Courrier des lecteurs

« Je ne prends plus de nouveaux patients ! » Mais pourquoi ?

Publié le 27/02/2020

Times are changing… « – Je voudrais s’il vous plaît, un gâteau, et un pain de campagne, » : « – Madame, je ne crois pas vous connaître. Vous ne faites pas partie de ma clientèle. Désolé, je ne prends pas de nouveaux clients. »

« – Je suis en panne, Monsieur le garagiste. Nous sommes de passage dans la région. Pouvez vous jeter un coup d’œil à ma voiture ? » « – Navré Monsieur, mais je ne prends plus de nouveaux clients. Essayez un autre garage… »

Cocasses ces situations où le professionnel vous invite à passer votre chemin; et il faut le dire, un peu choquantes ! Mais que penser quand c'est le médecin qui tient le même discours ! « Je ne prends plus de nouveaux patients ». La seule profession où jadis, au nom d’un humanisme de bon aloi, on se serait plié en quatre pour rendre service à son prochain, c’était bien celle de médecin ! Le domaine de la santé, de la maladie, du service que l’on rend à toute heure, car ici, la vie est toujours en question, même si elle n’est pas à chaque instant en danger. Le médecin n’avait-il pas la réputation de se comporter comme une personne d’un rare dévouement ?  On allait jusqu’à parler d’apostolat ! Eh bien, figurez-vous que c’est presque rentré dans les mœurs ! Oui, cette phrase est de nos jours devenue si courante, qu’on l'accepte : ce médecin ne prend plus de nouveaux patients. Qu’on se le tienne pour dit.

Un pied de nez à Hippocrate

Times are changing… Aujourd’hui, lorsqu’un malade se trouve hors de son département, ou cherche un rendez-vous parce que son praticien habituel est absent et non remplacé ou parti à la retraite, il s’entend dire : « Désolé, je ne prends plus de nouveaux patients ». Et il doit passer plusieurs coups de fil avant de trouver un confrère qui veuille bien le recevoir et encore plus s’il souhaite intégrer une patientèle.

Curieuses situations où sans explication rationnelle, un très grand nombre de personnes énoncent dans le même moment et avec la même conviction, la même idée sans qu’elles se soient concertées. Quelle graine a donc bien pu germer dans la tête de tous ces confrères pour qu’un jour, ils prononcent de manière simultanée cette même phrase si explicite, pas forcément auréolée d’altruisme : « Je ne prends plus de nouveaux patients ». Pied de nez magistral au révérend Hippocrate – dont le serment avait traversé tant de siècles pour arriver intact jusqu’à nous – cette phrase, il y a dix ans, n’était sur aucune lèvre. Aujourd’hui, elle est aussi facilement prononcé qu’un : « Bonjour ».

Au commencement, le médecin traitant...

Il n’est pas nécessaire de s’avancer bien loin pour découvrir que c’est le médecin référent, institué en 1998, devenu en 2004 médecin traitant, qui est le « fait générateur ». En donnant une frontière à la patientèle, le législateur était sans doute loin d’imaginer que sa trouvaille aurait eu un jour cette désastreuse conséquence.

Recensée, enregistrée, comptabilisée, la clientèle du praticien est devenue une liste administrative. Nous avons d’ailleurs reçu, pendant plusieurs années, la version papier de ce long listing édité par nos CPAM, que nous pouvons consulter aujourd’hui sur notre espace Ameli.

Auparavant, les patients du médecin étaient l’ensemble de ceux qui venaient régulièrement le voir et qui étaient suivis par lui, mais aussi ceux qui occasionnellement frappaient à sa porte. Il ne donnait jamais à son secrétariat de directive visant à instaurer un quelconque ostracisme et jamais il ne lui serait venu à l’idée de dire : « Madame, Monsieur, je ne vous connais pas, donc je ne vous soignerai pas ».

De multilples raisons

Si le médecin référent a été le substrat de ce glissement regrettable, il n'en est pas la cause. On aurait volontiers admis qu’un médecin des années 80 qui voyait souvent près de 50 patients par jour cherchât à réduire son activité, chose que, curieusement, il ne faisait pas. On peine un peu à comprendre que certains confrères des années 2020 qui n’en voient qu’une petite vingtaine le fassent. Mais, les réactions humaines sont si souvent imprédictibles !

Alors quelles hypothèses peut-on avancer ? En voici, pêle-mêle, quelques-unes. « J’ai suffisamment de patients et je gagne déjà correctement ma vie » (à 25 € l’acte, on peut en douter !). « Après avoir fait dix années d’études, mes revenus ne sont pas mirobolants, mais je fais le choix de la qualité de vie. » « Je n’ai pas envie de faire des journées qui n’en finissent pas. J’entends, moi aussi avoir une vie de famille et profiter de loisirs. » « Je suis une femme et j’ai des enfants ; je souhaite leur consacrer du temps. » « J’en ai assez du système. On nous a lessivés essorés, on s’est trop fichu de nous, les gouvernants nous ont méprisés, pas augmentés, humiliés, les caisses nous éreintent de leurs contraintes administratives. On nous a montrés du doigt, à tort bien sûr, comme les grands responsables des dépenses de santé. Maintenant qu’on a la possibilité de dire non, on ne s’en prive pas ! »

Toutes semblent fondées et légitimes. Mais cette phrase finit tout de même par faire tache et n’honore pas la profession. Alors, ne pourrait-on pas, sans s’engager à prendre de nouveaux patients, au moins dépanner ceux qui ont des besoins ponctuels… Car, dans le cas contraire, si l’on veut espérer un jour inverser la tendance, on risque d’être contraint de virer le médecin référent !

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Dr Bernard Riou Médecin généraliste Vern-sur-Seiche (35)

Source : Le Quotidien du médecin