Les chiffres sont têtus. Même dans le secteur de la santé, un grand nombre de femmes se heurtent toujours à un plafond de verre. C'est en tout cas le constat de l’association Donner des ELLES à la santé qui a réuni de nombreux professionnels le 22 novembre dernier, lors d’un colloque à l'hôpital Necker à Paris. Selon l'organisation, qui lutte depuis 2009 contre les inégalités de genre, les femmes ne représentent aujourd'hui que 20 % des PU-PH et 13 % des doyens de faculté alors que, dans le même temps, les facultés comptent 60 % d'étudiantes. Cause ou conséquence : 85 % des femmes médecins déclarent s’être senties discriminées du fait de leur genre au cours de leur parcours professionnel, tandis que 80 % disent même avoir déjà été victimes de comportements sexistes sur leur lieu de travail, selon une étude Ipsos publiée en avril dernier.
On leur explique aussi régulièrement que « la maternité est un frein et que cela va les empêcher de postuler à des postes à responsabilité », constate la Dr Géraldine Pignot, présidente de l’association. Selon la chirurgienne-urologue, ce sentiment de discrimination apparaît « souvent dès le début des études de médecine, au moment des premiers stages à l’hôpital ». Des comportements qui « jouent très probablement » sur le niveau de satisfaction des soignantes à l’égard de leur travail : 30 % des femmes médecins sont insatisfaites, contre 15 % des hommes.
Discriminations dans la recherche
La recherche n’est pas non plus épargnée par les discriminations. La Dr Elsa Mhanna l’a expérimenté à ses dépens. À l'occasion d'une publication, son directeur de stage lui aurait demandé d'ajouter le nom d'un coauteur masculin pour avoir « plus de chances d’être publiée ». Cette neurologue témoigne aussi de la faible place des femmes dans les prises de parole aux congrès des sociétés savantes. De même, dans le cadre du mentorat, « un homme se verra proposer beaucoup plus de projets qu'une femme, car cela intervient souvent au moment de la carrière où l'on tombe enceinte », déplore la Dr Mhanna. De plus, les hommes préfèrent en général « mentorer » des hommes, reconnaît le Pr Didier Samuel, président de la conférence des doyens des facultés de médecine qui y voit « une volonté des hommes de se protéger ».
Des freins invisibles que les femmes finissent par intérioriser : plus elles avancent dans leurs carrières, « moins elles ont envie d’accéder à des postes de responsabilités et d’encadrement », observe Charlotte Cardin-Taillia. La conseillère « égalité femme-homme et diversité » au ministère de la Transformation et de la fonction publique estime que celles-ci sont « découragées par des paroles ou un style de management, dans un univers où les codes sont encore très masculins ». La loi Sauvadet impose pourtant désormais aux employeurs publics un seuil minimal de 40 % de femmes dans les premières nominations à des postes d'encadrement supérieur et de dirigeant. Malgré des progrès substantiels (28 % de nominations féminines dans la fonction publique hospitalière en 2013, contre 55 % aujourd’hui), il y a toujours « des angles morts dans la loi », analyse Charlotte Cardin-Taillia.
En effet, elle s'est intéressée à la part des femmes sur les primo-nominations et non pas le nombre de femmes à ces postes d'encadrement à un moment donné. Or, « le turnover est plus important chez les femmes que chez les hommes dans ces fonctions », précise la conseillère. Autre problème : la loi ne s'applique pas à ce jour aux postes de chefs de service et de pôle à l’hôpital.
Sanctions ou mesures incitatives ?
Mis en place dans les établissements de santé depuis janvier dernier, les référents « égalité » professionnelle devraient cependant permettre des progrès, veut croire le ministre de la Santé, François Braun, qui souhaite des « jurys paritaires » et la pratique du « mentorat féminin » au cours des études et de la carrière.
Il faudra enfin veiller à faire appliquer la loi. Ainsi, dans le cadre de la nouvelle démarche « égalité dans les établissements de santé », les hôpitaux devaient transmettre leur plan d’action avant le 31 décembre 2021. Or, un an plus tard, seul le CH de Béziers aurait joué le jeu dans la région Occitanie. « C’est dramatique, je devrais sanctionner tous les établissements, sauf un, déplore Didier Jaffre, directeur général de l’ARS Occitanie. Cela montre que nous ne sommes pas encore arrivés au bout de la logique ». Pour autant, il n’est pas un adepte des sanctions financières, car il est possible que tout « cela retombe sur les contribuables », en raison des difficultés économiques des établissements. C'est pourquoi des mesures incitatives seraient plus efficaces pour « financer un certain nombre de projets et d’initiatives dans les hôpitaux » ou débloquer « une enveloppe clairement identifiée » pour l’égalité femmes-hommes.
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