INTRODUCTION
L’insulinothérapie fonctionnelle était une option au tout début des années 2000, enseignée aux patients dans quelques centres avant-gardistes dans des sessions d’éducation thérapeutique du patient (ETP). Longtemps confidentielle, elle est devenue la règle ces dernières années, sans laquelle il n’est plus possible de viser un équilibre glycémique ni une qualité de vie satisfaisants.
Classiquement, il y a plus d’une vingtaine d’années, l’insulinothérapie se caractérisait par des doses fixes d’insuline NPH et d’insuline rapide, en mélanges fixes ou en injections séparées, et un plan alimentaire fixe (quantité et répartition identiques des glucides d’un jour à l’autre), règles auxquelles il ne fallait pas déroger. Dans l’optique de libérer le patient diabétique de type 1, voire le sujet diabétique de type 2 sous multi-injections, de ce carcan contraignant, le concept d’insulinothérapie fonctionnelle (IF) a été enseigné pour une plus grande autonomie du malade, à même de comprendre ses besoins en insuline et d’ajuster – seul – sa glycémie au moyen de bolus insuliniques calculés en fonction de son mode de vie, de son alimentation et de ses dépenses énergétiques.
L’arrivée des analogues rapides puis lents au début des années 2000 et des pompes à insuline a permis cette évolution.
Mais l’IF a été bouleversée par l’arrivée d’une nouvelle façon de réaliser l’auto-surveillance glycémique, et en particulier par le flash glucose monitoring avec le FreeStyle Libre, remboursé en 2016 pour tous les diabétiques de types 1 et 2 sous multi-injections.
EN RÉSUMÉ
• L’insulinothérapie fonctionnelle constitue une « gestion thérapeutique » permettant au patient davantage d’autonomie avec un meilleur contrôle glycémique.
• Elle a été surtout possible grâce aux progrès des outils de mesure continue de la glycémie, à l’évolution des insulines disponibles, mais aussi à l’utilisation des pompes à insuline.
• La mesure continue du glucose pousse à cette personnalisation de la thérapeutique puisque le patient dispose facilement, et de façon exhaustive, de ses propres données glycémiques.
• Une grande proportion de patients, la plupart sous pompe à insuline, font même du « micro-bolusing » avec des micro-corrections, toutes les 1-2 heures.
• L’arrivée, fin 2020, d’un MCG sans nécessité de calibration (Dexcom G6) et la version 2 du FreeStyle Libre attendue courant 2021 avec des alarmes en cas d’hypo et d’hyperglycémie renforcera l’autonomie du patient.
• Le médecin généraliste a un rôle important de soutien et de motivation du patient diabétique, d’encouragement en cas de perte de suivi.
DÉFINITION
Pour le patient diabétique de type 1, l’objectif d’une insulinothérapie optimisée est de reproduire au mieux la sécrétion physiologique de l’insuline au cours des 24 heures, en incluant la période de sommeil, les repas et l’activité physique. L’insulinothérapie fonctionnelle, un concept né avec les insulines basales (sans pics) à la fin des années 1990, a vu un changement dans la prise en charge du diabète de type 1. Grâce à l’arrivée de nouvelles insulines basales, les patients avaient la possibilité de réaliser l’IF, un nouveau principe de traitement de gestion de l’insuline (encore appelée insulinothérapie flexible par basal-bolus). Selon ce principe, les patients disposaient d’une insuline basale qui leur permettait de vivre et de rester à jeun, et d’insulines rapides injectées au moment de leurs prises alimentaires, pouvant intervenir à des horaires variables.
L’éducation des patients autour de l’IF s’est ensuite développée afin de leur apprendre à gérer la dose d’insuline rapide à injecter en fonction des qualité et quantité des apports alimentaires : comptage des glucides ingérés, détermination du facteur de conversion (ratio insuline/glucides) personnel à chaque patient.
LES GRANDS PRINCIPES
L’insulinothérapie fonctionnelle est d’abord basée sur le comptage de glucides et la prise en compte de l’activité physique.
→ Le comptage des glucides ingérés est fonction du facteur de conversion personnel à chaque patient pour finalement convertir la quantité de glucides (G, en gramme) en dose d’insuline (I, en unité). Le rapport I : G est la quantité de glucides qu’une unité d’insuline rapide met à la disposition des cellules de l’organisme pour leur consommation. Ce rapport est fonction de chaque individu. Exemple : une personne présente un rapport I : G de 1 : 10. Elle devra diviser 45 grammes de glucides par 10 pour obtenir la quantité d’insuline nécessaire pour couvrir les glucides de ce repas, soit 4,5 unités d’insuline rapide. Cette évaluation est faite par le diabétologue.
→ La prise en compte de l’effort physique est aussi nécessaire pour l’IF. L’effort physique augmente la sensibilité des récepteurs à l’insuline pendant l’effort, mais également au cours des heures et des jours qui suivent. Son intensité, sa durée ainsi que le temps écoulé depuis le dernier repas sont des paramètres dont il faut tenir compte (2). Une diminution sur le bolus d'analogue rapide qui suit la période d'effort ne sera nécessaire que si la glycémie de fin d'activité est inférieure à 1,20 g/L. Si l’activité prévue est importante, une diminution sur l’insuline basale (hors pompe, faute d’insuline basale dans le dispositif) se justifie en cas d’activité particulièrement intense (semi-marathon, etc.).
→ L’épreuve systématique de jeûne remise en cause. L’IF d’aujourd’hui signe la fin de l’épreuve du jeûne et de l’hospitalisation systématiques. La détermination du niveau d’insuline basale, correspondant à la dose d’insuline lente ou aux débits de base de la pompe, est un prérequis à l’IF. Les besoins individualisés ont, de manière consensuelle et jusque récemment, été définis au cours d’un jeûne de 24 heures. Des mesures rapprochées des glycémies capillaires et des corrections (des hypoglycémies par ingestion de 15 g de glucides ou des hyperglycémies par injection d’une unité d’insuline au-delà de 1,30 g/l) sont effectuées à cette occasion. Une fois la basale déterminée, les doses d’insuline correctrices en vue de ramener la glycémie au plus près de l’objectif peuvent alors être déterminées.
Cette épreuve est encore pratiquée mais elle est remise en question.
L’une des propositions actuelles est que l’épreuve de jeûne n’est plus utile puisque la mesure continue du glucose fournit (1) des courbes nocturnes du patient, par définition à jeun, qui sont de très bons indicateurs pour adapter la dose de basale. De plus, le concept selon lequel la dose d’insuline basale peut être déterminée par l’épreuve de jeûne n’est pas tout à fait exact physiologiquement parlant car, dans la situation d’un jeûne de 24 heures, la sécrétion insulinique, en particulier nocturne, est plus faible comparativement aux nuits précédentes (3-4).
Néanmoins, l’épreuve de jeûne peut s’avérer un outil intéressant pour travailler sur une problématique de variabilité glycémique postprandiale, situation fréquente pour les personnes diabétiques de type 1. En supprimant toute variabilité (les courbes d’épreuve de jeûne sont en général très plates), l’épreuve de jeûne permet au patient de réaliser que la variabilité glycémique vient de l’alimentation, pour faciliter ensuite un travail sur l’évaluation de la dose d’insuline du repas. À cette fin, il n’est pas forcément utile de procéder à un jeûne complet. Sauter un seul repas est aussi efficace, en particulier le soir, lorsque l’on veut évaluer l’impact nocturne du repas du soir.
L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT À L’IF
• Concernant la détermination des paramètres de l’IF et l’éducation thérapeutique du patient, l’hospitalisation ne se justifie plus. Bien qu’elle soit encore effectuée par certains centres, sa réalisation n’est plus systématique. L’éducation thérapeutique du patient et l’apprentissage de l’IF sont de plus en plus souvent délivrés en ambulatoire, au cours d’entretiens individuels, entre personnel médical et paramédical et dans le cadre d’une prise en charge pluridisciplinaire. En effet, aujourd’hui, les dispositifs de MCG permettent d’expérimenter en ambulatoire, dans la vie réelle, de façon plus pertinente qu’à l’hôpital (1). De plus, ces systèmes donnent la possibilité d’assurer la sécurité des patients grâce, d’une part, aux alarmes dont ils sont potentiellement équipés en cas de situation à risque et, d’autre part, à la télésurveillance également rendue possible par la transmission automatique des données.
LA MESURE CONTINUE DU GLUCOSE
La mesure continue du glucose a bouleversé l’insulinothérapie fonctionnelle.
Dans les années 2010, avec l’arrivée de la pompe Medtronic Paradigm® Veo, la mesure en continue du glucose (MCG), non remboursée à l’époque, a bouleversé la pratique de l’IF chez les patients diabétiques de type 1 (1). Avantage majeur : les MCG ont permis une réduction considérable du temps passé en hypoglycémie (5).
Avant l’arrivée de la MCG, les contrôles glycémiques au bout du doigt étaient très codifiés (entre 4 et 6 fois par jour en moyenne, avec la préconisation de contrôler à des intervalles de 3 heures, durée après laquelle il n’y avait plus d’insuline active dans l’organisme). De plus, les patients ne disposaient que d’une valeur chiffrée. Avec la MCG, ils ont désormais accès très facilement à la valeur du glucose sous-cutanée (via un écran ou un simple « scan » du capteur), valeur qui varie toutes les 5 minutes. Ils ont également accès à une courbe des valeurs glycémiques des dernières heures et même à une flèche de tendance glycémique. Du fait de ces informations supplémentaires ajoutées à la simplicité du contrôle, les patients se contrôlent en moyenne plus d’une dizaine de fois par jour et ont modifié leur façon de gérer leur traitement insulinique.
Autre fait assez récent à côté de cette mesure continue du glucose : depuis quatre ans sont arrivées sur le marché de nouvelles insulines (les ultra-rapides et à l'inverse les ultra-lentes) mais également des pompes couplées à une mesure continue du glucose avec arrêt automatique ; cette fonctionnalité permet une suspension automatique de l’insuline en fonction de la valeur du glucose.
L’évènement qui a le plus bouleversé l’insulinothérapie est la commercialisation en 2016 du système FreeStyle Libre, fondé sur la glycémie interstitielle. Sa facilité d’utilisation est telle que les patients peuvent scanner (scanner ou smartphone) en moyenne 12 à 15 fois par jour. Résultat : le nombre élevé de contrôles décèle plus d’anomalies glycémiques, objective des hypoglycémies asymptomatiques, etc. Le dogme des 3 heures est donc tombé avec la généralisation du monitoring en continu du glucose facilité, qui permet d’observer des valeurs auparavant inaperçues et d’agir en fonction. La courbe glycémique et la flèche de tendance permettent une meilleure décision sur la conduite à tenir. Avec ces outils, les patients ont eux-mêmes adapté les principes de l’IF, avec des bolus correctifs notamment en postprandial avant 3 heures. Une décision même davantage facilitée chez les diabétiques sous pompe à insuline (environ 50 % des diabétiques de type 1 sont équipés de pompe), où l’assistant bolus de la pompe tient compte de l’insulinémie résiduelle.
LE CHANGEMENT DE TIMING
Toutes ces innovations dans les contrôles des glycémies ont changé le timing des injections de bolus d’insuline. Dès les débuts de l’IF, les patients ont eu tendance à réaliser leur injection d’insuline en cours de repas ou à la fin du repas, afin de savoir exactement combien de glucides ils avaient ingérés. La MCG a montré que ce procédé entraînait des pics glycémiques importants aux repas (pic s’élevant jusqu’à parfois 4 g/L), avant de redescendre rapidement. Or, non seulement cette variabilité peut être ressentie de façon désagréable, mais elle est potentiellement délétère, en particulier sur le risque cardio-vasculaire. Les patients qui pratiquent l’IF ne doivent donc plus être encouragés à effectuer leur injection d’insuline après les repas. Les courbes de MCG les aident beaucoup à appréhender ce problème et à « gommer » des pics insuliniques qui passaient inaperçus avant le MCG. Pour résumer, il est préférable, pour les patients, de faire le bolus avant la prise alimentaire avec une estimation des glucides, et de s’injecter éventuellement un autre bolus insulinique après le repas, après vérification de la glycémie (méthode du double bolus).
Le resucrage fait aussi sa révolution : désormais, les patients anticipent l’hypoglycémie avant même qu’elle n’arrive avec, de ce fait, des stratégies de prévention (« resucrage préventif ») et d’ajustement des glucides. La règle de resucrage de 15 g fixes de glucides (sucres rapides) est devenue fausse. Le patient est en mesure désormais d’adapter la quantité de glucides rapides en fonction du niveau glycémique et d’insuline active (résiduelle).
LES DERNIÈRES INNOVATIONS
→ Les assistants bolus des pompes à insuline prennent en compte l’insuline active. Ces assistants bolus sont des systèmes qui calculent automatiquement la dose d’insuline du patient avec des données à saisir (valeur glycémique et quantité de glucides en g/L), en fonction des paramètres prédéfinis (ratio insuline/glucides individualisé, coefficient de sensibilité qui reflète l’action hypoglycémiante de l’insuline chez le patient). À partir de la glycémie et des glucides, l’assistant bolus propose la dose d’insuline, rapidement et en prenant en compte l’insuline active (ou résiduelle), c’est-à-dire celle qui a été injectée et qui, à un instant T, doit encore faire de l’effet. Cette insuline active est automatiquement indiquée chez les patients traités par pompe à insuline.
→ La boucle fermée, avec le pancréas artificiel. Le pancréas artificiel est un dispositif censé mimer la fonction de sécrétion d’insuline par le pancréas, au moyen d’un capteur de glycémie en continu et d’un algorithme d’intelligence artificielle (IA) qui calcule la dose d’insuline adéquate et commande sa délivrance automatique par une pompe. Avec la boucle fermée, dont le premier système devrait être commercialisé courant 2021, le patient n’a plus la main sur la dose d’insuline. Il devient un technicien (calibrer le système, répondre aux alertes, etc.). Mais parce que le mode « pilotage automatique » n’est pas encore possible, il devra comptabiliser ses glucides et déclarer son activité physique. Or, avec l’habitude, beaucoup de patients diabétiques ne raisonnent plus en glucides mais directement en doses d’insuline, tout en sachant l’adapter à leur alimentation (100 g de pâtes = X unités d’insuline dans mon cas personnel). Ils pratiquent alors des micro-corrections tout au long de la journée (micro-bolusing) ; le MCG permettant de se détacher du comptage des glucides.
À l’exigence de l’insulinothérapie fonctionnelle d’être proactif, le pancréas artificiel n’exige du patient que d’obéir à la pompe. Néanmoins, ce dernier est un formidable progrès, très intéressant chez les diabétiques déséquilibrés. Pour les autres, il allège considérablement la charge mentale. L’IF laissera dans un grand nombre de cas la place au pancréas artificiel et se résumera alors au comptage des glucides.
POUR EN SAVOIR PLUS
Practical implementation, education and interpretation guidelines for continuous glucose monitoring: A French position statement.
Borot S, Benhamou PY, Atlan C, Bismuth E, et coll.
Société francophone du diabète (SFD), Société française d’endocrinologie (SFE).
Évaluation dans le diabète des implants actifs Group (EVADIAC). Diabetes Metab. 2018 Feb;44(1):61-72. doi: 10.1016/j.diabet.2017.10.009. Epub 2017 Nov 11. PMID: 29174479.
Bibliographie
1 - H. Hanaire et al. Education à l'utilisation pratique et à l'interprétation de la Mesure Continue du Glucose : position d'experts français, Médecine des Maladies Métaboliques, Volume 11, Issue 4, Supplement 1, 2017, Pages S1-S37.
2 - Michel Piperno, Diabète et activité physique. Diabétologie ; 3e Edition. Elsevier Masson (03/2019).
3 - Klein S. et al, Progressive alterations in lipid and glucose metabolism during short-term fasting in young adult men. Am J physiol, 1993. https://doi.org/10.1152/ajpendo.1993.265.5.E801
4 - Hoeks J et al, Prolonged Fasting Identifies Skeletal Muscle Mitochondrial Dysfunction as Consequence Rather Than Cause of Human Insulin Resistance. Diabetes 2010 Sep; 59(9): 2117-2125.
5 - Novel glucose-sensing technology and hypoglycaemia in type 1 diabetes: a multicentre, non-masked, randomised controlled trial. Lancet. 2016 Nov 5;388(10057):2254-2263.
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