Le rapport d’Élisabeth Hubert, six mois après 

« Je ne suis pas satisfaite, ça ne bouge pas »

Publié le 07/06/2011
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LE QUOTIDIEN – Six mois après la remise à Nicolas Sarkozy de votre rapport sur la médecine de proximité, qui avait reçu un écho favorable dans la profession et au gouvernement, estimez-vous que les lignes ont bougé? Êtes-vous déçue?

Dr ÉLISABETH HUBERT – Très sincèrement, je ne suis pas satisfaite. Mon rapport avait reçu un bon accueil non seulement sur le contenu des propositions mais aussi et surtout sur la démarche qui avait été comprise par la profession, par les étudiants, mais aussi par les associations de patients et les élus locaux… Globalement, il y avait un accord. Or, il n’y a pas eu de la part du monde politique une captation de toute cette énergie pour la décliner en action ! Un consensus était possible mais les choses ne se sont pas enclenchées.

Xavier Bertrand vient de vous recevoir. Vous lui avez fait part de votre déception?

Oui. Au regard des contacts que j’ai pu avoir avec Xavier Bertrand, ou avec Jean Castex à l’Élysée [le secrétaire général adjoint de la présidence de la Républiique, spécialiste des questions sociales, NDLR] je pense que la volonté politique existe. Mais bousculer les habitudes et les conservatismes dans les ministères, à la CNAM, dans la profession aussi… est toujours aussi compliqué. Le changement oui, mais pour les autres ! Du coup, ça ne bouge pas. Xavier Bertrand en est conscient d’ailleurs et cela va donner lieu à une initiative de sa part pour secouer le prunier. Ma démarche critique est d’ailleurs analysée de sa part comme un accompagnement possible et pas comme une remise en cause. En décembre, j’avais dit que j’étais confiante mais vigilante. J’avais raison d’être vigilante ! En ne faisant rien, on risque de manquer des opportunités.

Lesquelles ?

La formation initiale d’abord : plus on attend, plus on engrange des retards. Je trouve irresponsable que certaines dispositions ne soient pas prises. Par exemple, dès la rentrée prochaine, il faudrait que les stages hors des CHU, dans des hôpitaux de proximité qui tournent bien, en capacité d’accueillir des étudiants, soient instaurés. À l’internat, on devrait avoir des stages enfin adaptés à l’exercice de médecine générale. Ce n’est pas fait. Autre exemple : je proposais dans mon rapport une mesure originale, le fonds de garantie. L’idée était de donner la garantie à des médecins proches de la retraite, prêts à s’engager dans des projets de regroupement, avec investissements immobiliers, de pouvoir récupérer leurs fonds quelques années plus tard, au moment du départ. Rien n’a bougé ! Pourtant, ça donnerait une perspective intéressante à de très nombreux médecins pour faciliter les cessions de clientèle. Autre exemple : les systèmes d’information. On bricole. On n’a pas lancé le grand plan numérique en santé indispensable. Quant à la simplification promise, elle n’est pas au rendez-vous. Sur la protection sociale des médecins, c’est pareil.

Xavier Bertrand va-t-il changer de braquet?

Il sait que les choses n’ont pas suffisamment bougé. Je lui fais grâce de cette lucidité. Avant l’été, on fera ensemble un bilan officiel pour tirer les leçons. J’ai un droit de suite sur mon rapport et je l’exerce. Je note d’ailleurs quelques avancées : dans la loi Fourcade, on a créé cet outil juridique, la SISA [société interprofessionnelle de soins ambulatoires], pour faciliter l’exercice regroupé. Mais ce n’est pas suffisant.

Êtes-vous déçue de la tournure des négociations conventionnelles?

Là encore, j’ai un œil très critique. On a le tort de vouloir mettre beaucoup trop de sujets dans la négociation conventionnelle nationale des médecins. Dans cette affaire il y a une alliance de circonstance entre la CNAM et certains syndicats qui veulent garder la maîtrise de la négociation et empêcher ou limiter les accords de proximité avec les ARS [agences régionales de santé]. Or, je suis convaincue que des choses sont déclinables en région. Deuxième remarque : si on veut vraiment favoriser les regroupements et les coopérations… il faudrait un accord-cadre solide impliquant toutes les professions de santé libérales. Je sais que l’UNPS y travaille mais, en réalité, c’est très « light » car tout est mis sous couvert de ce qui se négocie avec les médecins.

Que pensez-vous du « paiement à la performance » qui semble avoir le vent en poupe ?

Je ne m’y rallie pas. Qu’on ne me parle pas de l’exemple anglais. Cela fait progresser les revenus des médecins mais de façon marginale. Quand je lis qu’il pourrait y avoir une option « qualité » ouvrant droit à rémunération complémentaire de 12 000 euros [projet de la CSMF, NDLR], avec des indicateurs de santé publique, dossier informatisé, stockage des données, dépistage, prévention… Je tombe des nues. On va payer plus cher des médecins pour faire leur métier ? Et certains vont se dispenser de faire de la prévention, de dépister, de tenir leur dossier, de garder leurs données ? Éthiquement, ça me gêne, la qualité n’est pas une option. J’avais proposé autre chose : paiement à l’acte avec des consultations à tarifs différents ; forfaits de soins coordonnés ; enfin rémunération de la structure sur la base d’un cahier des charges.

Croyez-vous que la droite soit sur la voie de la réconciliation avec les médecins libéraux?

Le couvercle est sur la casserole. Les médecins, on ne les trompe pas avec de l’agitation. La nomination de Xavier Bertrand a certes été un élément d’apaisement mais les médecins ne lui ont donné aucun blanc-seing. Beaucoup d’entre eux me disent : qu’est ce qui s’est passé depuis votre rapport? Je suis la première à admettre que, globalement, on n’a toujours pas pris la mesure des enjeux.

Propos recueillis par CYRILLE DUPUIS

Source : Le Quotidien du Médecin: 8977