PAR LE Pr CHARLES-MARC SAMAMA*, LE Dr LAURENT DELAUNAY** ET LE Pr BENOÎT VALLET***
LA VIE HOSPITALIERE change avec la mise en place de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). Il va en être de même pour la vie universitaire. Que l’on ait pu soutenir avec enthousiasme les principes de cette loi, ou bien que l’on se soit battu farouchement contre, le texte a été voté, les décrets d’application ont été promulgués : il faut à présent vivre avec. L’article L.6112-1 est ainsi libellé : « Les établissements de santé peuvent être appelés à assurer, en tout ou partie, une ou plusieurs des missions de service public suivantes : 1/ la permanence des soins ; 2/ la prise en charge des soins palliatifs ; 3/ l’enseignement universitaire et postuniversitaire ; 4/ la recherche.
Pour la première fois en novembre 2011, et dans l’esprit des Assises hospitalo-universtaires de Lyon de décembre 2010, des internes vont franchir les portes d’établissements du secteur libéral pour suivre un stage qui va durer six mois. De nombreuses cliniques en France ont demandé l’agrément aux nouvelles commissions ad hoc gérées par les Agences régionales de santés (ARS) au printemps dernier ; certaines d’entre elles accueilleront des diplômes d’enseignement supérieur (DES) d’anesthésie-réanimation, mais aussi de réanimation médicale, de chirurgie, de cardiologie, etc. Les postes sont désormais au choix, au même titre que les postes de nos CHU et CHG. Dans un contexte d’augmentation du numerus clausus et d’allongement envisagé du temps de formation du DES, cette possibilité est présentée comme un avantage.
Que penser théoriquement d’un tel bouleversement ?
Tout a été dit. Parmi une multitude de réactions négatives dans le contexte particulier de l’anesthésie-réanimation, on a pu lire que les cliniques accueillaient des internes pour se constituer des pools de remplaçants, pour recruter de futurs collaborateurs ou pour encaisser des financements de missions d’intérêt général (MIG)… Les opposants à cette nouvelle règle émettent également de sérieux doutes sur la saturation réelle de l’offre de formation publique en région et sur les capacités d’encadrement des collègues du privé. Ils mettent également en garde contre l’ouverture d’une brèche dans le contrôle universitaire exclusif de la formation. Les partisans de l’ouverture au privé, quant à eux, considèrent en revanche qu’un certain nombre de gestes ou techniques ne sont plus (ou plus assez) pratiqués à l’hôpital public et que l’hospitalisation privée, qui réalise à présent 57 % de l’activité chirurgicale, a pris de l’avance pour la chirurgie ambulatoire et pour l’optimisation des organisations. Il est envisagé que le choix ciblé de certains établissements permette probablement de combler ces lacunes. Les demandes argumentées des tuteurs des cliniques, des collègues souvent bien connus, permettent d’ailleurs de se rendre compte de leur motivation sincère. Ces supporters de l’ouverture au privé, en accord avec des notes des ARS font également remarquer que des agréments ont déjà été donnés par le passé à de toutes petites structures périphériques, alors qu’elles ne remplissaient pas le minimum requis pour être reconnues comme un stage formateur. Ils rappellent de surcroît que les cliniques sont également engagées dans les processus d’accréditation au même titre que les hôpitaux publics et peuvent faire bénéficier les internes des procédures qualité mises en place (évaluation des pratiques professionnelles, réunions de morbi-mortalité, prise en charge de la douleur…). Enfin, un cahier des charges destiné aux coordonnateurs ayant été rédigé par les enseignants d’anesthésie-réanimation, il semble évident pour les défenseurs du nouveau dispositif que les critères d’agrément ne diffèreront pas selon que l’on soit privé ou public.
La question qui reste entière cependant est celle de savoir ce qui permettra de différencier justement la formation de base avec simple apprentissage de techniques de celle permettant d’acquérir l’expertise réelle d’une discipline. Il faut sans doute sortir de l’idée que les stages en privé ne seraient là que pour compenser une carence du service public. L’important sera de fournir aux internes une formation de qualité la plus diversifiée possible.
Ce débat, passionnant, commence d’être à présent derrière nous et nous nous devons de rester pragmatiques. La réforme du financement de l’internat (DGOS/R1/2011/125) du 30 mars 2011 transforme les émoluments forfaitaires versés aux établissements à un financement partiel à l’activité qui fait peser pour chaque poste ouvert le risque de faire porter un raisonnement de type coût/bénéfice en lieu et place d’une réflexion stratégique en besoins de formation. De fait, des hôpitaux publics inquiets pour leurs équilibres prévisionnels recettes/dépenses (EPRD) ont fermé des postes d’internes ; de même, les établissements privés pourraient choisir à l’avenir de n’ouvrir que des postes susceptibles de faire « fonctionner » les activités rémunératrices… L’inquiétude pointe donc à l’horizon de nos régions (ou de disciplines telles que l’anesthésie-réanimation) pour lesquelles la démographie médicale est devenue une source de compétitivité délétère entre les établissements de santé, qu’ils soient d’ailleurs publics ou privés.
Un premier bilan objectif facile à faire.
Si le ciel menace de s’obscurcir, il faut reconnaître qu’aujourd’hui cette menace reste mesurée… En pratique, et pour prendre l’exemple de la région Ile-de-France, une seule clinique a bénéficié pour l’instant de l’agrément avec deux postes d’interne, pour un total de 249, en novembre 2011. Le nombre total d’établissements concernés cette année est inférieur à quinze cliniques pour tout le territoire national. Il sera donc facile de faire un premier bilan objectif. Les internes seront d’ailleurs les meilleurs juges. L’expérience de nos voisins européens comporte également ce type d’aventure, qui pourra, le cas échéant, être utilisée comme comparateur. Par ailleurs, la nécessaire précision des objectifs pédagogiques imposera aux CHU et CHG de restaurer une compétitivité éducationnelle vis-à-vis des établissements privés, dans les domaines, notamment pour notre discipline, de l’anesthésie loco-régionale ou de l’anesthésie pour l’interventionnel ambulatoire. Il nous faut bien admettre que c’est au prix de la qualité et de l’expertise que les établissements qu’ils soient publics ou privé seront choisis par les internes.
Une étude menée récemment a fait le point sur l’expérience lyonnaise d’internes en anesthésie-réanimation dans le privé (Laurent Gergelé, Mémoire de DES 2007). Vingt-huit internes ayant bénéficié du dispositif d’un semestre passé par chacun d’entre eux au sein d’un des cinq établissements concernés et quarante praticiens les ayant accueillis ont répondu à un questionnaire réalisé par un sociologue (Yann Faure, Ecole Normale Supérieure de Lyon). La satisfaction globale des internes et des praticiens était respectivement de 8,8/10 et 9,5/10. La qualité des médecins encadrant et la conformité des pratiques étaient jugées par ces internes de 3 à 4 sur une échelle de 1 à 4. Le poids du cas moyen traité des patients n’était pas estimé subjectivement par ces internes comme différent de celui rencontré au CHU. Aucun interne ne regrettait son choix et tous considéraient a posteriori qu’ils reprendraient ce stage s’ils devaient le refaire. La motivation principale des internes dans le choix des stages en clinique restait dans 93 % des cas un objectif de formation plus qu’un tremplin en vue d’une installation en privé.
* Pôle anesthésie-réanimations-thorax-explorations, groupe hospitalier Cochin-Broca-Hôtel-Dieu, Paris
** Clinique Générale, Annecy
*** Pôle anesthésie-réanimation, CHU de Lille
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