JEUNE MÉDECIN de santé publique et membre de l’association ATD-Quart monde, le Dr Pierre Larcher s’est attelé à la tâche au début des années 1970, à Nancy : recueillir des données quantitatives sur l’état de santé et le recours aux services de santé de la couche de population la plus défavorisée du pays. « Auparavant, se souvient-il, les rares études françaises de morbidité qui avaient trait aux inégalités sociales se donnaient toutes une population-plancher qui vivait de dans de bien meilleures conditions que le milieu sous-prolétaire. Aucun chiffre n’existait sur des sujets aussi importants que l’alcoolisme, les pathologies respiratoires chroniques, ou la maladie ulcéreuse. » L’enquête, réalisée tout d’abord à partir d’un dispensaire et d’un cabinet libéral de groupe en médecine générale, permit de défricher un terrain vierge en réunissant les premières données épidémiologiques ; une stratégie de sensibilisation des enseignants de la faculté de médecine de Nancy fut mise au point dans la foulée, adossée à une série de 17 thèses de médecine et deux de pharmacie. « Dans ce travail de débroussaillage, explique le Dr Larcher, il s’agissait de donner aux professionnels sur le terrain des outils pour que change enfin une situation qui nous paraissait scandaleuse. »
Dès 1979 à Nancy, l’enseignement sur la santé des plus pauvres voyait ainsi le jour dans les écoles d’infirmières et d’assistantes sociales, avant d’être programmé en première année de spécialités de pédiatrie et de santé publique, puis d’être inscrit, plus tôt dans le cursus, en DCEM-IV. Des cours furent aussi dispensés à la faculté d’Amiens et à l’ENSP (École nationale de santé publique, à Rennes) à l’attention des futurs médecins inspecteurs de santé publique et des médecins de PMI. Cette première dynamique fut brisée net à partir de 1983 par la mise en place de la réforme de l’internat : « L’esprit des enseignements changea radicalement, nous n’étions plus devant de futurs professionnels soucieux de la qualité de leur exercice, mais face à des étudiants décidés, pour être bien classés, à ne se préoccuper que de ce qui leur apporterait des bonnes notes. »
Un fossé.
« Dans un contexte de choc des cultures, confirme le Dr Pierre Micheletti, un fossé s’est rapidement creusé entre les disciplines de haute technicité et les soutiers associatifs préoccupés par les publics précaires. »« Les doyens et les enseignants ont souvent tendance à s’enfermer dans leur tour d’ivoire universitaire, doutant de l’intérêt d’enseignements pluridisciplinaires, insiste le Dr Larcher, tandis que les étudiants se focalisent sur les techniques et les protocoles, n’ayant plus de temps pour l’attention aux personnes. Comment leur enseigner une démarche comme celle de Joseph Wresinski (fondateur d’ATD, NDLR) : agir à partir de l’expérience et de la pensée des plus démunis, en ayant toujours pour objectif qu’ils se mettent debout par eux-mêmes ? La Sécurité sociale a encore aggravé le tableau en sanctionnant les gens qui sortent de sa nomenclature et en mettant la priorité sur les équilibres financiers à très court terme. »
Le chargé de mission de la DGCS date même de 2003 un bond de vingt ans en arrière, avec la séparation faite entre les administrations de la santé et de l’action sociale, les réductions progressives de personnels dans les services hospitaliers et la lente sape du milieu associatif par les restrictions budgétaires.
En l’absence de tout projet d’enseignement dans la formation initiale obligatoire, les quelques DU mis en place depuis par des médecins militants ne sauraient faire illusion. « La situation, estime le Dr Larcher, est aussi critique pour l’enseignement de la prise en charge des plus pauvres que pour les dispositifs humanitaires d’urgence. »
« Garder le cap, vers la santé des plus pauvres dans le respect de leur dignité », de Pierre Larcher, Éditions Baudelaire, 170 p., 16,50 euros.
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