Comment former davantage de praticiens afin de combler les besoins de santé ? Faut-il continuer de réformer les études médicales ? Ces questions récurrentes étaient au cœur d’une table ronde sur la formation, lors des récentes Rencontres de la médecine spécialisée 2023 à Lyon, organisées par le syndicat Avenir Spé. « Les maladies chroniques explosent et la population vieillit, ce qui augmente les besoins médicaux par quatre ou cinq, a cadré l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, invité du congrès lyonnais. Notre système hospitalo-centré n’a pas suivi ces besoins démographiques. Mais le problème de la désertification médicale n’est pas que français, il est mondial ».
Numerus clausus « incompréhensible »
Pour l'ancienne ministre, la France souffrait de deux handicaps principaux avant sa loi de transformation du système de santé de 2019. « Nous avions un numerus clausus incompréhensible quand on manque autant de médecins et cela nuisait à la diversification des profils. Quand on vient d’une famille pauvre et/ou de milieu rural, on n’a pas les moyens de se payer le risque de deux premières années de médecine ! Or, on s’installe en priorité là où on a vécu, donc si on ne sélectionne que des enfants des villes, la France entière devient un désert médical ». De plus, « en première année ou aux ECN, nous mettions en valeur le bachotage et tout le monde en pâtissait… Les étudiants en médecine étaient nombreux à souffrir de dépression et les suicides étaient très courants », rappelle Agnès Buzyn.
Dans le cadre de la réforme « Ma santé 2022 », le volet formation visait ainsi à diversifier le recrutement. « Nous avons ouvert des passerelles pour des étudiants d’autres filières, réforme qui est en train d’être évaluée par la Cour des comptes. C’est un peu tôt car, comme pour toute réforme, les deux ou trois premières années sont un peu difficiles et la suppression du numerus clausus a demandé beaucoup de réorganisation ». Rien n'est simple : les étudiants des filières santé n'ont cessé de pointer les dysfonctionnements liés à la mise en place des nouvelles filières PASS et L.AS, après la suppression de la PACES et du numerus clausus.
Antennes universitaires
Le Pr Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de santé de Caen et président de l’Observatoire national de la démographie des profession de santé, veut croire aux évolutions positives. « La suppression du numerus clausus [remplacé par un numerus apertus qui laisse davantage de marge aux facultés] nous a obligés à prendre en compte les besoins de santé des territoires, alors qu’ils sont très compliqués à mesurer », souligne-t-il. Pour cet expert, « il faut surtout donner les moyens aux territoires éloignés des CHU de former des étudiants en stage. La réforme de la PACES a permis de développer des antennes universitaires, ce qui est une avancée ».
Mais le défi de la formation initiale reste colossal. Il faut « être capables de former aussi bien le spécialiste ultra-pointu dans un domaine que des professionnels ayant une vision plus transversale de la santé », analyse-t-il. Sans compter qu'il est nécessaire d'intégrer dans le cursus santé davantage de formation au « savoir-être », avec aussi une prise en compte de la parole des patients, comme le souligne Guillaume Benhamou, patient-enseignant et formateur. « La formation des médecins spécialistes doit être centrée sur l’écoute du patient. Vos consultations sont très riches mais parfois un peu difficiles à comprendre, il faut vous adapter à vos patients ! », a-t-il lancé aux spécialistes d'Avenir Spé.
Le méli-mélo du statut d’interne
Pour Guillaume Bailly, président de l’intersyndicale nationale des internes (Isni), la fin du numerus clausus ne doit pas masquer la question des 10 à 15 % d’internes qui abandonnent leurs études. « Nous passons un temps non négligeable à faire de l’administratif et pas de la médecine. C’est ce qui nous tue à petit feu », accuse-t-il. De plus, « le statut de l’interne est un méli-mélo autour duquel on ne se retrouve pas : nous sommes à la fois étudiants et professionnels de santé en formation, tantôt infantilisés, tantôt responsabilisés. Nous demandons davantage de considération ».
Le Dr Emmanuel Loeb, président de Jeunes médecins, estime qu’il faut « sortir d’une vision angélique voire démagogique de la diversification des profils. Elle ne se fait pas à l’université, mais dès la crèche, plaide-t-il. Bref, il faut mettre des moyens au plus tôt pour que les personnes issues de milieux défavorisés puissent aller à l’université ! ».
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