INTRODUCTION
La maladie d’Alzheimer n’est pas la seule affection responsable de troubles neurocognitifs majeurs chez le sujet vieillissant. La maladie à corps de Lewy, les démences frontotemporales, les démences vasculaires… en sont d’autres qui ont chacune des particularités sémiologiques et de prise en charge propres. Bien que les connaissances les concernant se soient beaucoup enrichies dans les dernières années, d’importants progrès restent à faire. Un diagnostic précis permet néanmoins d’ores et déjà d’améliorer la prise en soin et l’accompagnement de ces patients. Cet article de Mise au point aborde les données essentielles à connaître en pratique de médecine de ville sur ces pathologies regroupées sous la bannière Maladies associées à la maladie d’Alzheimer (MAMA).
LA MALADIE À CORPS DE LEWY
Généralités
La maladie à corps de Lewy est la deuxième cause neurodégénérative de trouble neurocognitif majeur (TNM) en fréquence après la maladie d’Alzheimer. Elle débute habituellement entre 70 et 85 ans, et représenterait 5 % des cas de démence chez les patients âgés de plus de 75 ans. Elle demeure largement sous-diagnostiquée, ce qui est d’autant plus dommageable que ces patients sont à risque élevé de complications iatrogènes qui peuvent être évitées par une prise en charge adaptée.
Symptomatologie
Certaines manifestations sont particulièrement évocatrices de la maladie à corps de Lewy. Les fluctuations de la vigilance et de l’état cognitif, au fil d’une journée, mais aussi sur des périodes plus longues (jours ou semaines), spontanées ou favorisées par un épisode infectieux, la prise d’un nouveau traitement… sont l’un des signes cardinaux les plus caractéristiques. Les patients présentent fréquemment des hallucinations (images qui n’existent pas), des illusions (images transformées) et des sensations de présence (impression qu’une tierce personne se trouve dans la pièce ou le domicile) qui prédominent volontiers le soir ou dans les périodes de somnolence. Un syndrome parkinsonien (extrapyramidal), de sévérité variable, est fréquemment observé, mais son absence n’élimine pas le diagnostic. Sur le plan cognitif, les troubles neurovisuels prédominent classiquement : le patient (ou son entourage) se plaint de mal voir (les phrases du type « il cherche toujours la salière à table alors qu’elle est juste devant lui » sont typiques), apprécie mal les distances, ne semble pas voir les images dans leur ensemble. La visuo-construction est également affectée, ce qui sera facilement détecté en consultation par le dessin de figures simples (cube par exemple). Enfin, la présence d’une anosmie et/ou de troubles du comportement en sommeil paradoxal (agitation durant le sommeil comme si le patient « vivait ses rêves ») renforcent la présomption diagnostique.
Prise en charge
Le bilan diagnostique et le suivi doivent absolument être organisés en consultation mémoire le plus précocement possible. La mise en place d’une remédiation cognitive avec une orthophoniste est à la base de la prise en charge. Il n’y a pas de traitement médicamenteux curatif mais les traitements anticholinestérasiques (rivastigmine) ont une AMM et apportent une amélioration modeste (vigilance, fonctions exécutives, moral…).
La prise en charge de la dépression et de l’anxiété surajoutées par un traitement antidépresseur est centrale pour la qualité de vie du patient et de ses proches, et ce, d’autant qu’ils retentissent sur l’état cognitif. Des mesures thérapeutiques pour traiter les hallucinations visuelles, parfois accompagnées d’idées délirantes, ne doivent être prises que si ces symptômes sont gênants. Dans ce cas, des mesures non médicamenteuses doivent être mises en place en premier : augmenter la luminosité en fin de journée, éviter la somnolence dans la journée, rassurer/apaiser l’anxiété. L’instauration d’un traitement antipsychotique devrait être faite uniquement en milieu spécialisé en raison d’un risque élevé de mauvaise tolérance (pouvant aller jusqu’au syndrome malin des neuroleptiques). Seules certaines molécules sont alors autorisées, à doses très faibles (clozapine, quétiapine). Une association très dynamique (Association des aidants et malades à corps de Lewy, A2MCL) propose de nombreuses informations et manifestations pour les personnes concernées par cette maladie.
LES DÉMENCES FRONTOTEMPORALES
Généralités
Les démences frontotemporales (DFT) sont des démences rares (environ 7 000 cas en France) mais qui touchent des sujets généralement plus jeunes que dans les autres maladies neurodégénératives, avec un pic de fréquence entre 55 et 65 ans. Elles constituent donc la première cause de démence dégénérative avant 60 ans. Elles correspondent à un groupe hétérogène sur le plan clinique et physiopathologique (lésions cérébrales à l’examen anatomopathologique), avec pour caractéristique commune la présence d’une dégénérescence neuronale dans les régions frontales et temporales du cerveau, qui est généralement mise en évidence par l’imagerie cérébrale morphologique (IRM) et/ou métabolique (tomographie par émission de positons, TEP). Dans 20 à 30 % des cas, elles surviennent chez un patient qui présente des antécédents familiaux de DFT ou de sclérose latérale amyotrophique et l’enquête génétique révélera une mutation de transmission autosomique dominante sur l’un des gènes connus pour causer la maladie (C9Orf72, Microtubule-associated protein tau (MAPT), progranuline…).
Symptomatologie
On distingue trois formes principales de démence frontotemporale.
Le variant comportemental, le plus fréquent, est caractérisé au premier plan par des troubles dysexécutifs cognitifs (difficultés de raisonnement, d’organisation de la pensée…) associés à des modifications du caractère et du comportement. Ces modifications sont très variables dans leur profil général, mais avec un certain nombre de symptômes fréquents : apathie (diminution des comportements « utiles »), irritabilité, modifications des goûts et comportements alimentaires (mange beaucoup plus vite, en plus grandes quantités, salement, sans respecter les normes de politesse ; mange plus sucré, parfois des aliments non comestibles), diminution de l’hygiène et du soin porté à l’apparence (avec souvent opposition), modification du rapport à l’argent (dépenses importantes, achats impulsifs, achats d’objets en nombreux exemplaires…), bizarreries comportementales et rituels (entassement d’objets ou de détritus, comportements improductifs répétés de manière incessante…). Le patient est généralement très anosognosique. Des troubles du langage sont souvent présents au second plan.
Les deux variants langagiers sont caractérisés par une prédominance de troubles aphasiques (aphasies primaires progressives). Les patients atteints du variant non-fluent ont des difficultés d’expression avec un discours appauvri et le besoin de « faire des efforts » pour parvenir à s’exprimer, alors que les patients atteints du variant sémantique perdent progressivement le sens des mots, avec pour conséquence une altération progressive de la compréhension verbale. Dans les deux cas, des modifications comportementales légères à modérées sont souvent associées. À noter qu’il n’est pas rare que les patients atteints d’aphasie primaire progressive sémantique reçoivent initialement un diagnostic de presbyacousie, et ce, d’autant que la maladie altère particulièrement la capacité à répéter des mots isolés et peut donc affecter les résultats de l’audiogramme.
Prise en charge
La prise en charge des symptômes comportementaux est difficile, avec des traitements psychotropes efficaces sur certains symptômes seulement (irritabilité, agressivité, stéréotypies) et au prix d’effets indésirables parfois importants. Les traitements par antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (fluoxétine, citalopram…) doivent être essayés en premier, suivis par des antipsychotiques atypiques à faible dose en l’absence d’efficacité (rispéridone, aripiprazole).
L’accompagnement de l’aidant est crucial pour sa qualité de vie mais aussi pour le bien-être du patient. Les troubles comportementaux sont en effet des symptômes qu’il est très difficile d’accepter comme liés à une maladie, avec pour conséquence une souffrance double pour les proches (impact des troubles du comportement en eux-mêmes et souffrance face au patient qu’ils perçoivent comme devenu « méchant », « faisant exprès », « ne cherchant pas à faire des efforts »). Dans ce contexte, les relations deviennent rapidement conflictuelles, avec des réactions souvent virulentes de la part de l’aidant qui renforcent l’agressivité et les troubles comportementaux du patient. Les aidants tireront également bénéfice d’un accompagnement psychologique et de la participation à des groupes de parole et programmes d’éducation thérapeutique (proposés par exemple au sein d’accueils de jour). L’association France DFT propose également une ligne d’écoute et organise des rencontres entre aidants.
La remédiation cognitive avec une orthophoniste est importante pour la prise en charge des symptômes cognitifs, en particulier chez les patients qui présentent un variant langagier.
LA PARALYSIE SUPRANUCLÉAIRE PROGRESSIVE
Généralités
Il s’agit d’une démence rare, apparentée aux démences frontotemporales dans ses mécanismes physiopathologiques.
Symptomatologie
La paralysie supranucléaire progressive est caractérisée par trois principaux types de troubles :
• Les troubles de la marche, avec chutes, sont souvent précoces et au premier plan. Ils s’associent à un syndrome parkinsonien non tremblant, prédominant au niveau du tronc.
• Les troubles cognitifs sont de type dysexécutif (frontaux) avec un tableau combinant apathie et désinhibition parfois sévère (comportements d’imitation – le patient ne peut s’empêcher de faire la même chose que l’examinateur – et d’utilisation – le patient utilise de manière « automatique » le stylo ou les ciseaux que lui donne l’examinateur).
• Les troubles oculomoteurs, caractéristiques, avec regard fixe et limitation des saccades (mouvements volontaires, par opposition à la poursuite (suivi du doigt), qui peut être préservée longtemps), en particulier dans le sens vertical (regard en haut/en bas).
Le tableau se complexifie dans l’évolution avec apparition de troubles de l’élocution (dysarthrie) et de déglutition jusqu’à atteindre souvent, au stade sévère, un état de « mutisme akinétique » (le patient ne bouge ni ne s’exprime plus spontanément).
Prise en charge
La prise en charge rééducative est essentielle : orthophonie d’une part pour le travail de remédiation cognitive centré sur les fonctions exécutives et le langage, la lutte contre la dysarthrie, l’évaluation de la déglutition et la lutte contre les fausses routes ; kinésithérapie d’autre part pour le travail de la marche, de l’équilibre postural (capacité à rester debout lorsque l’on est déstabilisé), l’apprentissage de la chute (afin de limiter les traumatismes lors des chutes, qui sont inévitables) et du relever du sol (pour éviter les appels quotidiens des secours pour relever le patient). La texture des aliments doit être adaptée aux capacités de déglutition : alimentation mixée, boissons gazeuses et froides puis épaissies voire gélifiées lorsque les troubles s’aggravent. Au stade sévère, les problématiques sont de type palliatif : lutte contre les escarres, les positions vicieuses…
LES DÉMENCES VASCULAIRES
Généralités
Les démences vasculaires sont liées à une combinaison de souffrance cérébrale chronique d’origine vasculaire et de lésions cérébrales focales (AVC) multiples, en proportions variables. On distingue deux grandes formes :
• Les démences vasculaires sur maladie des petits vaisseaux cérébraux qui sont les plus fréquentes et les démences par accident vasculaire cérébral « stratégique ».
• Les démences vasculaires « pures » sont assez rares : une grande majorité de patients présente en fait une autre cause de troubles cognitifs (maladie d’Alzheimer…) accentuée par une composante vasculaire. On parle dans ce cas de démence mixte.
Symptomatologie
Le tableau des troubles neurocognitifs majeurs vasculaires sur maladie des petits vaisseaux cérébraux associe au premier plan des AVC ischémiques multiples de type lacunaire (certains ayant pu passer inaperçus) et des hypersignaux de la substance blanche (leucopathie vasculaire) visibles sur l’IRM cérébrale (ainsi que parfois des AVC hémorragiques profonds et des micro-saignements sur l’IRM cérébrale). Les troubles cognitifs sont dominés par les troubles dysexécutifs (frontaux), auxquels peuvent s’associer des troubles de la marche et sphinctériens ressemblant à ceux observés dans l’hydrocéphalie à pression normale, ainsi que des déficits focaux séquellaires des AVC. L’évolution se fait classiquement en « marches d’escalier » avec alternance d’aggravations aiguës (liées en général à la survenue de nouveaux événements vasculaires) et de phases de stabilisation. Les TNM par accident vasculaire cérébral « stratégique », c’est-à-dire dans lesquels une lésion ischémique ou hémorragique lèse une région cérébrale clé pour le fonctionnement cognitif (thalamus par exemple) sont d’installation brutale, avec récupération partielle, puis stabilisation. Un déclin secondaire est possible, en rapport avec un processus neurodégénératif surajouté, la survenue d’un autre événement vasculaire ou le vieillissement cognitif « naturel » (diagnostic d’élimination).
Prise en charge
La priorité doit être donnée au contrôle des facteurs de risque vasculaire et en particulier de l’hypertension artérielle (et du diabète). Le traitement antithrombotique (aspirine le plus souvent), adapté à l’étiologie, permet de diminuer le risque de récidive d’AVC ischémique. L’activité physique est à recommander. Une prise en charge avec une orthophoniste pour remédiation cognitive et un kinésithérapeute pour le travail de la marche et la rééducation d’éventuels déficits focaux sont également nécessaires.
L'HYDROCÉPHALIE À PRESSION NORMALE
Généralités
L’hydrocéphalie à pression normale (HPN) est l’une des rares causes « curables » de troubles neurocognitifs tardifs. Le diagnostic est évoqué devant la symptomatologie clinique ou, plus souvent, sur une imagerie cérébrale lorsque les troubles sont plus frustes.
Symptomatologie
Le tableau clinique associe à des degrés divers trois types de signes (triade d’Adam et Hakim) : troubles de la marche qui se fait à petits pas avec instabilité posturale, troubles cognitifs de type dysexécutifs, et troubles sphinctériens avec pertes d’urines, voire de selles (que le patient explique en général difficilement). L’IRM cérébrale montre un élargissement ventriculaire (disproportionné par rapport à l’atrophie corticale), avec hypersignaux périventriculaires correspondant à la « résorption transépendymaire » (des mesures objectives de certains paramètres IRM permettent de conforter le diagnostic).
Prise en charge
Tout patient suspect de présenter une HPN doit être adressé pour bilan de confirmation en milieu neurologique ou neurochirurgical (évaluation de l’effet sur les symptômes d’une ponction lombaire avec évacuation d’au moins 20 à 30 millilitres de liquide cérébro-spinal (LCS)). Le traitement de l’HPN est chirurgical, avec mise en place d’une dérivation ventriculaire (ventriculo-péritonéale ou ventriculo-atriale) qui permet une nette amélioration voire la régression des symptômes.
L'ANGIOPATHIE AMYLOÏDE
Généralités
L’angiopathie amyloïde est en quelque sorte le pendant vasculaire de la maladie d’Alzheimer : elle est également liée à des dépôts amyloïdes, mais qui prédominent dans les parois des vaisseaux corticaux, les fragilisant et altérant la barrière sang-cerveau. Ceci explique à la fois le risque d’AVC hémorragique (principale manifestation) et d’anomalies de la substance blanche, voire d’œdèmes cérébraux. Les troubles cognitifs associés à l’angiopathie amyloïde ont souvent une double origine : conséquences de l’angiopathie amyloïde elle-même et coexistence d’une pathologie amyloïde parenchymateuse (maladie d’Alzheimer).
Symptomatologie
Les troubles cognitifs prédominent généralement sur la sphère neurovisuelle : vision morcelée des images, difficultés pour explorer l’espace du regard, difficultés dans le dessin de figures simples (cube). Les troubles de mémoire concernant les faits récents coexistent souvent et sont liés aux lésions de type Alzheimer parenchymateuses. Le diagnostic sera toutefois évoqué le plus souvent après une IRM cérébrale, devant de multiples microsaignements (microbleeds) qui apparaissent comme des petits « points noirs » sur les séquences de susceptibilité magnétique (séquence T2*, écho de gradient…) et sont localisés dans les régions postérieures à proximité du cortex. On observe également souvent des hypersignaux de la substance blanche qui prédominent dans les régions postérieures.
Prise en charge
Lorsque les troubles cognitifs sont importants, une évaluation en consultation mémoire est indispensable pour rechercher une maladie d’Alzheimer associée. La prise en charge des troubles cognitifs est comparable à celle préconisée dans la maladie d’Alzheimer ou la maladie à corps de Lewy avec un rôle clé de la remédiation cognitive. Par ailleurs, le contrôle strict de l’hypertension artérielle est essentiel pour limiter le risque d’AVC hémorragique. Pour les mêmes raisons, les traitements antithrombotiques doivent être prescrits avec grandes précautions, en vérifiant au moindre doute l’indication formelle auprès du médecin spécialiste.
CONCLUSION
La vision des maladies neurocognitives évolue avec le temps et l’amélioration des connaissances. Après la démence sénile, la maladie d’Alzheimer a longtemps été le diagnostic quasi exclusif devant un TNM du sujet âgé. Il est aujourd’hui possible (et nécessaire) de chercher un diagnostic étiologique plus précis lorsque le tableau fait évoquer une MAMA plutôt qu’une maladie d’Alzheimer, ce qui permettra de proposer une prise en charge plus adaptée et utile. Tout en gardant à l’esprit que ces pathologies qui surviennent avec l’âge ne sont pas exclusives les unes des autres et coexistent donc souvent (maladie d’Alzheimer et lésions vasculaires, maladie d’Alzheimer et maladie à corps de Lewy).
Dr Emmanuel Cognat (neurologue, centre de neurologie cognitive - centre mémoire de ressources et de recherche, AP-HP.Nord, site Lariboisière-Fernand-Widal, Paris)
BIBLIOGRAPHIE
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2. Elahi, Fanny M et Miller, Bruce L. A clinicopathological approach to the diagnosis of dementia. 2017. Nature reviews. Neurology 13 (8): 457‑76.
3. Vrillon, A et Cognat, E. Consultations et ordonnances en neurologie. Éditions Maloine.
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