Impact des normes sociales sur les gros prescripteurs d'antibiotiques en médecine générale : essai randomisé pragmatique.
Provision of social norm feedback to high prescribers of antibiotics in general practice: a pragmatic national rando-mised controlled trial. Hallsworth M, Chadborn T, Sallis A et al. Lancet 18 février 2016. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(16)00215-4.
CONTEXTE
L’augmentation des résistances bactériennes est un réel pro-blème de santé publique mondial ayant des conséquences potentiellement graves (1). Une des principales causes des résistances est la prescription inappropriée d’antibiotiques (2). Dans ce domaine, la médecine générale est responsable d’une grande proportion des prescriptions et directement impliquée dans le phénomène des résistances (3). Enfin, les interventions de type feedback sur les médecins pour modifier leurs pratiques ont montré des résultats contrastés et concernaient rarement l’antibiothérapie (4).
OBJECTIF
→ Mesurer l’impact de deux feedback de type « norme sociale » sur l’utilisation inappropriée des antibiotiques des gros prescripteurs.MÉTHODE
→ Essai randomisé en plan factoriel 2 x 2. Les cabinets de médecine générale dont le taux de prescriptions d’antibiotiques était dans le top 20 de leur région ont été sélectionnés. Ils ne savaient pas qu’ils étaient inclus dans un essai. Ils ont été randomisés une première fois en octobre 2014 : les médecins du groupe intervention recevaient une lettre officielle les informant qu’ils étaient dans le top 20 des gros prescripteurs, les enjoignait à la réduire et à donner des conseils d’automédication et de bon sens aux patients.Le groupe témoin ne recevait aucune information. Ensuite, ils ont été randomisés une seconde fois en décembre 2014 : le groupe intervention recevait un poster destiné aux patients sur le bon usage des antibiotiques et des conseils d’automédication. Ce poster était affiché dans la salle d’attente. Le groupe témoin ne recevait aucune intervention.
→ Le critère de jugement principal était le nombre de prescriptions d’antibiotiques pour 1 000 personnes par mois pendant 3 ou 6 mois (octobre 2014-mars 2015) selon les randomisations. L’analyse statistique a été faite mensuellement en intention « d’intervention » à l’aide d’un modèle de régression à effet fixe.
RÉSULTATS
→ La première randomisation a alloué 790 cabinets médicaux au groupe témoin (GT1) et 791 au groupe lettre officielle + conseils (LOC). La seconde randomisation a alloué 402 cabinets au groupe témoin (GT2 = aucune intervention), 402 au groupe LOC + GT1, 388 au groupe poster patient (GT1 + PP) et 389 au groupe ayant reçu les 2 interventions (LOC + PP). Tous ces groupes étaient comparables en termes de nombre de médecins, caractéristiques de la patientèle inscrite sur leurs listes (âge et genre) et de nombre de prescriptions d’antibiotiques dans le mois précédant la randomisation (environ 111/1 000p/mois).→ Dans les trois mois suivant la première randomisation, il y a eu significativement moins de prescriptions d’anti-biotiques dans le groupe LOC vs GT1 : 127/1 000p/mois vs 131, p = 0,0001. Cette différence était significative dès le premier mois et a été observée chaque mois pendant 3 mois puis pendant 3 mois supplémentaires. En termes absolus elle était de - 4,27 prescriptions/1 000p/mois.
→ À la suite de la seconde randomisation, il n’y a pas eu de différence à 3 mois entre le groupe PP et le groupe GT2 : 138/1 000p/mois, vs 136, p = 0,07. En revanche, il y a eu une différence à 6 mois entre le groupe LOC + GT et le groupe GT2 : 131/1 000p/mois vs 136, p < 0,001 (dif-férence absolue = -4,49/1 000p/mois), et une différence à 6 mois entre le groupe LOC + PP et le groupe n’ayant reçu aucune intervention : 133/1 000p/mois vs 136, p = 0,002 (différence absolue = -3,3/1000p/mois).
COMMENTAIRES
→ Les essais randomisés d’intervention sur les généralistes dans le but de modifier leurs pratiques sont rares et très difficiles à mettre en œuvre. Celui-ci est particulièrement élégant, méthodologiquement original et rigoureux. Comme les médecins étaient en insu de l’essai, il y a eu peu d’effet Hawthorne (les médecins ont tendance à modifier leurs pratiques quand il se savent observés) (5).→ Pour résumer, une intervention indirecte sur les médecins via les patients semble inefficace alors qu’une intervention directe semble effective. Une courte et simple lettre argumentée en provenance d’une autorité médicale reconnue et pointant du doigt un excès de prescriptionsest capable de réduire l’utilisation inappropriée des antibiotiques des gros prescripteurs. Cependant, si la différence est très significative entre le groupe témoin et le groupe LOC, la quantité d’effet observée est modeste : environ 5 prescriptions en moins pour 1 000 personnes par mois. Il n’est pas certain que cette grosse goutte d’eau dans les millions de prescriptions annuelles soit susceptible de faire reculer l’augmentation des résistances bactériennes.
→ Cet essai montre enfin que les autorités de santé britanniques n’hésitent à investir de l’argent dans la recherche en médecine générale sur des sujets importants, ce qui n’est pas suffisamment le cas en France.
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