Les diagnostics en psychiatrie reposent sur une évaluation clinique fine. Il n’existe pas, à la différence d’autres spécialités, de test diagnostique pouvant guider le praticien. Ce constat ne doit pourtant pas enfermer la psychiatrie dans le champ des troubles fonctionnels, non organiques.
Les neurosciences et les nombreuses études sur l’inflammation, le microbiote, la génétique, l’épigénétique ou encore la neurochimie mettent à mal la classique scission “corps-esprit”. Ainsi, les troubles psychiatriques peuvent avoir un substratum biologique et de nombreux troubles organiques peuvent avoir une expression psychiatrique.
Dans ce contexte de “re-médicalisation” de la discipline, il apparaît nécessaire de comprendre et connaître les bilans des troubles psychiatriques. En pratique, il ne s’agit pas déshumaniser la psychiatrie ni de multiplier les examens complémentaires, mais de savoir quand et comment les prescrire. On sait que les premiers acteurs sont le plus souvent les médecins généralistes (1), et qu’ils sont parfois les seuls praticiens consultés.
Nous proposons, dans cette mise au point, de décrire les examens justifiés en fonction de la situation clinique : les bilans de base d’un premier épisode ou d’un épisode particulièrement sévère, les bilans pré-thérapeutiques et de suivi des traitements psychotropes, et enfin les bilans plus complets en cas de résistance aux traitements.
BILAN DU “PREMIER ÉPISODE“ OU D'UN ÉPISODE SÉVÈRE
Tout patient présentant un premier épisode psychiatrique doit bénéficier d’un bilan minimal, qui s'impose également en cas d'épisode particulièrement intense, en cas de récidive inexpliquée par l’environnement ou lorsqu’existent des signes d’atypicité (tableau 1) (2). On notera que la prescription d’une imagerie cérébrale (IRM) est justifiée, de même qu’un EEG en cas d’atypicités.
→ Les deux objectifs principaux de ce bilan sont :
– L’identification de pathologies organiques d’expression psychiatrique
– La recherche de comorbidités (diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie, syndrome métabolique), fréquentes dans cette population et qui peuvent influencer le choix des thérapeutiques.
Ce bilan s’effectue en même temps que le bilan pré-thérapeutique pour limiter les prélèvements.
→ La Haute autorité de santé (HAS) a publié des recommandations sur le bilan initial d’un trouble dépressif sévère, d’un trouble anxieux sévère, d’un trouble bipolaire ou d’un trouble du spectre de la schizophrénie. Ce bilan n’inclut pas certains éléments pourtant utiles en routine (3). Ainsi, les examens supplémentaires réalisés dans le cadre du bilan initial permettent de dépister certains troubles qui favorisent les pathologies psychiatriques, notamment les facteurs d’inflammation (4) et certaines carences en vitamines (5) qui ont un rôle clé de précurseur dans la synthèse des neuromédiateurs. (tableau 2).
BILAN PRÉ-THÉRAPEUTIQUE ET BILAN DE SURVEILLANCE
Une partie du bilan est peu spécifique de la pathologie ou du psychotrope prescrit. Une seconde partie dépend de la molécule choisie. Ces bilans permettent aussi de dépister les comorbidités fréquentes ou les complications liées aux traitements (syndrome métabolique, insuffisance rénale…). Ces bilans ont vocation à évoluer. Par exemple, de plus en plus de recommandations proposent d’intégrer la surveillance des taux plasmatiques de médicaments au suivi habituel, comme au Canada, en Suisse, etc.
Le bilan aspécifique
Il comprend :
♦ L’exploration des fonctions rénales (ionogramme avec calcémie, urée, créatininémie) et hépatiques (ASAT, ALAT, GGT, PAL, TP) car certains traitements sont contre-indiqués en cas de débit de filtration glomérulaire (DFG) inférieur à 30 ml/min ou en cas d’insuffisance hépatique
♦ Un bilan lipidique et une glycémie à jeun afin d’obtenir une valeur de référence avant traitement et pour dépister un diabète ou une dyslipidémie
♦ Un dosage des toxiques urinaires. Les intoxications aux opiacés contre-indiquent certains traitements et leur recherche peut avoir une dimension étiologique en cas de pharmacopsychose
♦ La recherche de maladies transmissibles (VIH, VHB, VHC, VDRL-TPHA) est recommandée, vu le risque d’exposition dans cette population (comorbidités addictives, conduites à risque)
♦ Un ECG pour calculer le QT corrigé, qui risque de s’allonger (avec un risque de torsade de pointe) avec certains antidépresseurs ou antipsychotiques
♦ Enfin, le dosage des HCG est systématique chez toute femme en âge de procréer.
Le bilan spécifique
En plus de ces examens complémentaires, chaque classe de psychotrope (antidépresseur, antipsychotique, thymorégulateur…) présente des particularités.
→ Pour les antidépresseurs : une surveillance de la natrémie (surtout pour les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) et de la NOS (pour les anti-alpha 2, surtout après 65 ans) quelques semaines après introduction du traitement puis à intervalles réguliers. Le dosage plasmatique des médicaments est à proposer en cas d’inefficacité du traitement (permet de vérifier l’observance et la zone thérapeutique) ou d’effets indésirables.
→ Pour le lithium : la recherche d’une protéinurie (rapport sur la créatininurie sur échantillon) s’impose avant introduction du traitement, de même que la calcémie. Le bilan aspécifique pré-thérapeutique doit être refait à J15 puis M3 puis tous les six mois. Les anticorps anti-thyroïdiens (TPO, TG et TRAK) sont proposés trois mois après le début du traitement. Le dosage plasmatique (lithémie) se fait cinq jours après une modification de dose ou une introduction de traitement et est à recontrôler une seconde fois à J10. Puis, surveillance à un mois, trois mois puis tous les six mois. Ce dosage doit être contrôlé en cas d’évènement intercurrent (déshydratation, maladie infectieuse) ou d’introduction d’un nouveau traitement.
→ Pour les antipsychotiques, on propose une surveillance trimestrielle (NFS, ionogramme, bilan hépatique, créatininémie, bilan lipidique, glycémie à jeun) sur un an, puis tous les six mois pendant un an, puis surveillance annuelle (sauf bilan lipidique – tous les cinq ans).
Un dosage de la prolactine est nécessaire en pré-thérapeutique et pour le suivi dans trois situations : signes d’hyperprolactinémie, désir de grossesse, facteurs de risque (femme < 25 ans, antécédent de cancer). L’hémostase (TP, TCA) est utile en cas d’injection IM prévue (si risque d’agitation ou en cas de traitement retard).
Pour la clozapine, une NFS est obligatoire de manière hebdomadaire pendant 18 semaines puis mensuellement. Les dosages plasmatiques sont proposés en cas d’inefficacité du traitement (vérification de l’observance, de la zone thérapeutique) ou d’effet indésirable, sauf pour la clozapine pour laquelle le dosage plasmatique est indispensable afin de vérifier la zone thérapeutique.
→ Pour les anticonvulsivants, une surveillance mensuelle de la NFS et du bilan hépatique est préconisée tous les mois pendant six mois, puis trimestrielle pendant un an puis tous les six mois. Certains auteurs proposent une surveillance de la fonction hépatique hebdomadairement le premier mois. Les taux plasmatiques sont surveillés à l’introduction (après cinq T1/2), en cas de modification de dose, en cas d’effet indésirable ou en cas d’introduction d’un nouveau traitement concomitant.
LE BILAN DE RÉSISTANCE
La résistance au traitement est définie comme une absence d’efficacité sur les symptômes malgré un temps suffisant (en général 4 semaines) à une dose suffisante (la dose maximale de l’AMM recommandée tolérée par le patient). Plusieurs facteurs peuvent intervenir dans cette résistance :
→ L’erreur thérapeutique : le traitement n’est pas adapté à la pathologie du patient. Un grand classique est le traitement au long cours d’un trouble anxieux avec des anxiolytiques.
→ L’erreur diagnostique : le traitement est inefficace, car bien que le patient présente des symptômes typiques d’une pathologie psychiatrique, il s’agit en réalité d’un autre type de pathologie.
→ La résistance pharmacocinétique : le traitement est métabolisé trop rapidement pour pouvoir s’accumuler correctement et agir efficacement.
En cas d’erreur thérapeutique, il est nécessaire de réévaluer le traitement dans toutes les situations de résistance, notamment en demandant un avis spécialisé. Certains patients traités depuis des années par benzodiazépines pour un trouble anxieux bénéficient ainsi utilement de l’introduction d’un antidépresseur. Dans le même ordre d’idées, une dépression chez un patient ayant un trouble bipolaire qui serait traité par antidépresseur seul alors qu’un traitement thymorégulateur est nécessaire. Ou encore, la réévaluation des patients présentant un trouble schizo-affectif (association de symptômes schizophréniques et bipolaires) traités par antipsychotiques seuls (alors que l’adjonction d’un régulateur d’humeur classique serait appropriée).
→ L’erreur diagnostique peut être d’ordre psychiatrique (considérer un trouble dépressif bipolaire pour un trouble dépressif unipolaire, envisager un trouble anxieux sévère pour un trouble psychotique, etc.) ou d’ordre somatique (6). Une prise en charge spécialisée permettant de réaliser un bilan organo-psychiatrique peut être réalisée en en cas d’atypicités, de résistances ou d’antécédents familiaux évocateurs. Ainsi, pour exemple, pourront être recherchés une ACFA paroxystique en cas de trouble panique résistant, des problèmes respiratoires en cas de trouble anxieux, des maladies systémiques en cas de troubles dépressifs résistants ou de troubles du spectre de la schizophrénie, etc.
→ Enfin, concernant la résistance pharmacocinétique (7), la recherche d’un profil particulier de métabolisation des traitements peut s’envisager lorsque les taux plasmatiques ne sont pas concordants avec les posologies prescrites. Après avoir éliminé un défaut d’observance ou une interaction médicamenteuse (avec un médicament inducteur enzymatique), il est possible de demander un séquençage génétique permettant la détection des métaboliseurs rapides (MR) ou ultra-rapides (MUR) pour les cytochromes CYP 2D6 et 2C19. Ces cytochromes sont particulièrement impliqués dans la métabolisation des psychotropes (antidépresseurs et antipsychotiques notamment). Chez ces patients, un avis pharmacogénétique est nécessaire avant la réintroduction d’un traitement psychotrope.
EN RÉSUMÉ
La psychiatrie bénéficie, comme les autres disciplines médicales, des avancées des neurosciences. Ainsi, bien qu’aucun marqueur diagnostique ne soit encore disponible, la compréhension des différents troubles se précise. Après s’être éloignée de la neurologie, la discipline s’en rapproche et se médicalise de plus en plus, sans pour autant perdre les dimensions relationnelle et psychothérapeutique. Les bilans proposés, sans être encore tous officiellement recommandés, sont de plus en plus admis. Ils permettent d’éviter certaines errances diagnostiques et thérapeutiques. La plupart des situations cliniques décrites nécessitent une collaboration étroite entre médecins généralistes et psychiatres.
Bibliographie
1. Norton J, De Roqueful G, David M, Boulenger J, Ritchie K, Mann A. Prévalence des troubles psychiatriques en médecine générale selon le Patient Healh Questionnaire : adéquation avec la détection par le médecin et le traitement prescrit. INSERM. Science Direct. General Hospital Psychiatry 2007(29);285-93.
2. Fédération Française de Psychiatrie – Conseil National Professionnel de Psychiatrie. Recommandation de bonne pratique en psychiatrie : Comment améliorer la prise en charge somatique des patients ayant une pathologie psychiatrique sévère et chronique. Juin 2015
3. Jha MK, Trivedi MH. Personalized Antidepressant Selection and Pathway to Novel Treatments: Clinical Utility of Targeting Inflammation. Int J Mol Sci. 2018 Jan 12;19(1).
4. Coppen A, Bolander-Gouaille C. Treatment of depression: time to consider folic acid and vitamin B12. J Psychopharmacol. 2005 Jan;19(1):59-65. Review
5. Bourla A, Ferreri F, Ordonnances en psychiatrie et pédopsychiatrie, 100 prescriptions courantes ; Editions Maloines, 2017. 240 pages.
6. Quaranta S, Dupouey J, Colle R, Verstuyft C. Pharmacogenetics of antidepressant drugs: State of the art and clinical implementation - recommendations from the French National Network of Pharmacogenetics. Therapie 2017 Apr;72(2):311-318
Liens d'intérêts
Les auteurs ne déclarent aucun lien d'intérêts concernant cet article
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