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Dossier

Partenariats

Hôpitaux de proximité : le changement dans la continuité

Par Adrien Renaud - Publié le 11/04/2022

Depuis le début de l’année, près de 250 établissements ont reçu le label « hôpital de proximité », décerné par les ARS. Reste à savoir si cette nouvelle étiquette suffira à résoudre les problèmes structurels du secteur, à commencer par celui de l’attractivité.

Nouer des partenariats. Voilà, en substance, le cœur de métier des hôpitaux de proximité tel qu’il est défini par les récentes évolutions législatives. Avec les libéraux, avec les établissements de recours, avec les collectivités locales, avec les autorités de tutelle, ces structures sont censées passer des accords tous azimuts. Bien loin de l’image surannée de l’hôpital local un rien endormi, menant sa vie tranquille à l’abri des tourments du monde, les hôpitaux de proximité se trouvent donc en plein dans la modernité, qui n’a que le mot de « partenariat » à la bouche. Tel est, du moins, l’objectif de la réforme du secteur engagée avec la loi Buzyn de 2019.

Cette réforme a un premier mérite : définir ce qu’est un hôpital de proximité. Car il n’est pas toujours facile de s’y retrouver entre les anciens hôpitaux locaux (disparus de la nomenclature avec la loi Bachelot de 2009 et réapparus avec la loi Touraine de 2016), les centres hospitaliers ayant, démographie oblige, perdu leurs activités d’obstétrique ou de chirurgie, les centres gériatriques spécialisés dans les longs séjours, ceux qui ont une forte activité dans le médico-social, voire dans les Ehpad…

C’est ainsi que le texte de 2019 positionne les hôpitaux de proximité comme assurant « le premier niveau de la gradation des soins hospitaliers », et ce, partenariat oblige, « avec la participation conjointe des structures et des professionnels de la médecine ambulatoire avec lesquels ils partagent une responsabilité territoriale ». Plus concrètement, ils interviennent via des activités de médecine, mais aussi dans le domaine de la prévention. Ils disposent pour cela de lits d’hospitalisation et d’un plateau technique léger, notamment en imagerie. Ils peuvent avoir un service d’urgence mais pas d’activités de chirurgie (sauf dérogation) ni d’obstétrique.

Un label…

Voilà pour la définition. Et pour savoir qui entre dans ce cadre, une ordonnance de mai 2021 a défini un dossier de labellisation à valider par l’agence régionale de santé (ARS). Un processus qui a mis un peu de temps à démarrer, mais qui semble maintenant fonctionner à plein régime. « Nous n’avons vraiment pu entrer dans la labellisation qu’en fin d’année dernière, et nous en sommes à 230-240 établissements labellisés », recense Sophie Guinoiseau, présidente de la Fédération nationale des établissements de santé de proximité (Fnesp), l’association qui rassemble les structures du secteur.

Cette labellisation, dans bien des cas, ne fait d’ailleurs que sanctionner l’existant. « C’est un dossier qui vient surtout valider un parcours, estime ainsi Bernard Mabileau, directeur délégué des centres hospitaliers (CH) de Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine, dans l’Aube. Nous avons dû décrire notre profil, la réalité de nos collaborations, par exemple pour l’adressage par les généralistes sans passer par les urgences ou encore sur les consultations avancées… » Même sentiment au CH des Marches de Bretagne, en Ille-et-Vilaine. « Pour nous, il s’agissait surtout de faire reconnaître des activités et un modèle de coopération avec le libéral qui existaient déjà », explique Vincent Morel, directeur délégué de l’établissement.

… et des moyens

Mais il ne faudrait pas croire que le label n’est qu’une simple étiquette ou une formalité dépourvue d’importance : les établissements estampillés « hôpital de proximité » voient leur financement rénové. « Nous avons de nouvelles missions, pour lesquelles nous avons une dotation forfaitaire, et nous passons d’un financement annuel à un financement triennal, ce qui est beaucoup plus sécurisant », décrypte Sophie Guinoiseau.

Et le fait d’avoir une visibilité sur plusieurs années n’a rien d’anodin, surtout quand on a pour principal objectif de nouer des partenariats avec des acteurs qui, eux, s’inscrivent dans la durée. « Nous avons, dans le cadre de notre collaboration avec la radiologie libérale, le projet d’implanter un scanner à Bar-sur-Aube, illustre Bernard Mabileau. Cela va éviter des transports aux patients, et des adressages aux établissements de recours, qui sont saturés. Et, sans la labellisation, nous ne pourrions pas envisager de projets structurants de cette nature. »

Alléger la gestion RH des libéraux

Car c’est là l’idée centrale : la labellisation permet de positionner l’hôpital de proximité comme un partenaire institutionnel fiable sur lequel on peut s’appuyer. C’est ainsi que le CH des Marches de Bretagne développe un projet avec la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de son secteur pour décharger les libéraux de la gestion de leur secrétariat.

« Il s’agit d’un projet en deux temps, explique le Dr Jean-François Ricono, généraliste libéral qui est aussi président de la commission médicale d’établissement (CME) de la structure. La CPTS va devenir l’employeur des secrétaires qui travaillent dans les maisons de santé ou les cabinets individuels, puis la CPTS va déléguer la gestion des ressources humaines au CH : le médecin n’aura plus qu’à faire le chèque à la fin du mois. » Exit, donc, pour les libéraux, les soucis liés aux congés, aux arrêts maladie ou encore aux formalités liées au recrutement de ce personnel.

Prévention et télémédecine

La CPTS est d’ailleurs un partenaire naturel pour l’hôpital de proximité. Le Dr Jean-François Ricono cite ainsi une autre collaboration impliquant celle du secteur : un programme d’éducation thérapeutique pour la prévention des chutes de la personne âgée, mené conjointement par les médecins, kinés et infirmiers du CH et de la ville. Mais qu’il y ait une CPTS ou non, la labellisation permet de toute façon d’offrir des solutions plus variées aux professionnels implantés alentour.

C’est ainsi que le CH de Bar-sur-Seine peut développer la télémédecine au bénéfice de patients adressés par les généralistes libéraux. « C’est une de leurs demandes, souligne le Dr Michel Lacombe, généraliste et président de la CME. Nous avons installé la télémédecine dans nos locaux en janvier 2022, et cela va se développer. »

Concrètement, le patient est adressé par les libéraux du secteur, accueilli et pris en charge par le personnel de l’hôpital de proximité, pour une consultation effectuée par un praticien situé dans l’hôpital de Troyes.

La recherche de partenaires

C’est donc acquis : un hôpital de proximité est une machine à nouer des partenariats. Mais qui dit « partenariat » dit « partenaires », notamment médicaux. Alors que la démographie médicale est en train d’atteindre le creux de la vague, la présence de médecins, et notamment de généralistes, sur les territoires desservis par les hôpitaux locaux reste le point dur de leur développement. « Il y a un désengagement des libéraux dans le fonctionnement de nos établissements du fait de la pénurie médicale, ils n’ont plus le temps d’intervenir chez nous », constate ainsi Bernard Mabileau, aux CH de Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine. « Nous sommes contraints de nous renouveler sans cesse pour faire venir la ressource médicale sur les établissements », abonde Vincent Morel, du CH des Marches de Bretagne.

« Il y a 20 ou 30 ans, quand nous étions nombreux à assurer les soins de ville, cela ne nous posait pas forcément problème de libérer quelques heures pour passer un peu de temps à l’hôpital, se souvient Jean-François Ricono. Aujourd’hui, dans des situations de tension, on peut avoir des collègues qui disent qu’ils ne peuvent plus, et qui demandent que les patients soient vus par des médecins salariés. » La labellisation des hôpitaux de proximité, même si elle peut leur permettre de faire d’indéniables progrès, risque donc de buter sur l’écueil de la démographie médicale.

Un label source d’attractivité

Mais, sans constituer la solution miracle à ce problème gigantesque, la labellisation pourrait tout de même avoir un effet. Tel est du moins l’opinion de Sophie Guinoiseau, qui estime que le nom même d’hôpital de proximité est un facteur positif. « Nous avions disparu au niveau de la dénomination ; or, une dénomination, c’est une identité, une reconnaissance de notre rôle, et c’est attractif », estime la présidente de la Fnesp.
Autre argument : les multiples partenariats noués par les hôpitaux de proximité permettent « d’optimiser le temps médical », estime Bernard Mabileau. « On n’a pas beaucoup de ressources médicales, ce qui nous force à travailler sur les parcours », estime le Champenois, prenant l’exemple des consultations avancées qui, en plus « d’éviter d’emboliser les consultations de l’hôpital de recours, permettent de rebondir sur de la télémédecine ou de la téléexpertise »… et in fine, de faire gagner du temps aux médecins.

Mieux rémunérer les médecins

Mais ce n’est pas parce que les hôpitaux de proximité utilisent mieux la ressource médicale qu’ils n’estiment pas qu’ils pourraient recevoir un certain coup de pouce de la part des autorités. « Nous voudrions améliorer les conditions que nous pouvons proposer aux médecins, que ce soit pour les praticiens hospitaliers ou pour les libéraux, explique Sophie Guinoiseau. Nous sommes obligés de les payer comme tous les autres médecins du public ou du privé ailleurs sur le territoire, or nous avons besoin de plus d’attractivité au niveau financier. »

Et Jean-François Ricono, qui, en plus d’assurer la présidence de la CME du CH des Marches de Bretagne, est également vice-président de la Fnesp, de renchérir. « À l’heure actuelle, quand un médecin se déplace dans un service de médecine d’un hôpital de proximité, il facture une consultation de 25 euros, note-t-il. Or on est en général sur des prises en charge un peu complexes, qui nécessitent un certain temps passé auprès du malade, qui imposent de saisir des informations dans le système de l’hôpital, de discuter avec les infirmières… et là-dessus, l’hôpital prend un pourcentage, ce qui fait qu’on se retrouve parfois à travailler trois quarts d’heure pour 22 euros. » Nouvelle illustration de l’adage qui veut que si l’argent ne fait pas le bonheur, il peut y contribuer de manière significative.