Secouée depuis plusieurs semaines par un mouvement de contestation de l'obligation vaccinale des soignants, la Guadeloupe vit aujourd’hui une crise sociale émaillée de nombreuses violences (barricades, pillages, incendies, blocages des routes, etc.). Ce week-end, le ministère de l’Intérieur a annoncé l’envoi en renfort de 250 policiers et gendarmes, dont 50 fonctionnaires du GIGN et du Raid, tandis qu'un couvre-feu a été mis en place de 23 heures à 5 heures. Le Dr Marc Valette, chef du service de réanimation du CHU de la Guadeloupe, interrogé par « Le Quotidien » décrit les conséquences dramatiques de cette crise sur le fonctionnement de l'hôpital et le travail des soignants.
LE QUOTIDIEN : Comment se présente aujourd'hui la situation au CHU ?
Dr Marc Valette : Nous vivons actuellement une crise sociale et sociétale majeure qui dépasse amplement le cadre de l’opposition à la vaccination et au passe sanitaire. Des barrages ont été érigés dans différents endroits stratégiques bloquant la circulation des usagers. Les patients et les soignants en sont les victimes directes, certains d’entre eux n’arrivent pas à se rendre sur leur lieu de travail. Donc on travaille en sous-effectifs (notamment - 25 % de paramédicaux) depuis une semaine. En réa, on a des soignants qui ont passé 24 heures, voire 36 heures à l’hôpital sans avoir pu regagner leur domicile. Des lieux de vie s’organisent dans l’établissement, avec des gens qui essaient de dormir un peu sur place avant de reprendre leur poste le lendemain.
L’hôpital entier est désormais passé sur un fonctionnement de crise habituellement dédié aux cyclones. Les équipes sont appelées systématiquement pour une durée de travail de12 heures. Les soignants arrivent à 6 heures du matin et repartent à 18 heures, pour ne pas avoir à circuler la nuit car c'est dangereux. Vendredi dernier, une aide-soignante a été mise en joue par un fusil à pompes en sortant de l’hôpital le soir. Un médecin a aussi été braqué avec un fusil à la sortie d’une garde aux urgences. En dehors de ces situations extrêmes, il y a des invectives régulières contre les soignants.
Quelles sont les conséquences sur les prises en charge des patients ?
Les patients n’arrivent plus à rentrer chez eux car les ambulanciers ne circulent pas et nous sommes en grande difficulté pour accueillir de nouveaux patients. Nous sommes en situation de saturation du capacitaire. Notre bloc opératoire fonctionne au ralenti, il est concentré uniquement sur les malades des urgences qui ne sont pas non plus en mesure de prendre en charge tous les patients en raison d’un défaut de personnel.
Jeudi et vendredi dernier, mais aussi ce lundi, aucune chimiothérapie n’a été possible au CHU. Aucun patient cancéreux n’a pu recevoir son traitement puisque les pharmacies sont impactées directement par les blocages. Des opérations sont déprogrammées, on n’est pas capable de coucher tous les patients qui en ont besoin. Il y a donc des pertes de chances majeures. Ce qui est choquant, c’est qu’il n’y a pas de protection, pas de priorisation, pas de respect pour le corridor sanitaire, et indirectement, pour la prise en charge des patients.
Le gouvernement s'est engagé à fournir des vaccins contre le Covid-19 sans ARN messager aux soignants en Guadeloupe qui le désirent. Est-ce que cela peut permettre de renouer le dialogue et régler en partie la situation ?
Au CHU de Guadeloupe, les paramédicaux sont vaccinés à 90 %. Donc, pour eux, la vaccination est un non-sujet. Ce n’est pas un point qui cristallise les conflits au sein du service. Au contraire, celui-ci est très solidaire, tout le monde s’entraide. Toutes les solutions pour rouvrir le dialogue sont les bienvenues, mais il ne faut pas voir tout cela à travers le prisme du vaccin. Car, si la vaccination a été un déclencheur, elle reste une petite partie des revendications qui sont beaucoup plus larges. Par exemple, le blocage des routes ne peut à aucun moment être justifié par l’opposition au vaccin.
Est-ce que vous craignez une éventuelle cinquième vague ?
Si elle survient maintenant, on sera bien incapable de l’absorber, vu l’état dans lequel sont les soignants et l’hôpital. L’autre grosse difficulté que nous avons, à l’heure actuelle, est que personne n’a accès ni aux tests, ni aux consultations chez les médecins traitants. Donc nous naviguons à vue à propos de la cinquième vague.
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