C’est un PDF qui tombe, négligemment lâché sur internet par un organisme qui s’est toujours plus intéressé à valoriser la médecine française qu’à améliorer la formation des étudiants. Il n’y a pas de consultation d’annonce. Il n’y a pas d’empathie, pas d’information-claire-loyale-appropriée, pas de projet personnalisé de soins. Il y a ton nom, ta date de naissance, et un chiffre. Et c’est tout. Un chiffre qui te collera à la peau, un chiffre froid et brut qui te dit si tes projets prendront vie, ou si ils sont morts par ta main au cours de ces trois jours d’examen. Et c’est seul que l’on doit se reconstruire, une fois la tempête passée.
Nous sommes 8 120. Nous avons passé l’année de nos 18 ans au chevet de nos livres, l’année de nos 20 ans au chevet de nos livres, nombre d’entre nous ont passé l’année de leurs 25 ans au chevet de leurs livres. Nous avons été sages. Malgré tout ce que les médias aiment à déblatérer sur l’étudiant en médecine, nous avons été indéfectiblement sages. Nous avons rempli des kilomètres de paperasse sans être payés pour le faire. Nous avons fait nos gardes, nous sommes allés en stage le lendemain. Nous sommes sortis de conférence à 23 heures. Nous sommes restés debout pendant des heures à suivre des visites professorales en pensant à la BU qui se remplissait.
Nous avons vu nos amis devenir internes. Nous les avons entendus raconter leurs 70 heures de travail hebdomadaires, et nous avons trouvé ça formidable de travailler si peu. Nous les avons entendus raconter leurs sorties de stage à 20 h 30, et nous avons trouvé ça formidable de pouvoir disposer de sa soirée. Nous les avons entendus raconter qu’ils avaient astreinte une semaine sur deux, et nous avons trouvé ça formidable de pouvoir avoir des week-ends de libre.
Quand est tombé ce chiffre, j’ai fondu en larmes. Il y avait la peur bien sûr, l’angoisse de voir la spécialité que je veux me passer sous le nez. Mais il y avait quelque chose d’autre, quelque chose de lourd et d’amer. De la honte. Nous sommes 8 120. Nous avons tous passé un premier concours, nous sommes tous arrivés dans les 15 % des meilleurs, nous avons tous continué à travailler, jusqu’au bout. Nous sommes des brutes de travail, et pourtant, quand tombent les résultats nous avons honte…
Car pour que le système continue à s’auto-entretenir, il faut que ceux qui ne sont pas bien classés continuent à croire qu’ils sont mauvais. Il faut que ceux qui ne sont pas bien classés continuent à envier les majors, qu’ils continuent à fondre en larmes, à avoir honte.
Le moyen le plus efficace d’extraire des gens le meilleur d’eux-mêmes à moindres frais, c’est de les dresser les uns contre les autres…
On ne cessera de parler des 10 premiers. De les bombarder de questions sur leurs méthodes de travail, leurs ambitions, la couleur de leurs chaussettes. Mais voilà : il y a 8 110 étudiants qui ne sont PAS dans les 10 premiers. Beaucoup d’entre nous devrons reconstruire leurs projets et leur ego. Mais nous nous sommes battus quand même. Et, malgré tout ce qu’on aimerait nous faire croire, nous avons réussi quand même.
Bravo à nous. Soyons fiers.
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