Étude & Pratique

Symptômes non spécifiques en soins primaires, faut-il un bilan spécifique ?

Publié le 14/11/2025
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La mise en œuvre de structures de diagnostic rapide dédiées aux patients ayant des symptômes non spécifiques en soins primaires a-t-elle un intérêt ? Selon une étude du Lancet Primary Care, cette approche expérimentée outre-Manche permet de diagnostiquer un cancer ou une maladie grave chez un patient sur cinq, mais son impact sur la morbimortalité reste à préciser.

 

Caractéristiques des patients, diagnostics de maladies graves et découvertes incidentes chez des sujets ayant des symptômes non spécifiques adressés dans un centre de diagnostic du cancer : étude de cohorte prospective en Angleterre

Patient characteristics, serious disease diagnoses, and incidental findings in individuals with non-specific symptoms referred to the Suspected CANcer (SCAN) Pathway : a prospective cohort study in England

Friedemann Smith C, Moreland JA, Virdee PS, & al for the SCAN consortium.

Lancet Primary Care 09/09/2025

https://doi.org/10.1016/j.lanprc.2025.100019 (téléchargeable gratuitement)

CONTEXTE

Les symptômes non spécifiques sont des motifs de consultations fréquents dans les cabinets de médecine générale. Ils peuvent être causés par de nombreuses maladies, le plus souvent bénignes mais parfois graves incluant les cancers (1). En 2017, le système de santé Anglais a créé à Oxford, The Suspected CANcer-SCAN-Pathway, premier centre pilote de diagnostic rapide des symptômes non spécifiques inexpliqués. L’objectif principal de cette institution était de diagnostiquer les cancers à un stade le plus précoce possible. À partir de 2020, des centres identiques ont été créés dans toutes les autres régions du pays (2,3).

OBJECTIF

Mesurer la prévalence des cancers et éventuellement d’autres maladies graves ou non, chez des sujets ayant au moins un symptôme non spécifique inexpliqué adressés par leur médecin généraliste (MG) au SCAN-Pathway d’Oxford.

MÉTHODE

Étude de cohorte prospective. Les critères d’inclusion étaient les sujets âgés ≥ 40 ans et adressés par leur MG pour au moins un des symptômes non spécifiques suivants : amaigrissement involontaire, asthénie sévère inexpliquée, nausées persistantes ou perte d’appétit, douleur atypique récente, résultat biologique anormal inexpliqué et mais aussi suspicion subjective du MG ou « gut feeling » (4,6) que le patient était atteint d’un cancer.

Une fois accueillis dans le SCAN-Pathway et après validation du motif d’inclusion et des critères de non-inclusion (pathologie urgente en cours), les patients « bénéficiaient » d’un scanner thoraco-abdomino-pelvien, d’un bilan biologique standard comprenant un dosage du CA125 chez les femmes et du PSA chez les hommes, et d’un test immunochimique fécal (hémocult).

Les résultats concernaient la prévalence des différentes maladies identifiées (en particulier les cancers), les délais médians entre l’adressage par le MG et le diagnostic confirmé, et la valeur prédictive positive (VPP) des symptômes et des résultats biologiques pour le diagnostic de cancer. Le critère de jugement principal était le taux de diagnostics de cancers posés dans les 28 jours après adressage au SCAN-Pathway par le MG.

RÉSULTATS

Entre mars 2017 et mars 2023, 4 823 patients référés par leur MG (sur 5 235) ont été inclus à la suite d’au moins un symptôme non spécifique et du « gut feeling » du MG. L’âge moyen des sujets était de 69,8 ans, 56,8 % étaient des femmes (5), 44,5 % des inclus n’avaient jamais fumé, 41,3 % avaient un antécédent familial de cancer et 89,0 % étaient d’origine ethnique Européenne.

Le symptôme le plus fréquent ayant motivé l’adressage au SCAN-Pathway par le MG était la perte de poids inexpliquée (en moyenne ≈ 8 kg), et 60,8 % des patients inclus avaient été référés à la suite du « gut feeling » associé du MG.

Le bilan du SCAN-Pathway a identifié 429 cancers chez 423 sujets (8,8 % des inclus et 60,8 % des « gut feeling »), et 527 diagnostics de maladies graves non cancéreuses (10,7 % des inclus).

Les maladies oncologiques diagnostiquées les plus fréquentes étaient le cancer du poumon (n = 85 soit 19,8 % des cancers, dont 60,5 % de stade III ou IV), du pancréas (11 %), du colon (10 %), du sein (8,2 %) et les lymphomes non-Hodgkiniens (7,9 %). De façon générale les cancers ont été diagnostiqués à un stade (plutôt) tardif : stade I : n = 78 (18,2 %) de 429, stade II : n = 52 (12,1 %), stade III : n = 81 (18,9 %), stade IV : n = 206 (48,0 %).

Parmi les maladies non cancéreuses identifiées, les 5 plus fréquentes étaient les gastrites et les duodénites (6,7 %), les lithiases du cholédoque (4,3 %), les anémies par carence martiale (3,3 %), les maladies auto-immunes (3,2 %) et les infections respiratoires basses (3,0 %).

Pour les cancers, 38,8 % d’entre eux ont été diagnostiqués dans les 28 jours post-adressage par le MG et le délai global médian du diagnostic était de 37 jours. 23,5 % d’entre eux ont été traités par chimiothérapie, 19,6 % par chirurgie, 10,0 % par radiothérapie et 24 % par soins palliatifs ou « best supportive care ». Pour les maladies non cancéreuses 36,4 % ont été diagnostiquées dans les 28 jours post-adressage par le MG et le délai médian du diagnostic était de 44 jours.

Pour les cancers, et comparée une à une, l’anomalie biologique inexpliquée avait la meilleure VPP (12,5 %) ainsi que l’association anomalie biologique + nausées ou perte d’appétit (18,5 %) associé au « gut feeling » du MG. De son côté, l’anomalie du CA 125 avait la meilleure VPP biologique (29,7 %) pour les cancers (dans l’ordre) du pancréas, du poumon, de l’ovaire, colorectal et du sein.

Enfin, 37,4 % des sujets inclus avaient des anomalies sans diagnostic précis au bilan du SCAN-Pathway nécessitant des explorations complémentaires et/ou un suivi. Les nodules pulmonaires d’aspect bénin (29,7 %), les calcifications valvulaires (9,3 %) et les masses utérines (8,7 %) étaient les plus fréquentes de ces anomalies.

COMMENTAIRES

The Lancet Primary Care est la dernière-née des revues créées dans la constellation du Lancet. Cette nouvelle revue hebdomadaire publie des travaux de recherche de qualité honorable et spécifiques aux soins primaires, surtout issus des pays en voie de développement.

Dans la présente étude de cohorte anglaise, la procédure diagnostique choisie pour éclaircir la cause d’un symptôme non spécifique et du « gut feeling » du MG a abouti à un diagnostic de cancer ou de maladie grave chez 1 patient sur 5. Dans la même proportion, une anomalie nécessitant des examens complémentaires et/ou un suivi a été identifiée.

La principale limite de ce travail, c’est que le devenir des patients de la cohorte est inconnu en termes de morbimortalité, particulièrement pour ceux atteints de cancer, sachant qu’il est prévu de publier le résultat du suivi à 2 ans. Le profil et le devenir des patients ayant le(s) même(s) symptôme(s) non spécifiques mais non référés par leur MG au SCAN-Pathway par absence de « gut feeling » sont également inconnus.

Une des leçons à tirer de cette expérimentation est que contrairement aux systèmes de santé des pays Latins, les Anglo-Saxons ont la culture de l’évaluation et qu’ils testent l’intérêt de créer une institution officielle et médicalisée dans leur système de soins

En pratique, il est utile de mettre en œuvre une procédure diagnostique (très standardisée dans ce travail) chez un sujet âgé ≥ 40 ans qui se plaint d’un symptôme non spécifique inexpliqué, surtout s’il est accompagné de la perception subjective du MG que ce symptôme est le signe d’une maladie grave, et ceci même s’il n’y a pas de sentiment plus subjectif (selon les jours, l’état d’esprit et les personnalités) que le « gut feeling » d’un généraliste (4,6).

Le coin du méthodo

Valeurs prédictives positives et négatives

La valeur prédictive positive (VPP) est un des indicateurs de performances d’un “test” diagnostique. Dans cette étude, elle a été utilisée pour mesurer la probabilité que le sujet ait un cancer s’il a tel ou tel symptôme non spécifique ou anomalie biologique associés au « gut feeling » du MG. De façon plus générale, la VPP est la probabilité pour un sujet d’être malade si le test est positif ou le symptôme présent et la valeur prédictive négative (VPN) est la probabilité pour un sujet de ne pas être malade si le test est négatif ou le symptôme absent. Ces valeurs se calculent à partir du nombre de vrais et de faux positifs pour la VPP et de vrais et de faux négatifs pour la VPN ; des paramètres dépendant eux-mêmes de la prévalence de la maladie. VPP et VPN varient donc en fonction de la population concernée, et seront donc différentes chez les patients hospitalisés et chez ceux qui consultent en soins primaires.
A contrario, la sensibilité (probabilité qu’un test soit positif ou qu’un symptôme soit présent chez un sujet malade) ou la spécificité (probabilité qu’un test soit négatif ou qu’un symptôme soit absent chez un sujet non malade) sont des indicateurs intrinsèques indépendants de la population étudiée.

 

Bibliographie
(1) Forster AS, Renzi C, Lyratzopoulos G. Diagnosing cancer in patients with “non-alarm’ symptoms” : Learning from diagnostic care innovations in Denmark. Cancer Epidemiol 2018;54:101-3
(2) Cancer Research UK. About the ACE Programme. https ://www. cancerresearchuk.org/health-professional/diagnosis/accelerate-coordinate-evaluate-ace-programme
(3) NHS England and NHS Improvement. Rapid diagnostic centres : vision and 2019/20 implementation specification. 2019.
(4) Smith CF, Kristensen BM, Hobbs FR, et al. GPs’ use of gut feelings when assessing cancer risk : a qualitative study in UK primary care. Br J Gen Pract 2021;71: e356–63.
(5) Zhou Y, Abel GA, Hamilton W, et al. Diagnosis of cancer as an emergency : a critical review of current evidence. Nat Rev Clin Oncol 2017;14:45-56.
(6) Le Reste JY, Coppens M, Barais M, et al. The transculturality of “gut feelings”. Results from a French Delphi consensus survey. Eur J Gen Pract 2013;19:237-43.

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts relatif au contenu de cet article

Docteurs Santa Félibre et Edmond Ventous, Généralistes Enseignants

Source : Le Quotidien du Médecin