Le mal serait-il incurable ? La Cour des comptes a dévoilé, ce mardi 19 novembre, un nouveau rapport long de 144 pages dédié à l’accueil et au traitement des urgences à l’hôpital. Et force est de constater qu’au fil des années, les observations se suivent et se ressemblent. « Les urgences demeurent encore aujourd’hui l’exutoire de tous les dysfonctionnements de notre système de santé », a fermement rappelé le premier président Pierre Moscovici devant la presse, alors qu’Emmanuel Macron avait promis de désengorger ces services avant la fin de l’année 2024. « Décembre 2024, c’est dans dix jours. Donc si les urgences étaient désengorgées, on n’aurait pas sorti de rapport », a taclé le haut fonctionnaire.
Dans leur nouvelle ordonnance, les Sages de la rue Cambon tentent de recentrer les services d’urgences sur leur mission principale. « La médecine d’urgence a pour vocation de prendre en charge, tous les jours de l’année, 24 heures sur 24, toute personne, sans sélection, nécessitant des soins urgents », rappellent-ils. Et pourtant, en 2022, « un peu plus de 70 % des passages aux urgences correspondent à des cas peu graves ou peu urgents », peut-on lire. Autrement dit, ces patients auraient dû, sur le papier, être pris en charge par la médecine de ville, notamment via la permanence des soins ambulatoire (PDSA) la nuit, le week-end, les jours fériés et le service d’accès aux soins (SAS) en diurne, dispositif en cours de généralisation dont la Cour des comptes pointe les faiblesses. Toujours en 2022 en effet, «54 % des passages ont eu lieu de jour et en semaine, de 8 heures à 20 heures du lundi au vendredi ». Plus d’un patient sur deux est donc passé par les urgences hospitalières alors qu’il aurait pu, si son état n’était pas critique, être réorienté en ville par un SAS.
Mieux encadrer les centres de soins non programmés
À la décharge de la médecine de ville, en 2022 les SAS n’étaient pas autant déployés qu’aujourd’hui. On comptait à peine une vingtaine de sites pilotes dans le cadre d’une expérimentation alors que, selon les chiffres du ministère de la Santé publiés en juin 2024, le pays en totalise désormais 74 couvrant pas moins de 87 % de la population. À cela, s’ajoutent 22 autres SAS qui ont, en principe, démarré leur activité l’été dernier.
Les centres de soins non programmés encouragent des pratiques consuméristes du soin
Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes
S’il reste à évaluer les effets de la généralisation des SAS en matière de régularisation des urgences, la Cour préconise aussi d’intégrer les centres de soins non programmés (CSNP) dans le champ des SAS et de la PDSA afin de mieux encadrer leur activité. Ces structures « encouragent des pratiques consuméristes du soin, alerte Pierre Moscovici. Face au développement de cette nouvelle offre, il conviendrait d’établir un régime d’autorisation spécifique (…). Il ne s’agit pas de supprimer les CSNP mais de mieux réguler et encadrer leur activité ». Le sujet anime d’ailleurs les débats parlementaires dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. En première lecture à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté deux amendements du gouvernement visant à réguler l’implantation des centres de soins non programmés.
La pénurie médicale, la cause et la conséquence du mal
Après la régulation en amont, la Cour des comptes appelle à repenser le fonctionnement interne des services d’urgences qui souffrent d’un déficit d’attractivité, liée à la pénibilité des conditions de travail. « La pénurie des médecins urgentistes est autant la cause que la conséquence d’une grande partie du dysfonctionnement », considère Pierre Moscovici qui soulève aussi les effets pervers d’une concurrence créée par les autres maillons de la chaîne de la permanence de soins. « Nombre de médecins urgentistes quittent les services d’urgences hospitalières pour exercer dans les fameux centres de soins non programmés », déplore-t-il.
Pour soulager la charge de travail dans ces services, les magistrats préconisent une refonte de leur organisation, en coopération avec les autres services hospitaliers. Car une des principales difficultés rencontrées, c’est de trouver des lits d’hospitalisation en aval, ce qui conduit certains patients, souvent âgés ou polypathologiques, à passer la nuit sur des brancards. « Or, par définition, les urgences, c’est pour 24 heures », insiste Pierre Moscovici.
Le rapport de la Cour des comptes plaide ainsi pour la systématisation des filières d’hospitalisation directe pour éviter le passage par les urgences des personnes âgées. Il cite en exemple la ligne téléphonique gériatrique mise en place par le CHU de Clermont-Ferrand en 2012. Celle-ci fonctionne tous les jours en semaine, de 8h30 à 19 heures, y compris en fin de semaine depuis mars 2020 sur les mêmes plages horaires. Ce service téléphonique « propose des plages de consultation urgentes ou semi-urgentes mais, également, des entrées directes dans un service hospitalier, qui ont d’autant plus de chance de prospérer qu’il assure la gestion de l’ensemble des lits du court séjour gériatrique. Il dispose ainsi d’une vision d’ensemble sur les entrées et, partant d’une réelle capacité de priorisation des hospitalisations », analyse la Cour. En 2022, ce service téléphonique a reçu 2 224 appels au cours de l’année (dont 60 % en provenance d’autres hôpitaux, dont l’hôpital de Riom, tout proche de Clermont-Ferrand). Il « a permis d’éviter près de 770 passages aux urgences en programmant près de 620 hospitalisations directes », souligne la Cour, citant les chiffres du rapport d’activité de cette ligne téléphonique.
Pour une meilleure information en temps réel
Toujours dans un souci d’efficacité et de désengorgement, la Cour appelle enfin à un vent de modernité dans le système de santé. Le rapport recommande en effet de « mettre à la disposition des usagers, en continu, les données concernant les urgences telles que les structures ouvertes à proximité de leur localisation, le temps d’attente observé dans celles-ci, le nombre de passages, les services fermés, etc. ». Un tel dispositif, qui existe déjà au Québec, aiderait ainsi les établissements à mieux coopérer selon Pierre Moscovici : « Chaque service gère un peu jalousement ses capacités. Ce qui est absurde, c’est d’avoir une personne âgée bloquée la nuit aux urgences alors que dans le même temps, on a un lit disponible dans un hôpital à proximité », appuie-t-il.
Fin 2023, deux décrets publiés au Journal officiel relatifs à la refonte des autorisations en médecine d’urgence indiquent que les établissements ont désormais pour obligation de déployer un dispositif d’ordonnancement des lits, d’informer sur leurs capacités d’accueil au quotidien et sur leurs disponibilités sur un répertoire unifié à l’échelle nationale. Issues du Pacte de refondation des urgences, ces dispositions doivent, sur le papier, se concrétiser d’ici la fin de l’année 2025.
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