NICOLAS SARKOZY, François Hollande et tous les autres candidats à l’élection présidentielle ont reçu sa lettre. Dans ce courrier anonyme, une interne en médecine générale de 29 ans, en 4e semestre en région parisienne, lance un cri d’alarme.
Au « Quotidien », la jeune femme a confié son désarroi. Un stage aux urgences qui a laissé des traces. Une amie interne qui a failli perdre l’enfant qu’elle portait. La tentative de suicide d’une consœur qui ne supportait plus la pression. « Les internes sont en France victimes d’une exploitation bien trop sous-estimée, écrit-elle dans sa lettre. À l’hôpital, un interne travaille jusqu’à 80 heures par semaine, jamais moins de 50 heures. Les heures supplémentaires ne sont ni rémunérées, ni rattrapées. L’interne doit se plier aussi servilement que de besoin aux nécessités de service. Le fonctionnement des services hospitaliers repose autant sur l’effectif des internes que sur celui des médecins titulaires. Le travail est parfois assumé par les seuls internes ». Et de lister les gardes de nuit, les 24 heures de travail d’affilée sans aucune pause, les services en sous-effectifs, le sentiment d’abandon parfois. « Un interne qui dérange un senior pendant son sommeil sera considéré comme incompétent », lâche-t-elle. La jeune femme confie avoir tiré un trait sur sa vie personnelle, sentimentale et sociale. « J’aurais voulu avoir des enfants pendant mon internat mais cela n’a pas été possible ».
Ras-le-bol.
Depuis quelques années, les langues se délient pour aborder la souffrance des médecins mais aussi de leurs jeunes confrères en formation. La thèse de Valériane Komly et Antoine Le Tourneur soutenue fin 2011 a montré que près de la moitié des internes en médecine générale se disent menacés par le burn-out (Le Quotidien du 15 mars). Les 4 000 internes interrogés ont déclaré travailler en moyenne 48,9 heures par semaine. « Le temps de travail varie selon les stages, explique Valériane Komly, d’une trentaine d’heures hebdomadaires pour un stage chez le praticien à 90 heures pour un stage aux urgences. » L’amplitude horaire varie en effet énormément selon que le stage se déroule à l’hôpital ou non. « 65,4 % des internes en stage hospitalier travaillent plus de 50 heures hebdomadaires contre 17,8 % en ambulatoire », précise Valériane Komly.
La législation est pourtant claire. Les obligations de service de l’interne sont fixées à 11 demi-journées dont deux demi-journées consacrées à la formation universitaire et neuf demi-journées d’exercice effectif de fonctions « sans que la durée de travail ne puisse excéder 48 heures par période de sept jours, cette durée étant calculée en moyenne sur 4 mois », indique un décret paru le 12 août dernier. Mais il n’existe aucune mesure punitive.
Au-delà du seuil fatidique de 50 heures de travail par semaine, les conséquences de la surchauffe commencent à se manifester. L’étude a montré que les internes rêvent davantage de leurs patients (34,6 % contre 25,6 %). Ils sont aussi beaucoup plus nombreux à ressentir un « ras-le-bol » du senior qui les encadre (40,3 % contre 27,6 % en deçà).
Sujet tabou.
« Le rythme de travail difficile et les pressions ne sont pas les mêmes à Paris que dans un CHU de province », nuance Charline Boissy, présidente de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). Il y a des endroits où il est plus difficile d’exprimer son malaise. « Les internes ne doivent pas hésiter à se tourner vers les associations quand la situation l’exige, affirme Charline Boissy. On ne doit pas se mettre à pointer nos heures car nous sommes en formation mais il faut dénoncer les cas excessifs. D’ailleurs, certains stages sont fermés quand les évaluations font état d’abus ».
La limitation de la durée de travail instaurée par la loi est inapplicable, selon Jean-Christophe Faivre, porte-parole de l’Intersyndicat national des internes des hôpitaux (ISNIH). « Cela impliquerait des embauches et la réorganisation des services, explique-t-il. Quand un interne travaille comme un larbin 80 à 90 heures par semaine pour faire tourner le service, là on se fâche. Mais pour nous, le respect du repos de sécurité de 24 heures est plus important que les 48 heures par semaine ».
L’ISNIH va d’ailleurs se pencher sur le respect du repos de sécurité, instauré il y a 10 ans, qui prévoit qu’un interne doit disposer d’une période de repos de 24 heures à l’issue d’une garde. « Nous allons transmettre un questionnaire à tous les internes, commente Jean-Christophe Faivre, porte-parole de l’ISNIH. Et nous mettrons en demeure les agences régionales de santé (ARS) de faire appliquer la loi. »
La sphère médicale est un peu à part du droit du travail. « Il y a un tabou, les internes ont l’habitude de se taire quand ils ont besoin d’un poste de chef de clinique ou envie de faire carrière dans le service. Ceux qui se rebellent sont mis au placard mais les facultés comptent de moins en moins de mandarins ».
Certains universitaires se battent pour faire appliquer la loi comme le Pr Patrick Berche, doyen de Paris-V. « Il n’y a aucune raison pour que les internes fassent plus que ce que la législation exige, indique-t-il. Cela a toujours existé mais je ne peux pas éliminer l’idée que c’est à cause des suppressions budgétaires des dernières années que la charge de travail s’est reportée sur les internes ».
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