Face à l'ampleur inédite de la crise qui secoue les urgences publiques et à l'approche de la période estivale, synonyme chaque année de tensions pour le secteur, le gouvernement d'un côté et les professionnels hospitaliers et libéraux de l'autre s'agitent à qui mieux mieux. Le premier en appelle à la responsabilité des deux autres… qui se renvoient la balle par communiqués de presse interposés.
« Je ne veux plus qu'il y ait des gens sur des brancards », déclarait ce lundi 10 juin Agnès Buzyn au micro de BFM TV. Pour y arriver, la ministre de la Santé s'est adressée directement aux directeurs d'établissements auxquels elle demande sans détour « de prendre des mesures particulières pour laisser des lits libres en aval des urgences afin de coucher les malades ». Le surlendemain, c'est Édouard Philippe en personne qui, dans son discours de politique générale à l'Assemblée nationale, a fait appel au « sens des responsabilités de tous les professionnels de santé, publics et privés, pour se rassembler autour des directeurs d’ARS, afin de coordonner leur présence estivale et d’anticiper les points de tension à venir ».
Amont ou aval ? Ou les deux ?
Devant l'insistance des pouvoirs publics, les professionnels n'ont pas manqué de réagir. C'est d'une même voix que la Fédération hospitalière de France (FHF) et l'ensemble des conférences de directeurs et de présidents de commissions médicales d'établissement ont demandé que cessent « les injonctions contradictoires ». Pour eux, il est en effet impossible d'organiser l'aval des urgences alors que « depuis une quinzaine d'années, les gouvernements successifs ont poussé les hôpitaux à fermer des lits, notamment pour des raisons financières ».
Les hospitaliers appellent de leurs vœux un « moratoire immédiat sur les fermetures de lits d'aval » et pointent du doigt la médecine libérale, qu'il convient de « mobiliser » une bonne fois pour toutes « sur la permanence des soins afin de prévenir les arrivées aux urgences évitables ». « Dans de nombreux territoires, la médecine de ville n'est pas en mesure de jouer son rôle de premier recours », écrivent-ils.
Pour y remédier, ils s'en remettent au « volontarisme » des pouvoirs publics pour mettre en place « les expériences qui fonctionnent ». « Maisons libérales de garde en lien étroit avec les services d'urgence, consolidation de la permanence des soins ambulatoire, revitalisation des lits des hôpitaux de proximité, accélération de la coordination à travers les CPTS », énumèrent-ils pêle-mêle.
Faire connaître le 116 117
Réponse du berger à la bergère, le syndicat de généralistes MG France s'est lui aussi fendu d'un communiqué pour répondre aux coups portés à l'exercice libéral. « Les patients qui se rendent aux urgences pour des actes qui auraient pu être réalisés en ville consultent le plus souvent pendant les horaires d'ouverture des cabinets », assure le syndicat du Dr Jacques Battistoni. « Il n'est donc pas juste d'attribuer l'augmentation des passages aux urgences à une désaffection supposée des médecins généralistes pour les gardes de nuit ou de week-end », clame-t-il.
Les libéraux renvoient la faute sur le manque d'information des patients : « le recours inapproprié aux services d'urgences, évalué à 20 % par la Cour des Comptes, est lié à l'absence d'un mode d'emploi de notre système de santé pour la population ». Ils insistent sur la nécessité d'une campagne d'information visant à faire connaître le 116 117, numéro de permanence des soins régulé par les libéraux, en alternative au 15, réservé aux urgences. Mais surtout, MG France réclame des moyens « pour permettre aux professionnels de santé de ville de s'impliquer dans une organisation territoriale des soins ambulatoires ».
Pourtant, selon une étude Harris Interactive* de mai 2019, les Français sont assez partagés sur l'attitude à adopter lorsqu'ils sont confrontés à une situation qui leur semble relever de l'urgence médicale. Si 25 % d'entre eux se rendent au service d'urgences hospitalières le plus proche, la même proportion appelle un numéro de services d'intervention (SAMU, pompiers) et 22 % tentent de joindre leur médecin traitant. Mais pour donner raison à MG France, seul 12 % des interrogés disent appeler un numéro d'urgence médicale comme celui de SOS Médecins.
Des mesures d'urgences d'ici l'été
Pour tenter de calmer les esprits dans les services mobilisés, Agnès Buzyn a effectué, dans la nuit du 12 au 13 juin une visite surprise aux urgences de l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP), d'où est partie l'étincelle le 18 mars dernier. Les soignants « sont fatigués et ce qu'ils expriment, c'est-à-dire un épuisement, se voyait sur leurs visages », a-t-elle constaté sur CNEWS.
La locataire de Ségur recevra ce vendredi matin au ministère « la communauté des urgentistes avec les paramédicaux, c'est-à-dire les infirmiers, les aides-soignants, et le collectif qui fait grève ». Elle espère, en les mettant autour de la table, que lui soient proposées, d'ici l'été, « des mesures d'urgences ». « Tout ce qui va m'être proposé, je le mettrai en œuvre, j'attends leurs propositions, j'attends de la créativité », a-t-elle promis.
Le même jour, elle ouvrira la première réunion de la mission nationale sur les urgences qu'elle a confiée, la semaine dernière, au Pr Pierre Carli, président du Conseil national des urgences hospitalière (CNUH) et au député et urgentiste Thomas Mesnier.
En dépit du bras tendu par la ministre aux grévistes, le mouvement ne désemplit pas. Selon le collectif inter-urgences, 101 services d'urgences sont actuellement en grève. Après les services de Lons-le-Saunier (Jura) et de Lariboisière (AP-HP), c'est aux urgences de l'hôpital Saint-André de Bordeaux que la moitié de l'équipe soignante s'est déclarée en arrêt maladie dans la nuit du 11 au 12 juin.
* Étude réalisée en ligne par Harris Interactive pour Santéclair du 10 au 24 avril 2019 sur un échantillon de 1 001 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus
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