INTRODUCTION
Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) sont constituées de deux entités : la maladie de Crohn (MC) et la rectocolite hémorragique (RCH). Elles sont caractérisées par une inflammation chronique du tube digestif atteignant exclusivement le rectum et le colon pour la RCH et potentiellement tout le tube digestif pour la MC.
Elles touchent surtout des personnes jeunes, durent toute la vie et s’accompagnent parfois d’une importante dégradation de la qualité de vie.
À ce jour, il n’existe pas de traitement susceptible de guérir la maladie. Il existe néanmoins des traitements qui permettent de diminuer l’intensité et la durée des poussées, de prévenir les récidives et de diminuer le recours à un traitement chirurgical.
ÉPIDÉMIOLOGIE ET PHYSIOPATHOLOGIE
Ces maladies inflammatoires touchent actuellement plus de 200 000 personnes en France et près de 3 millions en Europe. L’incidence et la prévalence de ces maladies sont marquées par une importante hétérogénéité spatiale et temporelle. En Europe, leur incidence annuelle varie de 0,5 à10,6/100 000 pour la maladie de Crohn et de 0,9 à 24,3/100 000 pour la RCH. La RCH est plus fréquente que la maladie de Crohn dans la plupart des pays européens ; en France, c’est l’inverse (1). On estime qu’à l’horizon 2030, environ 1 % de la population française sera atteinte d’une MICI.
Les MICI concernent plus volontiers les sujets jeunes, entre 20 et 30 ans pour la maladie de Crohn, 30 à 40 ans pour la RCH, mais l’on note également un deuxième pic d’incidence après 50-60 ans. En France, la maladie de Crohn prédomine chez la femme alors que la RCH est plus fréquente chez l’homme (2).
Bien que des progrès aient été récemment faits dans la compréhension de leur physiopathologie, la ou les causes de ces maladies restent à ce jour inconnues. Toutes les recherches tendent à corroborer l’hypothèse d’une maladie « multifactorielle », faisant intervenir une activation inappropriée du système immunitaire gastro-intestinal vis-à-vis du microbiote intestinal (théorie de la dysbiose) ; des sujets génétiquement prédisposés (plus de 160 gènes de prédisposition ont été découverts) ; l’influence de facteurs environnementaux (mode de vie, alimentation « occidentale », tabac).
Le tabac a des effets opposés dans la maladie de Crohn et dans la RCH : il protège contre la RCH mais favorise le développement de la maladie de Crohn. Les mécanismes sous-tendant cet effet du tabac ne sont pas encore complètement élucidés (3).
L’appendicectomie a un effet protecteur vis-à-vis de la RCH, et ce d’autant plus si elle est réalisée avant 20 ans, si cette dernière est pratiquée pour une véritable appendicite aiguë (4).
Le rôle de l’alimentation est un vaste sujet qui passionne les chercheurs. Cet argument est soutenu par la fréquence plus élevée des MICI en Europe et Amérique du Nord où la consommation de saccharose (sucre, boissons sucrées, sucreries…), d’additifs alimentaires, de protéines animales est plus importante. Le corollaire est ainsi une modification du microbiote et une altération de la barrière intestinale (5).
SAVOIR RECONNAÎTRE UNE MICI
Bien que la maladie de Crohn et la RCH fassent partie d’un même groupe de maladies, leur expression clinique et leur évolution sont souvent différentes. Il faut noter que, comme son nom l’indique, c’est bien souvent le caractère chronique des symptômes qui doit faire évoquer une MICI. Schématiquement, il existe deux étapes dans le diagnostic d’une MICI (6) :
• affirmer la MICI : sur le court et le moyen termes, il s’agit essentiellement d’éliminer une maladie infectieuse, seule en cause ou associée ; c’est le problème le plus fréquent et le plus important ;
• différencier la RCH de la maladie de Crohn.
La RCH
Le diagnostic de RCH doit être évoqué devant :
• une diarrhée prolongée, surtout si elle est hémorragique,
• un syndrome dysentérique, même a minima (évacuations a-fécales glaireuses et/ou hémorragiques accompagnant des selles par ailleurs normales),
• des faux besoins et/ou des douleurs abdominales.
Ces symptômes digestifs sont souvent associés à une altération de l’état général et/ou une carence martiale et/ou un syndrome inflammatoire et/ou un érythème noueux et/ou une aphtose buccale.
La confirmation diagnostique repose sur un faisceau d’arguments, incluant l’aspect endoscopique de la muqueuse et les caractéristiques histologiques du tissu malade. L’aspect endoscopique caractéristique de la RCH est une atteinte continue, commençant dès la jonction anorectale, s’étendant plus ou moins loin dans le colon et s’interrompant de façon assez brusque. À noter qu’aucune lésion endoscopique n’est spécifique de la RCH.
À complication classique de la RCH est la colite aiguë grave. Il faut savoir la reconnaître puisqu’il s’agit d’une urgence médico-chirurgicale pouvant engager le pronostic vital à court terme. Le diagnostic de la colite aiguë grave est fait devant la présence d’une diarrhée sanglante faite de six évacuations/24 heures minimum avec au moins un des critères suivants : température ≥ 37,5 °C, fréquence cardiaque ≥ 90/min, hémoglobinémie ≤ 10 g/dL, CRP > 30 mg/dL.
La maladie de Crohn
Le diagnostic de la maladie de Crohn est plus complexe. La maladie peut toucher le colon (1/3 des cas), l’intestin grêle (1/3 des cas) ou la région iléo-colique (1/3 des cas).
Le diagnostic de la MC doit être évoqué dans des situations cliniques très diverses :
• une diarrhée prolongée associée à des douleurs abdominales inexpliquées,
• un syndrome biologique inflammatoire prolongé et/ou une anémie et/ou des signes biologiques de malabsorption et/ou une altération de l’état général,
• des signes extra-digestifs : érythème noueux, douleurs articulaires, manifestations ophtalmologiques, et/ou une aphtose buccale (au moins trois aphtes à la fois),
• certaines lésions proctologiques : fissures multiples et/ou de siège atypique (antérieures, latérales), abcès récidivants, fistules complexes et/ou récidivantes.
La confirmation diagnostique de la maladie de Crohn est souvent permise par la réalisation d’une endoscopie œso-gastro-duodénale et d’une iléo-coloscopie avec biopsies. Aucune lésion endoscopique n’est spécifique de la maladie. Histologiquement, les deux éléments les plus évocateurs sont les fissures et les granulomes épithélioïdes.
Les complications de la maladie de Crohn ne sont pas rares et sont parfois inaugurales de la maladie. Les plus fréquentes sont la fistule digestive mettant en communication un organe digestif à un autre organe (digestif ou non), avec parfois la constitution d’un abcès ; l’occlusion digestive (sténose d’une anse digestive) ; la dénutrition parfois sévère ; les thromboses veineuses ; les conséquences d’une malabsorption prolongée (ostéoporose…).
BILAN DIAGNOSTIQUE
Le diagnostic d’une MICI résulte d’un faisceau d’arguments cliniques, biologiques, endoscopiques, radiologiques et histologiques. Lorsqu’une MICI est suspectée, la première étape reste toujours d’éliminer une pathologie infectieuse intestinale. Des prélèvements de selles pour coprocultures (salmonelles, Yersinia, campylobacter, en particulier) et recherche de toxines de clostridium difficile doivent être réalisés de manière systématique.
Au diagnostic, tous les patients doivent bénéficier d’un bilan biologique complet :
• une numération formule sanguine à la recherche d’une anémie, d’une hyperleucocytose et/ou d’une thrombocytose ;
• une CRP à la recherche d’un syndrome inflammatoire biologique (attention, une CRP normale n’élimine en aucun cas le diagnostic de RCH ou de maladie de Crohn) ;
• un dosage de la ferritinémie et un coefficient de saturation de la transferrine à la recherche d’une carence martiale ;
• un bilan hépatique à la recherche de perturbations pouvant faire suspecter une cholangite sclérosante primitive associée ; il s’agit d’une entité particulière spécifiquement associée au MICI, caractérisée par une atteinte inflammatoire et fibrosante des voies biliaires.
• un dosage de l’albumine, de la vitamine B12 et des folates sériques pour évaluer l’état nutritionnel et rechercher d’éventuelles carences.
Le dosage de la calprotectine fécale est recommandé pour le diagnostic initial. C’est un marqueur très sensible de l’inflammation intestinale dans les MICI. Son dosage initial permet à la fois de renforcer le diagnostic positif (seuil de positivité à 150 µg/g de selles) et d’évaluer la réponse au traitement et le risque de rechute. Un taux inférieur à 50 µg/g de selles élimine fortement un diagnostic de MICI (excellente valeur prédictive négative). Son problème actuel concerne principalement son coût car le dosage n’est pas remboursé par la Sécurité sociale, le patient doit débourser environ cinquante euros pour le réaliser.
Les tests génétiques et les sérologies (ASCA/ANCA) ne sont pas recommandés pour le diagnostic de routine de MC ou de RCH.
Les sérologies de la varicelle et de la rougeole ainsi que le dépistage de l’hépatite B doivent être réalisés car une vaccination devra être proposée si nécessaire. Les vaccins de la rougeole et de la varicelle étant des vaccins vivants, ils sont contre-indiqués en cas d’immunodépression et ne pourront donc être réalisés qu’avant la mise sous traitement. Il est également recommandé de réaliser les sérologies VHC, EBV, CMV et VIH. Le bilan de dépistage de la tuberculose (quantiféron et radiographie de thorax) est également recommandé.
Le bilan proposé ci-contre comprend le bilan diagnostique à proprement parler, le bilan des complications potentielles (dénutrition, carences vitaminiques) ainsi que le bilan pré-thérapeutique (immunosuppresseurs, biothérapies, anti-JAK).
BILAN INITIAL POUR LE DIAGNOSTIC D’UNE MICI
• NFS, plaquettes
• CRP
• Ionogramme sanguin, créatininémie, albuminémie
• Ferritinémie, coefficient de saturation de la transferrine
• Vitamine B12, folates Ac anti-HBs, Ag anti-HBs, Ac anti-HBc
• Sérologies varicelle et rougeole
• Sérologies VHC, EBV, CMV, VIH
• Quantiféron et radiographie du thorax
• Coproculture, recherche de toxines de clostridium difficile
• Calprotectine fécale
Un bilan morphologique initial est également recommandé. Pour poser le diagnostic de maladie de Crohn ou de RCH, une endoscopie digestive haute et une iléo-coloscopie complète sont indispensables. Pour la maladie de Crohn, une évaluation de l’intestin grêle par entéro-IRM est recommandée (il faudra éviter l’utilisation du scanner chez les patients jeunes).
Selon les contextes, on pourra avoir besoin également :
• d’une IRM pelvienne en cas de suspicion de lésions ano-périnéales compliquées,
• d’une vidéo-capsule du grêle si les lésions observées semblent insuffisantes pour expliquer le tableau clinique et biologique (en l’absence de sténose digestive),
• d’une bili-IRM en cas d’anomalies incomprises et répétées du bilan hépatique (cholestase en particulier),
• d’une consultation de rhumatologie, de dermatologie ou d’ophtalmologie en cas de signes cliniques d’appel.
SURVEILLANCE À COURT ET LONG TERMES
Les MICI évoluent le plus souvent par poussées, entrecoupées de phases de rémission plus ou moins prolongée. Paradoxalement, la maladie peut continuer à évoluer silencieusement entre ces phases symptomatiques, ce qui rend nécessaire un suivi médical régulier.
La surveillance des MICI a pour objectifs d’évaluer l’efficacité d’un traitement, de détecter les poussées afin de réagir rapidement pour les traiter avant qu’elles ne s’aggravent et de prévenir l’apparition de complications.
L’endoscopie digestive est l’examen de référence dans le cadre de la surveillance.
Elle permet d’évaluer l’efficacité du traitement car l’objectif thérapeutique principal est l’obtention d’une cicatrisation muqueuse, associée à moins de rechutes, moins d’hospitalisations et moins de recours à la chirurgie.
Elle permet également de dépister la dysplasie et/ou le cancer colorectal associés pouvant compliquer les MICI coliques. Une coloscopie systématique doit ainsi être réalisée après 8 ans d’évolution de toute colite inflammatoire avec un rythme particulier qui dépendra de la stadification du risque.
La surveillance est aussi biologique puisqu’elle va ainsi permettre l’évaluation de l’efficacité du traitement par le dosage de la CRP (< 5 mg/L) et de la calprotectine fécale (< 250 mg/g de selles ou < 100 mg/g en situation post-opératoire). Elle permet également de surveiller l’état nutritionnel et de dépister les carences, en particulier en calcium et 25(OH)-vitamine D, a fortiori en cas de corticothérapie et/ou de maladie active.
La surveillance peut également être morphologique, en particulier avec l’entéro-IRM ou l’IRM périnéale, en fonction des situations cliniques.
nfin, la surveillance des MICI passe également par la surveillance de ces traitements.
Un traitement par dérivés 5-aminosalicylés (5-ASA) nécessite un contrôle semestriel de la créatininémie et de la protéinurie en raison du risque d’insuffisance rénale.
Un traitement immunosuppresseur par azathioprine ou 6-mercaptopurine nécessite une surveillance particulière de l’hémogramme et du bilan hépatique, compte tenu du risque d’hématotoxicité et/ou d’hépatotoxicité (toutes les semaines pendant les quatre premières semaines du traitement, puis tous les mois jusqu’au troisième mois de traitement, et enfin trimestrielle au long cours). Un surrisque de cancer cutané non mélanocytaire et de cancer du col de l’utérus a également été rapporté, conduisant ainsi à une surveillance dermatologique et gynécologique annuelle.
Un traitement par méthotrexate impose une surveillance hématologique et hépatique particulière (toutes les semaines pendant les quatre premières semaines du traitement, puis mensuelle pendant deux mois et enfin trimestrielle au long cours).
Une surveillance dermatologique est indispensable chez tous les malades traités par anti-TNF en raison d’un risque de cancer cutané mélanocytaire, surtout si cette molécule est associée à un immunosuppresseur.
Enfin, le tofacitinib, inhibiteur sélectif des Janus kinases, actuellement utilisé dans la RCH, peut être responsable d’une toxicité hématologique, hépatique et de perturbations du bilan lipidique.
Docteur Antoine Chupin (gastro-entérologie et endoscopie digestive, Clinique du Trocadéro, 62, rue de la Tour, 75116 Paris)
BIBLIOGRAPHIE
1. Molodecky NA, Soon IS, Rabi DM, Ghali WA, Ferris M, Chernoff G, et al. Increasing Incidence and Prevalence of the Inflammatory Bowel Diseases With Time, Based on Systematic Review. Gastroenterology 2012;142:46-54.e42x
2. Cosnes J, Gower-Rousseau C, Seksik P, Cortot A. Epidemiology and Natural History of Inflammatory Bowel Diseases. Gastroenterology 2011.
3. Cosnes J. Tabac et maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. In : Maladies inflammatoires de l’intestin. Progrès en hépato-gastroentérologie. Doin, Paris. 1998.
4. Andersson RE, Olaison G, Tysk C, Ekbom A. Appendectomy and protection against ulcerative colitis. N Engl J Med 2021.
5. Andersen V, Olsen A, Carbonnel F, Tjonneland A, Vogel U. Diet and risk of inflammatory bowel disease. Dig Liv Dis 2012.
6. Beaugerie L. La démarche diagnostique. In : Rampal P, Beaugerie L, Marteau P, Corthier G, eds. Colites infectieuses de l’adulte. Paris: John Libbey Eurotext, 2000.
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