTA.
L’exploration par imagerie est indispensable afin de localiser le siège de l’acouphène. Elle sera orientée en fonction des constatations liées à l’examen clinique : un écho-doppler des vaisseaux du cou et transcrânien, un examen tomodensitométrique du rocher à la recherche d’une tumeur de la caisse du tympan, d’un anévrysme ou d’une ectasie du golfe jugulaire, un examen par IRM cérébrale incluant les conduits auditifs internes, éventuellement complétés par des temps vasculaires à la recherche d’anomalies vasculaires et d’une fistule durale. Des actes de radiologie interventionnelle pourront être indiqués en fonction des lésions trouvées.
Les principales étiologies sont l’hypertension artérielle, la pathologie vasculaire (sténose, anévrysme, dissection des gros vaisseaux craniocéphaliques), les fistules artérioveineuses ou durales, les tumeurs de l’oreille moyenne et de la base du crâne (chémodectome, paragangliome) (figure 1) et la pathologie veineuse du sinus latéral ou du golfe jugulaire (anévrysme, ectasie) ainsi que les conséquences d'une hypertension intracrânienne (HTIC) primaire ou secondaire.
→ Les acouphènes non synchrones au pouls
Ce type d’acouphène objectif est rare. Le patient perçoit généralement un bruit à type de claquement, le plus souvent secondaire à une brusque contraction musculaire. L’origine peut en être otologique, notamment par la contraction des muscles stapédien ou tenseur du marteau, ou des muscles du voile du palais. Dans le premier cas, il est parfois possible de voir à l’otoscopie un mouvement anormal du tympan lorsque le claquement survient, et un examen tympanométrique réalisé par un ORL permet d’objectiver le phénomène. Dans le deuxième cas, des contractions du voile du palais, synchrones à l’acouphène, orientent le diagnostic étiologique. Si la gêne est importante, la section des muscles de l’oreille moyenne ou des injections de toxine botulique vélaire peuvent résoudre le problème. Dans tous ces cas, un avis spécialisé ORL est indispensable.
Coupes axiale d’un examen IRM de la fosse postérieure et du rocher montrant un volumineux neurinome du VIII révélé par des acouphènes unilatéraux isolés et de début progressif.
(Dr Bonfils)
LES ACOUPHÈNES SUBJECTIFS
Les acouphènes subjectifs (1) sont les plus fréquents. Ils témoignent de l’existence d’une pathologie du système auditif périphérique (oreille externe, moyenne ou interne) ou central. Dans plus d’un tiers des cas, les patients se plaignent aussi d’une intolérance aux bruits : l’hyperacousie (2). La plupart des patients présentant des acouphènes, surpris lors de leur installation souvent brutale, finissent par s’y habituer spontanément et à les négliger ; ils ne consultent pas pour cette raison et signalent le symptôme à l’occasion d’une consultation pour un autre motif. Il n’existe pas aujourd’hui de traitement curatif des acouphènes subjectifs et la prise en charge proposée vise à développer les processus physiologiques d’habituation.
→ L’interrogatoire
Il est un des éléments clés de la consultation car il va rechercher une origine otologique du symptôme, des troubles psychologiques et/ou psychiatriques associés et estimer le retentissement. Les antécédents otologiques doivent être recherchés : otites moyennes répétées dans l’enfance, otite chronique séquellaire ou évolutive, traumatismes sonores aigus ou chroniques, prise de médicaments ototoxiques, chirurgie otologique. L’existence d’une hypoacousie, de vertiges et/ou de troubles de l’équilibre sera appréciée. Le mode d’apparition, l’ancienneté, la tonalité et l’intensité subjective (utilisation d’une échelle visuelle analogique – EVA) seront notés, ainsi que les éléments faisant modifier la perception de l’acouphène, comme la fatigue, l’anxiété, le stress, le sommeil.
Un point majeur de l’interrogatoire consiste à évaluer l’intensité de la gêne vécue par le patient. Il n’existe pas de mesure objective permettant d’apprécier cette intensité mais des questionnaires validés ont été publiés depuis une vingtaine d’années, et présentent un grand intérêt clinique, notamment pour le suivi des thérapeutiques mises en œuvre. Le plus simple est d’estimer, sur une EVA, la réponse du patient à des questions simples comme la gêne vis-à-vis de l’intensité de l’acouphène, de l’hyperacousie. L’échelle hospitalière d’anxiété et de dépression (échelle HAD) permet de révéler une détresse psychologique importante requérant un avis psychiatrique. Des échelles spécifiques en français sont très utilisées :
• Mesure de la sévérité de l’acouphène, comportant 16 items comme « Vous arrive-t-il d’avoir des difficultés à vous concentrer à cause de votre acouphène ? » ou « Votre acouphène vous gêne-t-il pour vous endormir ? »
• Mesure du handicap lié à l’acouphène, comportant 27 items comme « Mon acouphène m’empêche d’apprécier la vie » ou « J’évite les endroits bruyants à cause de mon acouphène » ou « Mon acouphène me rend anxieux ».
→ L’examen clinique
Il doit comporter systématiquement un examen otoscopique, une acoumétrie réalisée au diapason, une auscultation des axes vasculaires cervicaux, une étude de la statique cervicale et des articulations temporomandibulaires et un examen otoneurologique que le médecin généraliste peut effectuer. Mais un avis ORL s’avère indispensable : l’otoscopie sera réalisée sous microscope binoculaire et des examens complémentaires ORL seront systématiquement réalisés.
→ Les examens complémentaires
Devant tout acouphène, des examens complémentaires auditifs doivent être réalisés, notamment un audiogramme tonal et vocal avec tympanométrie, éventuellement complété, selon les données de l’examen clinique, par un examen du système vestibulaire. L’audiométrie tonale et vocale est indispensable car près de 80 % des patients consultant pour des acouphènes ont une altération des seuils audiométriques. Il est important de noter que l’intensité de l’acouphène et la gêne induite ne sont pas corrélées à l’importance de la perte auditive.
L’acouphénométrie est parfois réalisée, bien que cela soit un test subjectif difficile à effectuer. Elle permet d’étudier les caractéristiques d’intensité (la sonie) et de spectre fréquentiel (la tonie) de l’acouphène. Le patient est amené à comparer son acouphène à des sons extérieurs générés avec un audiomètre conventionnel en utilisant des sons de fréquence pure ou des bruits blancs à bande passante étroite. L’acouphénométrie permet de montrer que l’intensité de l’acouphène ne dépasse généralement pas de plus d’une dizaine de décibels (ce qui est faible) le seuil auditif du patient à la même fréquence. Elle permet, en outre, de montrer au patient qu’un bruit blanc centré sur les fréquences voisines de l’acouphène diminue l’intensité perçue de l’acouphène et que cet effet de masquage peut persister plusieurs minutes. Cette approche permet déjà d’envisager les possibilités thérapeutiques de l’acouphène et montre au patient qu’on peut « agir » sur l’acouphène.
Enfin, dans certains cas, des examens d’imagerie spécifiques seront prescrits par l’ORL en fonction des résultats des examens complémentaires, comme un examen tomodensitométrique de l’oreille moyenne en cas de suspicion d’otospongiose ou d’otite moyenne chronique, une IRM de la fosse postérieure et des conduits auditifs internes devant des signes faisant évoquer une pathologie rétrocochléaire.
→ Les étiologies
Toute pathologie du système auditif peut induire l’apparition d’acouphènes. Au niveau du conduit auditif externe, de simples bouchons de cérumen, mais aussi une exostose ou une otite externe simple, peuvent induire ces symptômes. Toute pathologie de l’oreille moyenne peut être révélée et/ou s’associer à des acouphènes : simple dysfonctionnement tubaire, otite moyenne aiguë, otite séromuqueuse, otite chronique cholestéatomateuse ou non cholestéatomateuse, otospongiose. Toute pathologie de l’oreille interne peut également induire des acouphènes : le plus souvent une simple presbyacousie, mais aussi un traumatisme sonore aigu ou chronique, une maladie de Ménière, une surdité brusque, etc. Enfin, des pathologies rétrocochléaires peuvent comprendre une sémiologie acouphénique, le plus souvent une atteinte du nerf auditif comme le neurinome de l’acoustique (figure 2) ou plus rarement centrale. Enfin, signalons que les dysfonctionnements de l’articulation temporomandibulaire peuvent être source d’acouphènes. Un bilan stomatologique est donc utile devant des signes cliniques d’une telle pathologie.
→ Les traitements des acouphènes
• Les traitements médicamenteux
L’effet placebo dans le traitement des acouphènes est important (3). En France, deux médicaments avaient une autorisation de mise sur le marché avec l’indication limitée « traitement symptomatique d’appoint des acouphènes » : la trimétazidine et l’extrait de Gingko biloba, avec la précision « traitement d’appoint de certains acouphènes présumés d’origine vasculaire ». Cependant, l’expression « présumé d’origine vasculaire » pose un problème car les hypothèses physiopathologiques actuelles des acouphènes sont peu liées à une étiologie vasculaire. Certains antiépileptiques, antidépresseurs ou anxiolytiques peuvent aussi être proposés, mais ils n'ont pas d’AMM officielle dans le traitement des acouphènes.
L’utilisation des vasodilatateurs, notamment les médicaments contenant de la trimétazidine, s’est instaurée progressivement voici de nombreuses années, sur des données d’efficacité mal établies. En juillet 2012, l'Agence européenne du médicament (EMA) a rendu un avis négatif sur l’utilisation de la trimétazidine dans le traitement des acouphènes. En effet, l’emploi de ce médicament comportait plus de risques que de bénéfices attendus, notamment des effets indésirables neurologiques (raideur des bras et des jambes, ralentissement des mouvements, tremblements) (4). Cinq années après, des études ont montré que ce médicament restait encore très prescrit en France, malgré cet avis négatif, pour le traitement des acouphènes. L’Agence française du médicament (ANSM) a donc décidé de modifier ses conditions de prescription : l’initiation du traitement par trimétazidine est dorénavant réservée aux cardiologues (5).
Les données de la littérature concernant l’efficacité de l’extrait de Gingko biloba dans le traitement des acouphènes estiment que ce médicament ne réduit pas l'intensité des acouphènes, ni n'améliore la qualité de vie des patients (6).
Enfin, devant un acouphène de début brutal, en particulier après un traumatisme sonore aigu ou un traumatisme pressionnel, on a proposé la prescription d’un traitement similaire à celui utilisé devant une surdité brusque. Ce traitement repose sur une corticothérapie, selon le principe de la courte cure : équivalent prednisone ou prednisolone, 1 mg/kg/j en une prise orale matinale, avec le respect des contre-indications des corticoïdes et pas de dose dégressive. Néanmoins, aucune donnée actuelle de la littérature ne permet de porter un jugement sur cette pratique dans le cadre des acouphènes.
• Les prothèses auditives et la thérapie sonore
La thérapie sonore (7) repose sur la possibilité de masquer les acouphènes par des sons extérieurs. On peut profiter de la réalisation d’une acouphénométrie pour expliquer le fondement de cette technique au patient. Différents systèmes sont actuellement disponibles (générateur de bruits, baladeur), permettant de générer des bruits de différente nature : bruit blanc, bruits blancs filtrés, sons naturels afin de pouvoir les adapter à la demande de chaque patient. On peut ainsi obtenir une amélioration de la tolérance à l’acouphène et donc faciliter sa négligence.
La Tinnitus Retraining Therapy (TRT) est une technique reposant sur un modèle physiopathologique selon lequel la gêne induite par l’acouphène serait liée à un dysfonctionnement global du système nerveux central et donc non limité au seul système auditif central. L’origine de la gêne serait liée à la conjonction d’un stress et de la lésion auditive, dont l’effet délétère serait maintenu par une activation du système limbique qui joue un rôle important dans la gestion des émotions et de la mémorisation, et du système nerveux autonome qui a un rôle dans l’état de vigilance et le stress. Dès lors, la stimulation continue de ces circuits cérébraux extra-auditifs expliquerait la prise de conscience de l’acouphène comme un fait invalidant. La TRT a pour but de favoriser les processus naturels d’habituation à l’acouphène et comprend : une prise en charge psychologique visant à expliquer et à dédramatiser le symptôme, une thérapie sonore avec une exposition progressive à une ambiance sonore (avec un générateur de bruit blanc, parfois inclus dans la prothèse auditive) durant plusieurs heures par jour sur une période de 1 à 2 ans. La mise en place de la thérapie sonore doit être réalisée avec l’aide d’un audioprothésiste habitué à ce procédé afin d’obtenir une tolérance optimale de la prothèse.
→ La thérapie cognitive et comportementale
Les acouphènes mal tolérés sont souvent liés à des troubles anxiodépressifs et peuvent conduire les patients à adopter des comportements inadaptés, comme des conduites d’évitement des bruits. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) (8) se basent sur le concept que les comportements du patient face à un acouphène mal toléré sont inadaptés, conduisant à des distorsions cognitives (« je ne peux pas vivre normalement avec mon acouphène ») et comportementales (isolement auditif, crainte de tout bruit, etc.). La TCC associe des techniques comportementales de relaxation et de réadaptation à des techniques cognitives de déconditionnement et d’analyse fonctionnelle, faisant du patient l’acteur de sa prise en charge. Les TCC peuvent être réalisées en entretien individuel ou en groupe, et durent usuellement deux mois. Après une TCC, environ les deux tiers des patients disent mieux vivre avec leur acouphène.
→ Les autres traitements des acouphènes
La stimulation magnétique transcrânienne est actuellement étudiée dans le traitement des acouphènes mais les résultats obtenus sont hétérogènes (9). La place de l’acupuncture n’est pas bien établie (10).
Dr Nicolas Bonfils (rédacteur), Dr Alain Londero et Pr Pierre Bonfils (service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, pierre.bonfils@aphp.fr)
BIBLIOGRAPHIE
1. Londero A, Nicolas-Puel C, Puel JL, Loche V. Les acouphènes subjectifs invalidants. ELM, ORL, 20-180-A-101, 2019.
2. Londero A, Bouccara D. Hyperacousie. EMC, ORL, 20-180-C-10, 2018.
3. Phillips JS, McFerran DJ, Hall DA, Hoare DJ. The natural history of subjective tinnitus in adults: A systematic review and meta-analysis of no-intervention periods in controlled trials. Laryngoscope. 2018;128(1):217-227.
4. https://ansm.sante.fr/
S-informer/Points-d-information-Points-d-information/L-Agence-europeenne-des-medicaments-EMA-recommande-de-supprimer-plusieurs-indications-de-la-trimetazidine-Vastarel-et-generiques-Point-d-information
5. https://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/93b12d…
6. Hilton MP, Zimmermann EF, Hunt WT. Ginkgo biloba for tinnitus. Cochrane Database Syst Rev. 2013 28;(3):CD003852.
7. Sereda M, Xia J, El Refaie A, Hall DA, Hoare DJ. Sound therapy (using amplification devices and/or sound generators) for tinnitus. Cochrane Database Syst Rev. 2018;12(12):CD013094
8. Fuller T, Cima R, Langguth B, Mazurek B, Vlaeyen JW, Hoare DJ. Cognitive behavioural therapy for tinnitus. Cochrane Database Syst Rev. 2020;1(1):CD012614.
9. Wang TC, Tyler RS, Chang TY, Chen JC, Lin CD, Chung HK, Tsou YA. Effect of Transcranial Direct Current Stimulation in Patients With Tinnitus: A Meta-Analysis and Systematic Review. Ann Otol Rhinol Laryngol. 2018;127(2):79-88.
10. Liu F, Han X, Li Y, Yu S. Acupuncture in the treatment of tinnitus: a systematic review and meta-analysis. Eur Arch Otorhinolaryngol. 2016;273(2):285-94.
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