Mercredi, devant un hémicycle au grand complet, Michel Barnier, a égrené plusieurs propositions pour lutter contre les déserts médicaux, lors de son discours de politique générale. L’une des pistes avancées par le Premier ministre consiste à créer un « programme Hippocrate » pour inciter les jeunes recrues à commencer leur carrière dans les secteurs fragiles pendant une période donnée. Avec ce futur dispositif en effet, le chef du gouvernement veut inciter « les internes français et étrangers » à s’engager à exercer « volontairement » dans des territoires sous-dotés « grâce à l’accompagnement de l’État et des collectivités ».
Sur le papier, ce dispositif ressemble comme deux gouttes d’eau au contrat d’engagement de service public (CESP), sorte de bourse « anti-déserts » créé en 2009 à la faveur de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST), et réformé en 2019. Ces contrats permettent déjà aux étudiants de deuxième et troisième cycle en médecine et odontologie (ainsi qu’aux praticiens à diplôme hors UE) de percevoir une allocation mensuelle de 1 200 euros en contrepartie d’un engagement à exercer dans une zone sous-dense (pendant un nombre d’années égal à celui durant lequel ils auront perçu cette bourse et pour deux ans minimum). Depuis la mise en place du dispositif en 2010, plus de 4 000 contrats ont été signés dont 3 300 par des étudiants de médecine. Le fameux programme Hippocrate de Michel Barnier irait-il plus loin ? Et à quelles conditions ?
Un sous-entendu de « serment » qui agace
Sur la forme d’abord, cette annonce a surpris. De fait, les internes – premiers concernés – n’ont absolument pas été consultés en amont. Killian L'Helgouarc'h et Baptiste Bailleul, qui représentent respectivement les internes de l’Isni et de l'Isnar-IMG, affirment tous deux au Quotidien ce mercredi n'avoir « pas du tout » été mis au courant.
Au-delà des modalités « encore floues » qui entourent cette mesure, le patron de l’Isni, lui-même interne en médecine générale, déplore le « sous-entendu » du message du Premier ministre. « Ce qui a été présenté ressemble étrangement au contrat d’engagement de service public… Sauf que le nom a été changé ! Selon moi, l’utilisation du terme "Hippocrate" n’a rien d’anodin. Cela renvoie à notre serment et semble sous-entendre que nous, jeunes médecins, ne serions pas conscients des problèmes d'accès aux soins, regrette l’étudiant déjà thésé. Pourtant, nous les vivons au quotidien, que ce soit en ville ou à l'hôpital. Cela me désole. On a l'impression qu'on nous fait porter la responsabilité des décisions politiques d'il y a 30 ans ». Un brin hypocrite, le programme Hippocrate ?
Inciter plutôt que contraindre, très bonne nouvelle
Sur le fond du message toutefois, les représentants syndicaux s’accordent à dire que le Premier ministre est a priori sur la bonne voie, en écartant la contrainte. « Le caractère volontaire de ce programme nous rassure, c’est vrai que Michel Barnier aurait très bien pu imposer à tous les jeunes médecins de s'installer dans des zones où ils n’ont aucune attache et ne souhaitent pas forcément exercer », positive Killian L'Helgouarc'h.
Au moment où la pression politique sur les jeunes médecins s’intensifie, avec des propositions de loi directives, voire coercitives, Bastien Bailleul (Isnar-IMG) salue lui aussi cette approche modérée et pragmatique du Premier ministre. « Nous soutenons ces mesures incitatives pour encourager l'installation des médecins dans des zones où les besoins en soins sont plus importants, défend-il. L'important, c'est que ce soit fondé sur l'incitation et non sur la contrainte. C’est la meilleure solution pour que ça fonctionne ».
Un nouveau pacte bientôt signé ?
Reste à savoir ce que mijote vraiment le gouvernement sur la question. À défaut d’éclairage, « nous aimerions rencontrer Madame Darieusseucq [ministre de la Santé] rapidement, souhaite Bastien Bailleul. Si elle souhaite établir un “pacte” avec les internes autour du programme Hippocrate, il serait opportun de se réunir, d'en discuter et de poser toutes les cartes sur la table, avec les éléments nécessaires pour garantir sa réussite ».
Question cruciale : quelle gratification offrir aux internes pour que ce programme Hippocrate soit suffisamment incitatif et attractif ? La réponse reste floue. « Cela dépendra des territoires car les besoins en termes de revenus varient, avance Bastien Bailleul. Il faut surtout que les internes y trouvent leur compte et qu'on les accompagne durant leur installation. »
Au-delà de la rémunération, l'accompagnement administratif et le soutien territorial seront un facteur clé. De fait, pour de nombreux jeunes praticiens, l’installation en libéral représente une étape délicate et souvent dissuasive. « Nous ne sommes pas vraiment formés pour ouvrir un cabinet, gérer la comptabilité ou nous inscrire à la Carmf », fait savoir le responsable du syndicat junior. La généralisation du guichet unique –déjà entérinée dans la loi Sécu de 2023 – pourrait être donc être une condition sine qua non pour les internes avant de s’engager dans le programme Hippocrate…
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