LE QUOTIDIEN : Dans quel esprit avait été élaborée la réforme sur les reconversions en 2017 ?
PR BENOÎT VEBER : Elle a d’abord été faite pour répondre aux accidents de la vie. Lorsqu’un chirurgien a eu un accident et ne peut plus opérer, il faut, bien sûr, lui permettre de continuer à exercer la médecine en se réorientant. C’était donc l’esprit de départ de ce second DES. Mais le but est aussi de permettre à des médecins qui se rendent compte, au bout de quelques années, que leur exercice ne correspond finalement pas à leurs attentes, de faire évoluer leur projet professionnel.
Quelles sont les réorientations qui vous semblent les plus cohérentes ?
Par exemple, un médecin nucléaire, spécialisé dans l’imagerie avec utilisation d’isotopes, peut avoir envie d’élargir son champ de compétence à l’entièreté de la radiologie. D’autant plus qu’il a une base de formation initiale commune avec la radiologie. On peut aussi imaginer un gynécologue médical qui souhaiterait devenir obstétricien, ou encore un médecin biologiste spécialisé dans la fécondation in vitro qui aurait envie de faire de la gynécologie médicale. Autre exemple très cohérent : un médecin intensiviste-réanimateur qui voudrait devenir anesthésiste-réanimateur. Dans ce cas, il compléterait sa formation avec la capacité d’endormir les malades, en plus de celle de les réanimer.
Lors des examens de dossiers, vous allez donc privilégier les spécialités qui ont un lien entre elles ?
En tout cas, c’est plus cohérent en termes d’évolution professionnelle, car lorsque l’on a déjà une formation complète il sera dommage de complètement basculer dans une discipline qui n’a rien à voir avec la première. Après, la décision des commissions régionales de chaque spécialité dépendra de la motivation des médecins et de leur capacité à expliquer pourquoi ils veulent faire un virage à 180 degrés. Les candidats devront bien préparer leur argumentaire. Ce deuxième DES est une possibilité, non un droit.
Exiger trois ans d'exercice à temps plein n'est-ce pas trop long pour des confrères qui sont en souffrance dans leur spécialité initiale ?
Ce n’est pas un droit au remords pur et simple, mais bien une évolution professionnelle. Et pour évoluer, il faut déjà avoir eu une expérience professionnelle. En cas de souffrance au travail, il y a un moyen rapide qui est donné pour y répondre, au travers des formations spécifiques transversales (FST) et des options, après seulement un an d’exercice. Je prends un exemple : un pneumologue qui ne serait pas complètement en phase avec la prise en charge de la cancérologie dans sa discipline, laquelle peut être pesante, pourra se réorienter au bout d’un an en faisait l’option « soins intensifs respiratoires ». Il pourra alors prendre en charge des insuffisants respiratoires aigus ou chroniques et donner une nouvelle orientation très forte à son projet professionnel.
À vos yeux, pourquoi ne serait-ce pas acceptable de rémunérer les médecins en reconversion au même niveau que les internes ?
Ça serait évidemment une piste très insatisfaisante, qui ferait même fuir des médecins qui ont des enfants et des charges financières personnelles. Nous avons fait remonter très clairement au ministère de la Santé que ces praticiens, en exercice depuis plusieurs années, devaient avoir un niveau de revenus différents de celui des internes. L’une des pistes évoquées serait de leur proposer un salaire satisfaisant – certainement celui d’un praticien contractuel – dans le cadre d’un engagement de service public. S’ils ont fait trois ans de formation dans le cadre d’un deuxième DES, alors ils devront trois ans à la région qui les a formés. Je trouve cette idée astucieuse et constructive car, d’un côté nous donnons au praticien la chance de se réorienter, avec un salaire correct, et de l’autre il rend cette opportunité sous la forme de temps de travail. C’est gagnant-gagnant. Mais nous attendons toujours un texte sur le sujet.
Pensez-vous que cette facilité à changer de spécialité puisse booster l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires ?
Je suis véritablement inquiet sur ce sujet. Dans cinq ans, il y aura des disciplines, comme l’anatomopathologie, la chirurgie pédiatrique ou la radiologie, où il n’y aura plus assez d’enseignants. Il faut proposer un choc d’attractivité pour les carrières hospitalo-universitaire, si on ne veut pas remettre en cause le modèle du CHU sur lesquels est basée la médecine française. Pour autant, est-ce que la possibilité de se réorienter sera une réponse à l’attractivité ? Je ne crois pas car le deuxième DES allonge considérablement le temps de formation. Un médecin nucléaire qui souhaiterait se réorienter en radiologie va faire environ trois ans de plus d’études et se retrouver avec un parcours de formation initiale très long, ce qui retardera d’autant plus son parcours universitaire.
Quels conseils donneriez-vous aux confrères qui souhaitent sauter le pas ?
Être sûr que vous ne souhaitez pas continuer d’exercer votre spécialité ! Il y a souvent plusieurs facettes d’une même discipline, donc avant de se lancer dans un second DES il faudra avoir bien étudié toutes les possibilités qu'offre sa spécialité. Quitte à se pencher plutôt vers une option ou une FST. Par exemple, un généraliste qui souhaitera devenir pédiatre a la possibilité de faire une formation complémentaire en pédiatrie et d’orienter davantage sa patientèle vers les enfants.
Réfléchissez bien, car ce n’est pas simple de revenir sur les bancs de la fac et de se trouver à nouveau en situation de junior. Aussi, en France, un médecin ne peut être inscrit à l'Ordre pour deux spécialités, donc en cas de réorientation le praticien perdra son premier DES au profit du second. Mais dans tous les cas, les commissions régionales et les doyens étudieront toutes les demandes avec la plus grande bienveillance.
« Pour la coupe du monde, un ami a proposé quatre fois le prix » : le petit business de la revente de gardes
Temps de travail des internes : le gouvernement rappelle à l’ordre les CHU
Les doyens veulent créer un « service médical à la Nation » pour les jeunes médecins, les juniors tiquent
Banderole sexiste à l'université de Tours : ouverture d'une enquête pénale