Le respect du temps de travail maximal de 48 heures par semaine pourrait-il enfin devenir prochainement effectif à l'hôpital ? C'est en tout cas, l'espoir que caressent internes et PH à l'issue d'une audience qui s'est tenue hier, mercredi 8 juin, au Conseil d'État. En effet, le rapporteur public - dont les avis sont généralement suivis dans les deux tiers des cas - a estimé que le recours lancé par l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) n'était juridiquement pas fondé. Mais, dans le même temps, ses conclusions ouvrent néanmoins clairement la voie à un décompte plus fin des heures passée à l'hôpital et donc in fine à un respect réel du temps de travail maximal.
En effet, en novembre 2020, l'Isni avait lancé ce recours devant la plus haute juridiction administrative pour enjoindre le ministre de la Santé à décompter précisément le temps de travail des juniors. Celui-ci est borné à 48 heures hebdomadaires conformément au droit européen, mais dépassé chroniquement dans de nombreux services, car compté en demi-journées, lesquelles sont souvent à rallonge. À ce recours s'est également associée Action Praticien Hôpital (APH), qui réclame également « un décompte horaire du temps de travail des hospitaliers », confirme le Dr Jean-François Cibien, urgentiste et président d'APH, ainsi que le syndicat Jeunes Médecins.
En avril 2021, après avoir envoyé un courrier resté sans réponse à Ségur et Matignon, le syndicat d’internes avait déjà obtenu un premier message d'espoir du Conseil d’État qui mettait alors en demeure Olivier Véran et Jean Castex de produire des observations sur le temps de travail des internes. « Je ne pensais pas voir l’audience au Conseil d’État de mon vivant », plaisante Gaétan Casanova, président de l’Isni, engagé depuis le début de son mandat dans le respect du droit des internes.
Décompte précis
Devant le Conseil d’État, les carabins ont notamment fait valoir que « la réglementation du temps de travail des internes n’est pas conforme au droit de l’Union européenne » et notamment à la « directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qui impose de déterminer de façon objective et certaine la quantité de travail effectivement réalisée par les travailleurs et sa répartition dans le temps ». Plus simplement, « pour respecter les 48 heures et les évaluer, il faut compter en unité de temps et donc en heures », résume Gaétan Casanova.
De plus, l’Isni considère ce décompte par demi-journées comme « injuste ». En effet, alors que certains internes bénéficient de services en « temps posé », avec une relève de garde généralement à 18 heures, les internes officiant dans des services sans équipe de garde voient leurs demi-journées s’allonger, parfois tard dans la nuit… « Certains et certaines d’entre nous terminent leur journée ayant ainsi réalisé une demi-journée de huit à neuf heures ! »
Même constat du côté des praticiens hospitaliers. « La définition universelle du temps, ce sont les minutes, les heures. Il faut qu’on arrête de nous enfumer », fulmine Jean-François Cibien. Car, chez les PH aussi, le calcul par demi-journées conduit à des abus, selon le président d'APH. « Le décompte des heures supplémentaires ne commence qu'à partir de 48 heures hebdomadaires, donc entre 39 heures et 48 heures, le temps de travail est invisibilisé, volatilisé, sans salaire, regrette-t-il. Ça fait 20 ans que l’État économise sur le dos des hospitaliers. »
Recours rejetés
Pour mettre fin à ce système flou et « illégal », le syndicat d'internes a demandé au Conseil d’État, d'abroger purement et simplement l’article R. 6 153-2, II et III du Code de la santé publique – qui a trait au décompte du temps de travail des internes en demi-journées. Une requête rejetée par le rapporteur public à l'audience du 8 juin, comme l'ensemble des recours portés par les internes et les praticiens.
Pourtant, les conclusions du rapporteur public avaient un avant-goût de victoire. « Le rapporteur a rejeté notre demande car il nous a dit que le droit exigeait déjà la mise en place d’un système de décompte du temps de travail fiable, sincère et objectif, y compris pour les hospitaliers », raconte Gaétan Casanova.
Mais lors de l’audience, le rapporteur a aussi proposé que, dès lors un interne ou un médecin le demandera, l'hôpital sera tenu de mettre en place un « dispositif » d'évaluation du temps de travail. « Si c’est repris tel quel, ce serait révolutionnaire et historique ! », ajoute l’interne. « Nous ne demandons pas de faire du 9 heures - 17 heures, simplement de respecter le plafond de 48 heures en permettant de niveler le lendemain si nous sommes restés tard », justifie Gaétan Casanova. Pour cela, l’interne imagine la mise en place par exemple « de logiciel d’évaluation du temps de travail, ou simplement d'une feuille signée par le chef de service ».
Autre suggestion du rapporteur à destination des hospitaliers : « Il nous a clairement conseillés, à titre individuel, de porter l’affaire devant les tribunaux administratifs, car les hôpitaux sont en charge de faire respecter le temps de travail, raconte Jean-François Cibien, présent, lui aussi, à l'audience. Imaginez 100 000 PH et 35 000 internes qui font valoir leurs droits au tribunal ! »
Épuisement
Alors que les suicides de jeunes se succèdent et que les deux tiers d’entre eux disent avoir déjà souffert de syndrome d’épuisement professionnel, les juniors étaient déjà descendus dans la rue en juin 2021 pour réclamer, une fois de plus, le décompte de leur temps de travail. Dans la foulée, le ministère de la Santé avait diligenté une enquête sur le sujet. Dévoilée en novembre, elle montrait que 70 % des carabins effectuaient plus de 48 heures par semaine. « Il ne faut pas s’étonner de l’état de désertion de l’hôpital public, notamment par les jeunes générations, quand on pousse jusqu’à l’épuisement professionnel de nombreux soignants ! », a réagi le syndicat Jeunes Médecins, quelques jours avant l’audience.
La décision devrait être rendue sous deux ou trois semaines, confirme au « Quotidien » le Conseil d’État. « Le combat est tellement important que nous épuiserons tous les recours judiciaires », avertit Gaétan Casanova. « Je me battrais jusqu’au bout pour ne pas creuser la tombe des soignants », assure, lui aussi, Jean-François Cibien.
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