CARRIÈRES-SUR-SEINE, rue de l’Égalité. La caméra suit une femme qui part déposer des fleurs dans un drôle d’endroit. C’est un squat où a vécu pendant 26 ans son frère Sulleman. Diagnostiqué schizophrène depuis son adolescence, il est mort à l’âge de 42 ans dans la rue, après avoir erré de foyer en foyer, « incompris par la société », peste sa sœur. Cette tragédie aurait pu être évitée, affirme-t-elle, « si une aide psychologique avait été apportée à sa famille ainsi que des structures adaptées ».
Quelle place notre société réserve-t-elle donc encore aujourd’hui à la maladie mentale ? C’est la question, vaste et complexe à laquelle ce documentaire riche et ample donne quelques bonnes pistes de réflexion.
50 000 lits fermés.
Il y a 50 ans, raconte la voix off, la psychiatrie publique avait progressivement ouvert la porte des asiles, rêvant d’installer le soin psychique au plus près de la vie des patients, hors de l’hôpital. Preuve par l’image : direction Reims, où l’application de ce (beau) principe a fonctionné. Frédéric témoigne comment, grâce aux appartements thérapeutiques puis aux appartements « protégés », il a pu revenir à la vie. On entre également dans les murs du centre médico-psychologique Antonin Artaud. « Ici, toute la population du secteur peut recevoir des soins psychiatriques, même en urgence », explique Christophe Ponsard, infirmier. Bien conscient des limites du dispositif, le Dr Patrick Chemla, psychiatre, explique que « le côté trop chaleureux du Club thérapeutique peut persécuter (les patients), ils peuvent avoir besoin quelquefois d’aller à l’hôpital, dans un lieu très très cadré ». Trop d’ouverture peut tuer l’ouverture, en quelque sorte. Il est bon d’en faire usage avec tact et mesure.
Depuis les années 1970, 50 000 lits ont été fermés en psychiatrie publique, sans que suffisamment de structures alternatives de prise en charge aient vu le jour, rappelle le documentaire. Les hôpitaux publics en déserrance ne gèrent plus qu’un flux tendu de patients en crise. Le film montre aussi que la maladie mentale repose de plus en plus sur l’associatif et les familles, souvent dépassées. « Il faut savoir jongler », déplore la mère d’un malade, quand son fils, en crise, a besoin d’un lit d’hôpital.
Surgit alors l’équation dramatique « Pas de lits + Pas d’hébergement car pas de revenus = à la rue ». « On espère ne pas voir ce qui s’est passé aux États-Unis, à savoir la mort des psychotiques dans la rue », s’inquiète Roland Raboin, infirmier psychiatrique du réseau Souffrances et précarité. On estime en effet que le tiers des SDF souffrent de maladies mentales.
« On a confondu une réforme fondamentale de l’asile avec la destruction de l’asile », résume le psychiatre Hervé Bokobza.
Qui a les clefs ?
Le micro est aussi tendu aux juristes. « Le parcours du fou est relativement bien balisé, explique Serge Portelli, vice-président du TGI de Paris. C’est une sorte d’allers et retours entre la rue, le foyer, ce qu’il reste de l’hôpital psychiatrique, la prison et nous, juges. Nous jouons un rôle assez bien huilé dans le système. » La présidente du syndicat de la magistrature, Emmanuelle Perreux, dénonce, elle, une « justice automatisée ». « On juge un acte » (pas une personne).
Le reportage évoque aussi les méthodes comportementalistes, avec l’exemple de Créteil, où la priorité est donnée à l’efficacité pragmatique pour atténuer le handicap et donc accélérer la réadaptation des patients au monde du travail. Il montre encore un jardin thérapeutique. « Qui a les clefs du hangar ? », comme il dirait « Qui a les clefs de la psychiatrie ? », demande un interne(-jardinier) en psychiatrie, convaincu par cette méthode douce, au long terme et non exclusivement médicale.
Le journaliste Philippe Borel, traverse l’Atlantique et montre l’alliance entre les neurosciences et la cybernétique. Chapitre sciences et recherche. Retour en France. Le Pr Yves Agid, directeur scientifique du tout nouvel ICM (Institut du cerveau et de la moelle épinière) s’enthousiasme de son côté, casque de sécurité vissé sur la tête à l’occasion d’une visite du chantier (du futur institut), sur « le formidable boum de la prise en charge des malades psychiatriques dans les années à venir. J’envie la jeune génération de chercheurs en psychiatrie ».
On ne sait pas trop s’il y a vraiment à envier quelque chose.
Diffusion sur Public Sénat les lundi 22 novembre à 22 h 30, samedi 27 à 22 heures, dimanche 28 à 18 heures, lundi 29 à 17 heures, vendredi 3 décembre à 16 h 45 et dimanche 5 à 9 heures.
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