Le Conseil national de l’Ordre soutient le désir légitime des patients de mourir à domicile et d’y être soulagés de leurs douleurs. Mais il n’est pas du ressort des généralistes d’endosser « ce double rôle de soignant et de prescripteur de mort ». Le devoir du médecin est de soigner, soulager, accompagner. Si peu de patients énoncent clairement une demande d’euthanasie, en faisant du soin palliatif, le généraliste accepte d’y être confronté. Pour le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), la fin de vie est plus que tout l’affaire des généralistes. Il milite d’ailleurs pour qu’elle ne leur soit pas retirée. « Ce serait une négation de notre métier », affirme le généraliste de Clamart.
Faire corps avec la famille
« La mort à domicile est une mort calme », confie le Dr Jean Méheut, qui a accompagné une centaine de patients sur le chemin de la fin de vie. Diplômé d’un DU Gériatrie, d’un DU Soins palliatifs, d’un DU Prise en charge et traitement de la douleur (pour n’en citer que quelques-uns) et d’une formation en thérapie familiale, ce généraliste sait de quoi il parle, lui qui se rend jusqu’à trois fois par jour chez ses patients en phase terminale. « À l’hôpital, le patient est sédaté avec l’accord des proches. Au domicile, je n’ai jamais eu recours à la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ; le domicile est un lieu de vie propice à l’accompagnement. ». Un point de vue partagé par le Dr Hamon selon lequel l’accompagnement de la fin de vie se fait naturellement : « On connaît le patient, il nous fait confiance. » Mais il conseille tout de même aux proches de ses malades de s’assurer que celle-ci est possible au domicile. Humainement, moralement et techniquement. « Peu de familles acceptent de voir un proche mourir chez lui. La fin de vie requiert des moyens matériels et humains conséquents », prévient ce professionnel. Le logement du patient doit être aménagé et équipé en conséquence (porte-malade, lit médicalisé, fauteuil garde-robe…). Il est donc nécessaire d’entretenir un lien solide avec la famille qui aura grand besoin d’être rassurée. Car accompagner un malade en fin de vie, c’est également accompagner sa famille dans ce passage délicat. Il faut savoir l’écouter, recueillir son avis, en discuter avec le patient. « La relation doit être humaine tant avec les proches, qu’avec les personnes intervenant au chevet du patient comme l’infirmière, le kiné, conseille le Dr Colette Charrier, généraliste à Bordeaux. C’est un travail d’équipe car, si l’un des soignants ou l’un des proches craque, un autre peut le soutenir. »
Savoir s’entourer
« La fin de vie est très lourde à prendre en charge, confie le Dr Hamon. Peu de médecins assument cet accompagnement. Mais ceux qui le font, le font très bien. » La première difficulté à laquelle va être confronté le médecin est l’annonce du diagnostic. « Une attitude proactive, des examens rapidement orientés, une prise en charge précoce, permettent une annonce rapide, dans la foulée, et aident le patient à encaisser le choc, car il se sent pris en charge », explique le Dr Jean Méheut. « Les premières années sont les plus difficiles. Il y a beaucoup d’inconfort, mais être allé participer très tôt à des formations et des congrès de soins palliatifs m’a fortement aidé à tenir bon. Aujourd’hui je peux dire qu’il y a une vie dans le soin palliatif, mais au début, il m’est arrivé de me sentir dans un tunnel dont je ne voyais pas le bout », se souvient ce professionnel. Ainsi, pour éviter une pesante solitude, s’entourer de professionnels qui soutiendront la démarche de soins palliatifs est rassurant. Le Dr Charrier qui a accompagné un certain nombre de ses patients en fin de vie se souvient, elle aussi, d’un sentiment de solitude à ses débuts. « La mort est un sujet tabou dont on parle peu. La fin de vie d’un patient laisse des traces, surtout s’il s’agit d’un malade que l’on connaît bien. C’est très compliqué sur le plan intime. J’ai été confrontée à un grand isolement et aujourd’hui je conseille vivement aux jeunes de ne pas rester seuls, de s’entourer de professionnels avec lesquels discuter de façon sincère et de prendre des décisions à plusieurs. Il est nécessaire de pouvoir obtenir des conseils sans perdre le contact avec son patient. » En enseignant à des étudiants de 4e année, le Dr Charrier a constaté qu’aucun d’eux n’associait la médecine générale à la mort et qu’en aucun cas ils n’imaginaient y être un jour confrontés : « Je pense qu’il est important de prévenir les futurs jeunes généralistes que la mort fait partie du métier, qu’il est nécessaire de s’y préparer sur le plan intime. Après, chacun l’abordera différemment avec sa propre expérience et ses propres angoisses. » Et si le médecin ne se sent pas capable de bien faire, il ne doit pas hésiter à confier son patient à un collègue. Car, comme le souligne très justement cette généraliste : « Si l’on a décidé d’accompagner le patient et sa famille, il faut assumer jusqu’au bout ».
V. A.
À quand l’autorisation de prescrire du midazolam ?
Pour soulager l’anxiété et l’inconfort des malades en fin de vie, la stratégie médicamenteuse dont disposent les généralistes est aujourd’hui limitée à certaines molécules comme le rivotril ou le valium qui ne sont pas des antalgiques. Unie dans un même combat, la communauté des médecins généralistes attend l’autorisation officielle lui permettant de prescrire du midazolam, aujourd’hui délivré uniquement par des médecins hospitaliers. « Notre travail est de prévenir les situations de détresse, pas de faire de la sédation profonde et continue », explique le Dr Méheut. Le midazolam procure aux patients un sommeil plus calme et permet donc à l’entourage familial de passer des nuits plus sereines. « Cette molécule contribue à apaiser le mal-être et la fatigue morale qui empêchent de dormir. C’est le sédatif qui préserve le mieux l’autonomie du patient », complète ce praticien. La FMF soutient fermement le droit des généralistes d’administrer ce sédatif aux patients en fin de vie. Pour la fédération, le midazolam est beaucoup plus souple d’utilisation que le rivotril ou le valium. Mais les derniers débats sur le sujet conditionneraient sa prescription à la tenue d’une consultation pluridisciplinaire constituée de professionnels dont certains seraient extérieurs au suivi du patient. « La demande de consultation pluridisciplinaire est hors sujet car aujourd’hui, aucune décision n’est prise à domicile sans le consentement de la famille et du patient avec l’infirmière. Faire intervenir une personne extérieure, même spécialiste des soins palliatifs pour cautionner la prescription ou la décision du généraliste alors qu’elle ne connaît pas le patient, n’a pas de sens », fait remarquer le Dr Hamon. Aujourd’hui, en l’absence d’autorisation de prescription de midazolam, les généralistes font appel aux réseaux de soins palliatifs, ou prennent le risque d’en délivrer sans autorisation officielle. « Les interdits - je pense celui d’euthanasie - sont structurants, mais l’amoncellement des normes est incapacitant ou source de violence. Il faut avant tout permettre aux médecins de soigner leurs patients », conclut le Dr Méheut. En février 2020, Agnès Buzyn avait annoncé un délai de quatre mois avant la promulgation du règlement autorisant aux généralistes la prescription de midazolam.
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