DMG de Bordeaux

Des étudiants formés à plus d'indépendance

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Publié le 28/03/2022
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Depuis 2014, le département de médecine générale de Bordeaux propose aux internes une formation à l’analyse critique de la promotion pharmaceutique (Facripp). Dans ce cours, les étudiants apprennent à identifier les mécanismes de promotion pharmaceutique. Ils acquièrent également des connaissances pour aiguiser leur esprit critique et tendre vers une pratique plus indépendante.

Crédit photo : Aude Frapin

Mardi 8 mars, 9 heures. Une quinzaine d’internes de médecine générale sont réunis dans une petite salle en préfabriqué de la faculté de médecine de Bordeaux.
Aujourd’hui, ils assistent au premier cours d’une formation – unique en France – dédiée à l’analyse critique de la promotion pharmaceutique (Facripp).

Dispensée par les Drs Florent Bazile et Jean-Baptiste de Gabory, tous deux médecins généralistes et maîtres de stage des universités (MSU), cette formation a pour but de sensibiliser les futurs médecins aux techniques commerciales de l’industrie pharmaceutique.

« Pensez-vous avoir déjà été confrontés à de la promotion pharmaceutique et, si oui, de quelle manière ? », interroge le Dr Florent Bazile, devant un groupe de cinq ou six internes installés en cercle autour de lui. De l’autre côté de la salle de classe, le Dr de Gabory questionne aussi son groupe.

Sans grande surprise, les internes en médecine générale répondent tous par l’affirmative. « Lorsque j’étais en stage de niveau 1 chez le praticien, le médecin qui m’encadrait recevait régulièrement des visiteurs médicaux », répondent les uns. « Des labos m’ont déjà invité à dîner pour me présenter certains dispositifs médicaux », répondent les autres.

Décoder la promotion pharmaceutique : de la théorie…

Au regard des échanges, la très grande majorité des internes semblent déjà être bien au fait des mécanismes et des techniques marketing utilisés par les Big Pharma, à l’image de Natacha, interne de médecine générale en cinquième et dernier semestre.
« C’est une question que nous abordons un peu à l’externat et de façon plus régulière pendant notre formation universitaire en tant qu’interne. Nous avons déjà été sensibilisés à la question par nos professeurs et, pour certains, par nos maîtres de stage », confie l’étudiante.

Pour autant, tous n’ont pas pleinement conscience de la répercussion que cette promotion pharmaceutique peut avoir sur leurs pratiques, comme l’observe le Dr de Gabory. « C’est tout à fait humain mais certains internes ou médecins se sentent invulnérables. Certains imaginent qu’entretenir des liens avec l’industrie n’aura aucun impact sur leurs prescriptions. Malheureusement, cela va très vite. »

Pour appuyer leur propos, les deux enseignants vacataires affichent, par rétroprojection sur le mur, une étude mesurant l’impact de la promotion pharmaceutique sur la prescription des médecins. « Cette étude établit une corrélation statistique ; plus les médecins sont exposés à la promotion pharmaceutique, plus leur propension à prescrire des médicaments est grande », souligne le Dr Bazile. « Un simple café peut susciter un sentiment de redevabilité » met, à son tour, en garde le Dr de Gabory.

…à l’analyse pratique

Après avoir analysé plusieurs études et exposé certaines données chiffrées, les deux généralistes optent, en cette fin de matinée, pour un exercice pratique. Celui-ci consiste à décrypter une reconstitution filmée de visite médicale, voie promotionnelle classique de l’industrie.

Les internes visionnent le film et, en fins observateurs, se prêtent de bon cœur au jeu de l’analyse. « On remarque que le visiteur médical martèle toujours les mêmes informations ; il insiste sur le prix et la facilité de prise du médicament », note une étudiante. « Le visiteur emploie beaucoup de superlatifs. Tout au long de la rencontre, il valorise le médecin », ajoute une autre.

Dernière phase de l’exercice ? Passer au crible toutes les techniques employées par le délégué médical. Les deux enseignants proposent aux internes une vidéo de décryptage, avant une pause déjeuner bien méritée.

De retour en classe vers 14 heures, les carabins rejoignent la salle de cours pour poursuivre la formation avec un nouvel exercice pratique, dédié à l’analyse de supports. Outils d’aide à la prescription, carnet de glycémie, agenda du sommeil, goodies, prospectus ou encore revues leur sont distribués. Par petits groupes, les internes doivent déterminer dans quelle mesure l’objet qu’ils ont entre les mains peut les influencer. Nom d’un laboratoire inscrit sur un carnet de glycémie, publicité cachée, goodies à l’effigie d’un laboratoire… : les étudiants se rendent vite compte de la présence des Big Pharma dans leur quotidien.

Savoir répondre à la promotion pharmaceutique

« Comme vous le voyez, même si on la refuse, la promotion pharmaceutique s’impose à nous sans aucun filtre et c’est parfois difficile d’y échapper », note le Dr de Gabory.
Mais comment y faire face ? Pour le praticien, « il est plus utile de se préparer à la recevoir et d’avoir une vision argumentée et critique plutôt que d’imaginer qu’on peut s’y soustraire complètement ».

Pendant ce cours, des outils concrets sont fournis aux étudiants. Pour la visite médicale par exemple, les deux enseignants rappellent qu’il est impératif, si les médecins acceptent d’en recevoir, d’interroger sur le service médical rendu du médicament présenté, ses éventuels effets indésirables ainsi que la part remboursée par l’Assurance maladie. Ils apprennent également à distinguer les articles à visée promotionnelle de ceux qui ne le sont pas.

À la fin de la journée, le regard critique de ces futurs médecins semble s’être développé. « J’avais déjà conscience que l’industrie pharmaceutique n’est pas philanthrope, mais ce cours me conforte dans cette idée », avance Noémie, interne en dernier semestre. « Personnellement, j’en arrive à me dire que je ne recevrai pas de visiteurs médicaux. Je préfère me former autrement », renchérit son amie Elsa, aussi interne en cinquième semestre.

Comment mesurer, alors, l’impact réel de cette formation sur la pratique des futurs médecins ? Dans une thèse menée en 2019, le Dr Thomas Delwarde a comparé la prescription médicamenteuse de deux groupes de jeunes médecins six mois après leur session de formation à la Facripp. L’un des deux groupes avait bénéficié de l’enseignement, l’autre pas. Mais les résultats n’ont montré aucune différence statistique significative. Cette thèse présentait peut-être quelques limites. « Les médecins travaillaient souvent en remplacement. Il est possible qu’ils n’aient pas été totalement libres dans leurs prescriptions, qu’ils aient utilisé les ressources médicamenteuses du médecin qu’ils remplaçaient », estime le Dr de Gabory.

Les enseignants en charge de la formation espèrent maintenant que cette quête d’indépendance gagne du terrain au sein des DMG de France mais aussi auprès des médecins déjà installés. En 2020, le DMG de Bordeaux a d’ailleurs ouvert un format en e-learning pour permettre à l’ensemble des professionnels de santé d’accéder à cette formation.

Le Dr Jean-Baptiste de Gabory, médecin généraliste à Cadillac, dispense, au sein du département de médecine générale (DMG) de Bordeaux, la formation à l'analyse critique de la promotion pharmaceutique (Facripp). Dans ce cours, il apporte aux internes des clés pour tendre vers une pratique médicale plus indépendante. Il nous explique le déroulé de la journée de formation :

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Source : Le Généraliste