À l’occasion du récent congrès de l’American College of Cardiology, Martha Gulati et coll. (1) ont présenté les résultats d’une étude sur la maternité des jeunes cardiologues américaines (la cardiologie est la spécialité où les femmes sont encore sous-représentées aux États-Unis). Sur les 323 répondeuses qui ont été enceintes pendant leur internat ou leurs premières années hospitalières, 37,2 % affirment avoir été sursollicitées (gardes ou astreintes supplémentaires) entre le moment où elles ont annoncé leur grossesse et le début de leur congé de maternité. Conséquence logique de cette sursollicitation, 38,1 % des femmes ont déclaré avoir souffert de complications de la grossesse : 29,3 % de repos forcé, 24,4 % d’accouchements prématurés, 15,5 % de pré-éclampsie et 18,7 % de fausses couches. Ces mères estiment dans leur majorité que leurs problèmes de santé ont impacté leur carrière future du fait de la crainte des employeurs de voir des problèmes de ce type se répéter en cas de future nouvelle grossesse.
Du fait des contrats passés avec les établissements de soins – qui Outre-atlantique laissent majoritairement la question de la parentalité aux assurances privées supplémentaires – 41,5 % des cardiologues ont vu leur salaire baisser pendant leur grossesse et 23,2 % n’ont pas reçu d’indemnités pendant tout leur arrêt de travail. Enfin, 237 répondantes sur les 323 ont estimé que pendant leurs grossesses elles avaient été victimes de pratiques illégales de la part de leur employeur (non respect du temps de repos, non prise en compte de l’état physique, exposition aux rayons X…).
Dans un éditorial joint, Laxmi Metha et coll. (2) expliquent que seules 55 % des femmes cardiologues ont pu prendre les trois mois de congé maternité recommandés aux États-Unis et qu’une majorité des mères ont été sollicitées au cours de leur arrêt pour répondre aux mails de leurs patients ou de leurs collègues. Les éditorialistes insistent aussi sur la pression des employeurs pour une reprise précoce après l’accouchement. Du fait de la perte de salaire, souvent les jeunes mères choisissent de reprendre de façon rapide afin de subvenir aux frais fixes (assurance, remboursements d’emprunts, frais de garde d’enfant…). Laxmi Metha et coll. soulignent aussi que les États-Unis sont bien loin des pays européens en matière de protection pour les femmes médecins en cours de grossesse.
Droit à la déconnexion et au remplacement
La France serait-elle donc un paradis pour les internes et jeunes praticiens enceintes ? Pas sûr. Interrogée par « Le Quotidien », Laetitia Pellicer-Garcia, Vice-Présidente égalité du syndicat d'internes ISNI, estime que « 18 % des internes sont ou deviennent parents au cours de leurs années de troisième cycle ». Différents écueils consécutifs à cette évolution de la vie privée sont régulièrement rapportés aux instances syndicales : en premier lieu revient la question des remplacements des internes en congés maternité ou paternité. Au moment de l’entrée en stage, une femme enceinte, dont le terme est prévu avant la fin du semestre, peut faire la demande d’un poste en surnombre dans un service accueillant déjà le nombre d’internes prévus par l’ARS. Ce stage peut être validant pour le semestre si sa durée est de 4 mois au moins.
Cette disposition a été adoptée afin d’éviter de déstabiliser les services pendant l’absence de l’interne. « Mais, l’absence – prévue ou non — d’un interne même en surnombre est souvent l’occasion de tensions avec les co-internes en particulier pour la question des gardes et des week-ends. Il faut dire que les internes absentes ne sont pas remplacés sinon en interne. De ce fait, elles sont souvent sursollicitées avant ou après leur arrêt pour « compenser le travail supplémentaire réalisé par les collègues », continue Laetitia Pellicer-Garcia.
Les jeunes mères évoquent aussi la pression psychologique qui leur impose de partir le plus tard possible et revenir au plus tôt afin de valider les stages mais aussi de s’assurer à plus long terme leur post-internat. Le risque de réputation de « non-fiabilité » en cas d’arrêt non programmé est d’autant plus mis en avant que les possibilités de places de chef de clinique ou d’assistant sont réduites. « La grossesse en cours d’internat peut apparaître comme un frein à la carrière future dont les contours se dessinent entre 30 et 40 ans. Mais l’internat reste néanmoins un moment relativement privilégié : en tant que chef de clinique ou assistant, tout arrêt de travail décale la fin du contrat. Les médecins seniors sont donc souvent réticents à engager une jeune médecin dont ils savent qu’elle sera absente – et non remplacé - pendant 4 à 6 mois au cours des prochaines années, indique la responsable de l'Isni. Et chose nouvelle, il va aussi falloir prendre en compte au cours des prochaines années l’allongement du congé de paternité dont de plus en plus d’hommes souhaitent profiter », ajoute Laetitia Pellicer-Garcia.
Comment améliorer le quotidien des jeunes parents médecins ? Laxmi Metha et coll. proposent d’établir des règles d’absence, de compensation financière, de remplacement et de droit à la déconnexion aux États-Unis. Du côté de l’ISNI, c’est non seulement l’instauration du remplacement systématique qui est mise en avant, mais aussi la facilitation du suivi de grossesse (avec libération de temps travaillé) ou l’accès privilégié aux crèches hospitalières – comme c’est le cas pour les médecins militaires. Laetitia Pellicer-Garcia le souligne, « aujourd’hui, avec la féminisation des promotions de médecins, il n’est plus possible de faire un tri dans le genre que l’on souhaite faire travailler. Il faut rendre visibles ces problématiques de parentalité et de tenter de trouver des solutions et non de victimiser ou de diaboliser les jeunes parents ».
Exergue : Ces mères estiment dans leur majorité que leur maternité a impacté leur carrière future
(1) Childbearing Among Women Cardiologists: The Interface of Experience, Impact, and the Law. Gulati M, Korn R, Wood M et coll. J Am Coll Cardiol. 2022 Mar, 79 (11) 1076–1087
(2)The Implications of Restrictive Maternity Leave in Cardiology: A Time to Hold the Levers. Mehta L, Blumenthal R, Sharma G. J Am Coll Cardiol. 2022 Mar, 79 (11) 1088–1091
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