Si les informations sur Internet permettent aux voyageurs de disposer d’informations de qualité en libre accès, l’expertise du Bulletin épidémiologique hebdomadaire reste incontournable pour les cliniciens. D’autant que de nouvelles thématiques font leur apparition cette année…
FIÈVRE JAUNE
► Qu’elle soit administrativement obligatoire ou non, la vaccination contre la fièvre jaune est indispensable pour un séjour dans une zone endémique (régions intertropicales d’Afrique et d’Amérique du Sud) ou épidémique.
► Le cas échéant, l’obligation vaccinale concerne les nourrissons à partir d’un an. Néanmoins, la vaccination est recommandée plus tôt, dès neuf mois, pour les enfants se rendant dans une zone à risque, voire dès six mois pour un voyage en milieu rural, forestier ou en cas d’épidémie.
► La combinaison des risques de transmission, d’obligation en fonction de la provenance, des escales au cours du voyage et de l’âge fait apparaître 16 situations différentes de prescription de la vaccination anti-amarile. Un tableau par pays est donc maintenant proposé par le BEH. N’oublions pas que cette vaccination est obligatoire pour les résidents de Guyane et pour les voyageurs qui s’y rendent.
► Comme tout vaccin vivant atténué, Stamaril® ne doit pas être administré à la femme enceinte, sauf en cas de réelle nécessité et impossibilité de différer le voyage. Cependant, la base de données du CRAT (2) ne révèle pas de tératogénicité. En cas d’allaitement maternel, compte tenu de la virémie maternelle post-vaccinale, il est préférable de suspendre l’allaitement pendant une quinzaine de jours après la vaccination (1), en particulier si l’enfant a moins de six mois (s’il a plus de six mois, il peut être vacciné).
► La drépanocytose (traitée ou non) n’est pas une contre-indication, contrairement aux antécédents de dysfonction du thymus (incluant myasthenia gravis, thymome, thymectomie). Une irradiation indirecte du thymus (radiothérapie pour cancer du sein en particulier) n’est pas une contre-indication. Dans l’absolu, tout déficit immunitaire, congénital ou acquis contre-indique l’administration de vaccins vivants ; en pratique, certaines situations l’autorisent, comme une personne vivant avec le VIH ayant des CD4 > 200/mm3 (nécessité de consulter le document du HCSP au cas par cas [3]).
► La vaccination doit avoir lieu au moins 10 jours avant le départ, dans un centre agréé. Le rappel décennal a été aboli par l’OMS… Mais trois exceptions justifient un rappel au bout de 10 ans :
– Les femmes ayant été vaccinées en cours de grossesse.
– Les personnes vivant avec le VIH ou immunodéprimées, sans contre-indication. Un CD4 < 200 / mm3 est une contre-indication, de même qu’une transplantation d’organe, une greffe de cellules-souches hématopoïétiques datant de moins de 24 mois, une chimio en cours ou < 6 mois.
– Circulation active du virus dans le pays visité.
► Lorsque le voyageur ne peut pas être vacciné, le voyage doit être fortement découragé.
À défaut, un certificat de contre-indication à la vaccination anti-amarile doit être produit – en anglais ou en français +/- dans la langue du pays de destination –, soit par le centre de vaccinations internationales, soit par le médecin traitant.
PALUDISME : ÉVALUER LE RISQUE
► En France, le nombre de cas déclarés a augmenté de 8,5 % par rapport à 2016. Dans 97,5 % des cas, la contamination a eu lieu en Afrique subsaharienne ; dans 84 % des cas, il s’agit d’un patient d’origine africaine, résidant en France ou arrivant d’Afrique. P. falciparum est retrouvé 9 fois sur 10.
► Les recommandations sont en perpétuelle évolution : en 2016, l’OMS a certifié le Kirghizistan et le Sri Lanka comme « exempts de paludisme », et identifié 21 pays ayant le potentiel pour éliminer cette maladie d’ici 2020.
► Le BEH distingue schématiquement deux profils de voyage qui conditionnent la chimioprophylaxie :
« Conventionnel » : séjour < 1 mois, majoritairement en zone urbaine ou sur des sites touristiques classiques +/- quelques nuitées en zone rurale mais dans des conditions d’hébergement satisfaisantes (hôtel, maison) ;
« Non conventionnel » (routard, militaire, séjour improvisé, mission humanitaire, exploration scientifique…) : durée > 1 mois ET/OU proportion élevée de nuitées en zone rurale ET/OU en hébergement précaire ET/OU pendant la saison des pluies ou dans une région de forte transmission palustre.
► Compte tenu de l’évolution épidémiologique du paludisme, dans la majorité des cas, pour les séjours « conventionnels » dans les zones à faible risque d’Amérique et d’Asie tropicales – majoritairement concernées par P. Vivax –, la chimioprophylaxie antipaludique (CPAP) n’est plus justifiée, et la prévention personnelle antivectorielle (PPAV) peut être la seule mesure de prévention. Quelques rares nuitées en zone rurale ne remettent pas en cause l’abstention de CPAP dans ces zones. La PPAV participe également à la prévention des arboviroses, notamment les répulsifs à base de DEET, qui doivent dorénavant disposer d’une AMM. En cas de risque élevé d’impaludation (ex : Afrique subsaharienne, Papouasie), l’association PPAV + CPAP est toujours nécessaire.
► Attention, cependant : l’identification du pays de destination est insuffisante ; il faut aussi tenir compte de la région visitée et analyser minutieusement le trajet du voyageur qui peut être exposé par intermittence lors de son périple, même si la majorité des cas surviennent sur des séjours > 1 mois. Le risque de transmission est également plus élevé en saison des pluies et dans les 4-6 semaines qui suivent. Le paludisme ne se transmet habituellement pas au-dessus de 1 500 mètres d’altitude en Afrique et de 2 500 mètres en Amérique ou en Asie.
► Il n’y a généralement pas de transmission du paludisme dans les grandes villes du Proche et du Moyen-Orient, du reste de l’Asie (excepté en Inde) et d’Amérique du Sud (excepté en Amazonie).
► Tout antipaludique ne peut être délivré que sur ordonnance. Les capacités financières sont un obstacle majeur à l’observance, mais l’achat de molécules sur place ou par Internet doit être découragé. Un traitement curatif présomptif, sans avis médical, doit rester l’exception, et ne s’impose qu’en l’absence de possibilité de prise en charge médicale dans les 12 heures suivant l’apparition de la fièvre. Lorsqu’on voyage avec un enfant (chez qui le traitement de réserve n’a pas été évalué), une consultation médicale dans les 12 heures maximum devrait toujours être possible, car l’évolution vers un accès grave est imprévisible.
► Enfin, même lorsqu’elle est optimale, l’observance ne garantit jamais une protection absolue : toute fièvre au retour des tropiques doit être considérée comme pouvant être d’origine palustre et prise en charge en urgence. Environ 3 % des paludismes à P. Falciparum sont encore observés plus de deux mois après le retour.
Prévention à p. falciparum : les indications
La chloroquine doit être réservée aux rares indications de CPAP dans la zone Amérique tropicale/Caraïbes (absence de résistance).
L'association atovaquone-proguanil, la doxycycline et la méfloquine sont les trois médicaments qui dominent la prévention du paludisme P. falciparum.
L'association chloroquine-proguanil est réservée aux très rares situations où il y aurait une contre-indication aux trois principaux antipaludiques, en Afrique subsaharienne uniquement, et en informant le voyageur d’une efficacité limitée.
Quand déconseiller un voyage en raison du risque palustre
Le rôle du médecin ne limite pas à trancher entre prescription et non-prescription : certains voyages doivent être déconseillés chez les patients à risque de paludisme grave – quel que soit le niveau de transmission. A savoir : - les femmes enceintes, - les nourrissons et jeunes enfants (< 6 ans), - les personnes âgées, - les patients infectés par le VIH ou aspléniques.
L' ENCÉPHALITE À TIQUES
► Les choses sont moins floues concernant l’encéphalite à tiques. La vaccination est recommandée pour les séjours en zone rurale ou boisée dans les régions d’endémie du printemps à l’automne : Europe centrale (dès l’Allemagne), orientale et septentrionale, nord de l’Asie centrale, nord de la Chine et le nord du Japon (île d’Hokkaïdo).
Les deux vaccins disponibles (Ticovac® et Encepur®) protègent contre les deux sous-types de virus.
L' ENCÉPHALITE JAPONAISE
► La question de la vaccination contre l’encéphalite japonaise est complexe et peut volontiers nécessiter une consultation de médecine spécialisée.
Le BEH 2018 ne présente plus les régions concernées sous la forme d’un planisphère, mais d’un tableau. Pour le clinicien, cela suppose quelques connaissances en géographie et météorologie locale… Par exemple, pour le Sri Lanka, le tableau pointe comme zone à risque « tout le pays excepté les zones montagneuses », la saison de transmission « toute l’année avec des pics lors de la mousson ». Les « fréquences les plus élevées [sont] dans les districts d’Anuradhapura, Gampaha, Kurunegala, Polonnaruwa, et Puttalam ».
Plus complexe encore : l’indication vaccinale (voir tableau 2) ne se limite pas à la région et à sa météo, mais aussi aux circonstances du voyage :
– Exposition importante en milieu rural (nuit à la belle étoile sans moustiquaire, camping, travail à l’extérieur, cyclisme, randonnée…) quelle qu’en soit sa durée, dans une région endémique, surtout dans les zones où l’irrigation par inondation (rizières) est pratiquée, ou près d’élevages de porcs, en période d’épidémie animale ou humaine.
– Expatriation dans un pays situé dans la zone de circulation du virus.
– « Toute autre situation jugée à risque par le médecin vaccinateur ».
Enfin, les données de séroprotection à long terme ne sont pas bien établies…
ÊTRE À JOUR DES AUTRES VACCINS
► Les experts du BEH mettent l’accent sur la mise à jour des vaccinations : « Les recommandations spécifiques ne doivent pas occulter la nécessité d’être à jour des vaccinations du calendrier vaccinal français. » Certaines infections peuvent être endémiques (poliomyélite au Nigeria, au Kenya), épidémiques (rougeole en Italie) ou à prévalence moyenne/élevée (tuberculose et hépatite B (4) en Afrique Centrale, Thaïlande, Cambodge…).
► Le vaccin anti-méningococcique tétravalent (A, C, Y, W135) est recommandé pour un voyage en zone d’endémie, notamment la « ceinture de la méningite » en Afrique subsaharienne, au moment de la saison sèche (décembre à juin).
► Après vaccination tétravalente anti-méningococcique (Menveo®, Nimenrix®), la durée de protection reste à déterminer : la durée de persistance des anticorps protecteurs est d’au moins cinq ans, mais la durée de vie administrative pour un pèlerinage en Arabie Saoudite n’est que de trois ans.
► Les vaccinations doivent être terminées au moins une quinzaine de jours avant le départ. Cela peut nécessiter une anticipation adaptée, par exemple pour la vaccination anti-rabique qui nécessite trois doses (J0, J7 et J21/J28). La vaccination anti-rabique ne dispense pas d’un traitement curatif (deux injections de rappel à J0 et J3) en cas d’exposition avérée ou suspectée, mais elle simplifie le traitement et en particulier dispense du recours aux immunoglobulines, pas toujours disponibles dans les pays en développement. Si les voyageurs isolés partant pour un séjour aventureux dans une zone à haut risque (toute l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Nord) se sentent généralement concernés par le risque de rage, il faut également penser à protéger les enfants dès l’âge de la marche, car le risque d’exposition passée inaperçue est bien plus grand (morsure, griffure, léchage d’une plaie…).
DIARRHÉES : 50 % DES VOYAGEURS
► La diarrhée est toujours le plus fréquent des problèmes de santé en voyage. Une consultation médicale est recommandée, systématique avant deux ans et, au-delà, dans les formes moyennes ou sévères, fébriles ou glairo-sanglantes, ou > 48 heures, ou en cas de vomissements incoercibles.
Les anti-diarrhéiques ne doivent pas être utilisés en cas de diarrhée glairo-sanglante et/ou fébrile.
En cas de diarrhée ni glairo-sanglante ni fébrile, le racécadotril peut limiter les symptômes ; le lopéramide est déconseillé (constipation réactionnelle, ballonnements). Les pansements intestinaux (diosmectite) et les probiotiques n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.
► Le risque élevé d’acquisition d’antibiorésistance limite l’antibiothérapie probabiliste aux syndromes dysentériques (diarrhée glairo-sanglante fébrile), en l’absence de possibilité de consultation rapide et de diagnostic étiologique (voir tableau 3).
Dans les autres cas, le traitement repose sur la réhydratation +/- traitement symptomatique.
► Si une antibiothérapie probabiliste est indiquée, le choix se portera sur une fluoroquinolone (ciprofloxacine ou ofloxacine), ou l’azithromycine en cas de contre-indication. En cas de diarrhée au retour d’Asie, l’azithromycine est recommandée (hors AMM) en première intention, en raison d’un niveau élevé de résistance des shigelles, salmonelles et Campylobacter aux fluoroquinolones.
LES BMR DU RETOUR DE VOYAGE
Une diarrhée du voyageur, surtout au retour d'Asie, peut être associée à un portage digestif de bactéries multirésistantes (BMR) d’autant plus si elle a été traitée par antibiotiques : 72 % en Asie, 48 % en Afrique subsaharienne, et 31 % en Amérique du Sud. Même si ce portage est éliminé en trois mois chez 95 % des patients, il modifie l’antibiothérapie de première intention, notamment pour les infections urinaires dans les trois mois suivant le retour. En conséquence, la notion de voyage doit être recherchée, en ville comme à l’hôpital.
Les voyageurs peuvent aussi être à risque d’infections par des S. Aureus résistant à la méticilline (SARM) ou avec un profil de résistance “inhabituel” : en cas d’infections cutanées présumées staphylococciques (impétigo, folliculite, furoncle, abcès), le prélèvement avec antibiogramme est recommandé.
1- Santé Publique France. BEH hors-série - Recommandations sanitaires pour les voyageurs, 2018. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire du 25/5/2018. Disponible sur http://invs.santepubliquefrance.fr/content/download/147167/535751/versi…
2- Centre de Référence sur les Agents Tératogènes. Vaccin fière jaune. Janvier 2016. http://lecrat.fr/articleSearch.php?id_groupe=17 2-
3- Haut Conseil de la Santé Publique. Vaccination des personnes immunodéprimées ou aspléniques. Recommandations actualisées. Novembre 2014. Disponible sur https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcspr20141107_va…
4- Schweitzer A, Horn J, Mikolajczyk R et al. Estimations of worldwide prevalence of chronic hepatitis B virus infection : a systematic review of data published between 1965 and 2013.
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
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