INTRODUCTION
Infliximab, étanercept, golimumab, certolizumab pégol, tocilizumab, adalimumab, etc. Depuis la fin des années 1990, les biothérapies immunomodulatrices se sont multipliées. Si bien que plus de 20 molécules de ce type sont aujourd’hui autorisées dans le traitement de fond des maladies inflammatoires. Sans compter les spécialités biosimilaires – « de même composition qualitative et quantitative en substance active et de même forme pharmaceutique » (1) – qui s’accumulent au fil de l’expiration des brevets ; une dizaine sont disponibles rien que pour l’adalimumab.
Dans ce contexte, de plus en plus de sujets atteints de pathologies dysimmunitaires se voient prescrire une biothérapie… et de plus en plus de généralistes sont susceptibles d’être sollicités par des patients concernés. D’autant que ces médicaments constituent des traitements au long cours. Si bien que des notions de base sur ces produits et leur surveillance sont considérées utiles à tout médecin – en témoigne leur intégration aux « items de rang A », à maîtriser à l’issue du second cycle des études médicales (2).
GÉNÉRALITÉS
Définition
En fait, le terme « biothérapie », utilisé en routine, apparaît peu précis. D’abord, il peut se définir par opposition aux médicaments conventionnels, qui consistent classiquement en de petites molécules issues de la chimie. En fait, il désigne des médicaments biologiques (ou biomédicaments) issus de biotechnologies – autrement dit des principes actifs de taille plus importante produits par des cellules vivantes modifiées, dans des bioréacteurs. L’insuline, les facteurs de croissance, etc., peuvent être considérés comme des biothérapies.
Mais le mot « biothérapie » est en pratique surtout employé vis-à-vis d’anticorps monoclonaux et protéines recombinantes développés pour la plupart en oncologie (immunothérapies et thérapies ciblées) ou contre des maladies inflammatoires. Ces derniers traitements, qui présentent une activité anti-inflammatoire, sont aussi appelés par les Anglo-Saxons bDMARDs (pour biologic disease-modifying antirheumatic drugs) – qui les distinguent notamment des csDMARDs (conventional synthetic disease-
modifying antirheumatic drugs) tels que le méthotrexate.
Mode d’action
L’objectif de ces médicaments est simple : réduire de façon ciblée les phénomènes inflammatoires pathologiques.
Ainsi sont disponibles des anticorps monoclonaux et protéines recombinantes capables de neutraliser sélectivement certaines cytokines pro-inflammatoires ou leur récepteur. À l’instar des anti-TNF-alpha, anti-IL-1, anti-IL-5 et anti-IL-5R, anti-IL-6 et anti-IL6R, etc. (3).
D’autres biothérapies interagissent directement avec les lymphocytes B ou T, à l’instar du rituximab (anti-CD20, entraînant la lyse des lymphocytes B), de l’abatacept (ciblant le CTLA4, frein naturel de l’activation du lymphocyte T), du vedolizumab (anti-intégrine α4β7, présente sur le lymphocyte T pour recruter des leucocytes dans le tractus gastro-intestinal) ou encore du belimumab (anti-blys, facteur stimulateur de lymphocytes B) (3).
Indications
Au regard de cette multiplicité de cibles, ces médicaments sont actifs contre des pathologies dysimmunitaires diverses : maladies dermatologiques (psoriasis, lupus, etc.), maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique, etc.), rhumatismes articulaires (polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrites, rhumatisme psoriasique, etc.), asthme sévère, notamment.
Chaque biothérapie comporte un spectre d’indications différent. Par exemple, un anti-TNF-alpha comme l’adalimumab est autorisé dans des situations très diverses : polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite axiale, polyarthrite juvénile idiopathique, mais aussi maladie de Crohn, psoriasis, maladie de Verneuil et uvéite. Au contraire, les anti-IL-17, eux, sont indiqués uniquement dans le psoriasis et certains rhumatismes articulaires, et doivent être évités en cas de MICI.
Quoi qu’il en soit, toutes constituent des traitements de fond des pathologies inflammatoires.
Et, dans la plupart des cas, ces traitements ne sont pas indiqués en première ligne mais après échec d’un ou plusieurs anti-inflammatoires conventionnels comme les AINS ou le méthotrexate – auxquels ils peuvent être associés.
Parmi les raisons se trouvent des enjeux économiques : les biothérapies – qui ont certes « révolutionné » le traitement des maladies inflammatoires (4-5) – apparaissent particulièrement onéreuses. Par exemple, le coût d’une boîte de deux seringues ou stylos préremplis d’adalimumab 40 mg approche 560 euros (6) – et dépasse 450 euros pour certains de ses biosimilaires (7).
En outre, au regard de la nature des molécules utilisées, le traitement ne peut pas être administré par voie orale, mais uniquement par voie intraveineuse ou sous-cutanée : certaines biothérapies peuvent être auto-administrées par injection à l’aide de stylos – le plus souvent à un rythme hebdomadaire à mensuel –, et d’autres restent uniquement disponibles en perfusion, à l’hôpital.
Et surtout, ces médicaments sont associés à certains effets indésirables problématiques.
PRINCIPAUX EFFETS INDÉSIRABLES
Certes, au-delà de réactions locales au site d’injection, d’hypersensibilité ou de troubles généraux (céphalées, douleurs musculo-squelettiques, vertiges, troubles digestifs) secondaires à l’administration, les biothérapies apparaissent pour la plupart bien tolérées. Les effets secondaires graves, qui restent possibles, se révèlent rares ; en particulier aux plans hépatique et rénal puisque ces médicaments ne sont pas métabolisés par les voies classiques. D’où, d’ailleurs, une absence théorique d’interactions médicamenteuses. Seule exception notable : le tocilizumab, associé à un risque rare mais grave d’atteinte hépatique.
En fait, les données concernant ces effets indésirables apparaissent rassurantes sur nombre de signaux « historiques » : les études ne confirment finalement ni surrisque de cancer sous anti-TNF-alpha (bien qu’un risque de mélanome reste débattu), ni surrisque d’évènement cardiovasculaire sous anti-TNF-alpha, anti-IL-1 et anti-IL-6 (malgré une élévation du cholestérol total – mais pas du rapport LDL/HDL), etc. (8).
Cependant, du fait de leur activité immunomodulatrice, ces biothérapies induisent surtout une vulnérabilité aux infections, et en particulier aux pneumopathies.
BILAN PRÉ-THÉRAPEUTIQUE
La prescription de ces médicaments est très encadrée. Réservée à des spécialistes exerçant à l’hôpital, la primoprescription doit s’accompagner d’un bilan pré-thérapeutique auquel les généralistes peuvent contribuer.
Dépister des infections latentes
Objectif principal : s’assurer de l’absence d’infection sévère, seule contre-indication des biothérapies (au-delà de l’hypersensibilité au traitement). Est ainsi préconisé un dépistage non seulement des hépatites B et C, de l’infection à VIH mais aussi de la tuberculose latente, à la prévalence non négligeable dans la population française actuelle. Pour détecter cette dernière infection, les tests IGRA (comme le test Quantiféron) sont recommandés. Des infections bactériennes plus classiques doivent aussi être recherchées, à l’instar de kystes dentaires, d’otite chronique, etc.
Mettre à jour les vaccinations
Ce bilan constitue, de plus, l’occasion de vérifier et mettre à jour le statut vaccinal des patients, notamment concernant les vaccinations antigrippale et antipneumococcique (avec un schéma de primovaccination comprenant une injection par un vaccin anti-pneumococcique conjugué puis une seconde deux mois plus tard par un vaccin antipneumococcique polysaccharidique) (9).
SUIVI
Mais les médecins traitants sont surtout requis pour le suivi à long terme des biothérapies, à réaliser en marge de la surveillance spécialisée. Cette dernière doit être réalisée à un rythme quadrimestriel ou trimestriel au cours de la première année de traitement, puis annuellement. Et ce, même si le renouvellement reste l’apanage de spécialistes hospitaliers – ou de ville, pour quelques biothérapies (adalimumab, étanercept, abatacept, golimumab, certolizumab pégol et anakinra) qui ont vu leur renouvellement légèrement ouvert (aux spécialistes en ville) par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en 2020 du fait de « l’expérience acquise en pratique clinique et du recul disponible en termes de pharmacovigilance » (10).
Lutte contre les infections
Le premier axe de ce suivi relève, là encore, de la lutte contre les infections, avec, en prévention, maintenance de la protection vaccinale des patients : revaccination contre la grippe chaque hiver, contre le pneumocoque au maximum tous les cinq ans, etc.
À noter que les sujets sous biothérapie sont par ailleurs considérés comme des sujets immunodéprimés prioritaires pour la vaccination anti-Covid-19 – encore éligibles à des rappels réguliers.
En outre, les généralistes sont particulièrement bien placés pour repérer et prendre en charge d’éventuelles infections intercurrentes, en particulier bactériennes. En cas de suspicion sont indiqués des antibiotiques et éventuellement une suspension du traitement biologique jusqu’à la fin de l’infection – bien que l’utilité de cette mesure fasse débat du fait de la longue demi-vie des anticorps monoclonaux. La vigilance est par ailleurs de mise quant à un risque de sepsis ou d’infection grave, qui justifient un adressage aux urgences.
Tolérance des traitements conventionnels
Il incombe par ailleurs aux généralistes de s’assurer de la tolérance des médicaments conventionnels coprescrits dans le traitement des maladies inflammatoires. Pour rappel, le méthotrexate, utilisé par la moitié des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde sous biothérapie, nécessite une surveillance clinique et biologique (des fonctions hépatique et rénale, et de la formule sanguine) tous les deux à trois mois. De la même façon, alors que la moitié des patients spondylarthritiques traités par biothérapie suivent aussi un traitement par AINS, les effets indésirables, notamment digestifs, de ces médicaments sont à prévenir et surveiller.
Appréciation de l’efficacité de la thérapie
Le suivi de la réponse exacte aux biothérapies, qui peut nécessiter de recourir à des examens biologiques complexes, relève généralement de l’expertise de spécialistes hospitaliers.
Toutefois, il est possible d’apprécier globalement l’efficacité du traitement, qui peut diminuer au cours du temps, notamment du fait du développement d’une immunité contre la thérapie.
Et, pour favoriser l’efficacité, un enjeu de la prise en charge en ville concerne l’observance des biothérapies auto-injectables, globalement meilleure qu’avec les médicaments conventionnels, mais toujours suboptimale (11). À noter que les dispositifs d’injection peuvent différer légèrement d’une spécialité à l’autre – y compris entre biothérapies princeps et biosimilaires, voire entre biosimilaires. Aussi, en cas de difficultés pratiques, un adressage au spécialiste pour révision de la prescription peut être envisagé.
Prise en charge des poussées inflammatoires
Autre élément du suivi : la prise en charge immédiate, en premier recours, des poussées des maladies inflammatoires par antalgiques. Dans ce contexte, le traitement de fond par anti-inflammatoires conventionnels (corticothérapie, AINS) peut être modulé.
Prise en charge des comorbidités
Et, au-delà de la tolérance et de l’efficacité des biothérapies, un élément clé du suivi des patients concerne la prise en charge des comorbidités des patients traités par biothérapie (à l’instar de l’anxiété et de la dépression, très fréquentes chez ces sujets). Mais c’est surtout le risque cardiovasculaire qui doit attirer l’attention des généralistes. Car les facteurs de risque apparaissent particulièrement prévalents parmi les patients sous biothérapie : deux tiers des sujets atteints de polyarthrite rhumatoïde présentent également un surpoids voire une obésité, un tiers un tabagisme, 40 % une hypertension, etc. S’ajoute une inflammation systémique liée à la pathologie dysimmunitaire. D’où une surmortalité cardiovasculaire non négligeable puisque de 50 % (12). Or des études montrent que face aux pathologies dysimmunitaires, la prise en charge de ces comorbidités et risques tend à être laissée par les généralistes – avec par exemple un taux de correction des facteurs de risques cardiovasculaires classiques moindres – aux spécialistes (rhumatologues, gastro-entérologues, etc.), pourtant moins rompus à l’exercice de la prévention et de la prescription de traitements hypocholestérolémiants, antihypertenseurs, etc.
Irène Lacamp (rédactrice et pharmacienne) avec le Pr René-Marc Flipo (rhumatologue au CHU de Lille)
BIBLIOGRAPHIE
1 - Code de la Santé publique, article L5121-1.
2 - Collège Français des enseignants en rhumatologie, Biothérapies et thérapies ciblées, Item 202 UE VIII [En ligne] [cité le 3 mars 2023] Disponible : http://www.lecofer.org/item-objectifs-0-22-0.php
3 - Université de Lille, Acthera, Guide des anticorps monoclonaux à usage thérapeutique, [En ligne] [cité le 3 mars 2023] Disponible : https://acthera.univ-lille.fr
4 - L. Peyrin-Biroulet, Les biothérapies : une véritable révolution dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales, La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue, 2008, Vol. XI n°3.
5 - M-C. Boissier, La révolution tranquille des biothérapies ciblées en rhumatologie, In : Biothérapies en rhumatologie, Paris, Springer, 2011.
6 - Vidal, Humira [En ligne] [cité le 3 mars 2023] Disponible : https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/humira-23865.html
7 - Vidal, Amgevita [En ligne] [cité le 3 mars 2023] Disponible : https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/amgevita-81666.html
8 - G. Fleury, C. Gabay, Effets secondaires des traitements biologiques, Revue médicale suisse, 2017, n°553.
9 - Ministère de la Santé, Calendrier des vaccinations et recommandations vaccinales 2022 [En ligne] 2022 [cité le 3 mars 2023] Disponible : https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/vaccinatio…
10 - ANSM, Modification des conditions de prescription et délivrance de certaines biothérapies utilisées dans le traitement de maladies inflammatoires chroniques [En ligne] 2020 [cité le 3 mars 2023] Disponible : https://ansm.sante.fr/actualites/modification-des-conditions-de-prescri…
11 - S. Ottaviani, M. Forien, L’observance des biothérapies : état des lieux, Revue des Maladies respiratoires, 2021, Vol. 38 n°7.
12 - Avina-Zubieta JA, Thomas J, Sadatsafavi M, Lehman AJ, Lacaille D. Risk of incident cardiovascular events in patients with rheumatoid arthritis : a meta-analysis of observational studies. Ann Rheum Dis 2012;71:1524–9.
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
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