Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup : encore trop d’incertitudes perdurent sur les modalités d’application de la quatrième année d’internat de médecine générale, pourtant officialisée en décembre 2022, il y a bientôt deux ans… C’est le constat partagé par l’ensemble des enseignants et internes de médecine générale réunis à Strasbourg, à l’occasion du 24e congrès du CNGE. « Le retard accumulé pour publier les textes indispensables à la mise en œuvre de la quatrième année n’est respectueux ni des étudiants, ni des enseignants et des maîtres de stage universitaires, ni des patients », a déploré le Pr Olivier Saint-Lary, président du CNGE.
La rémunération incertaine
Bien que la maquette du nouveau DES ait, elle, été validée par arrêté publié le 9 août — soit huit mois après son annonce —, plusieurs questions essentielles restent en suspens. « On nous dit que ce dossier est sur la pile du ministère, mais qu’avec le budget et le PLFSS, ils sont sous l’eau », a déploré la Pr Laurence Compagnon, médecin généraliste enseignante et membre du bureau du CNGE, lors d’une plénière consacrée au sujet.
Cette réforme, qui engage désormais deux promotions d'internes, n'a en effet pas encore permis de trancher plusieurs questions cruciales, telles que la rémunération, le statut de docteur junior de médecine générale et la convention type de stage. Cette dernière est censée régir les aspects fonctionnels des stages, notamment les conditions de travail des internes (matériel, nombre minimum et maximum de consultations par jour, etc.).
Dans un premier rapport publié en juin 2023, puis, de manière informelle, dans une deuxième mouture remise en mars 2024, la mission sur la quatrième année avait pourtant formulé ses recommandations. Ces documents, rédigés notamment sous la direction du Pr Olivier Saint-Lary, proposaient une rémunération fixe d’environ 1 900 euros net, assortie d’une rétrocession de 20 % des honoraires réalisés, dans la limite de 20 à 25 actes par jour. L’ensemble de ces rémunérations cumulées pourront s'additionner jusqu'à « 4 500 euros net par mois », avait même vanté le ministère. Bien qu’entérinée à l’époque par l’ancien ministre de la Santé François Braun, cette proposition peine à trouver un écho officiel, dans un contexte politique instable.
Les internes de médecine générale, qui revendiquent un modèle de rémunération mixte, ont le sentiment que les discussions stagnent. « Pour certains doyens, la priorité semble être de s’assurer qu’on ne gagne surtout pas trop ! », a ironisé Bastien Bailleul, président de l’Isnar-IMG, lors d’une session de questions/réponses.
Responsabilité en jeu
Au-delà du flou qui entoure la rémunération, des interrogations demeurent concernant l’organisation même de cette année supplémentaire, en ce qui concerne la responsabilité des MSU (maitres de stage des universités). « Pour l’instant, on ne sait pas jusqu’où les maîtres de stage seront responsables des actes de leurs Dr Juniors. Il nous a juste été dit qu’il n’y avait pas de jurisprudence à ce sujet », a souligné la Pr Laurence Compagnon.
Dans ce contexte incertain, la praticienne a averti les MSU encadrant les SASPAS (stages ambulatoires en soins primaires en autonomie supervisée, dits de niveau 2) de l’importance de valider uniquement les étudiants capables d’être autonomes dans leur pratique. « Il faut vraiment être très vigilants sur ce point pour ne pas mettre en difficulté par la suite les collègues qui récupèrent ces étudiants », a-t-elle insisté.
Dans deux ans, quand la grosse vague de docteurs juniors arrivera, cette réforme ne sera pas prête
Bastien Bailleul, président de l’Isnar-IMG (internes de médecine générale)
Face aux incertitudes qui perdurent autour de la « 4A », plusieurs représentants d’internes présents au congrès du CNGE ont explicitement demandé un report de cette réforme. « Dans deux ans, quand la grosse vague de docteurs juniors arrivera, cette réforme ne sera pas prête (…) Même si les arrêtés sortent demain, c’est trop tard, a averti Bastien Bailleul (Isnar-IMG). Un report est nécessaire jusqu’à ce que la réforme soit prête à être appliquée et que les étudiants puissent choisir la médecine générale en toute connaissance de cause ! »
Les stagiaires dans des préfabriqués ?
À ce stade, selon le jeune représentant syndical, les problèmes structurels restent trop nombreux pour assurer un accueil de tous les docteurs juniors dans de bonnes conditions d’ici à la rentrée 2026. « En ce qui concerne les locaux, tout reste à prévoir, a-t-il souligné. Bien sûr que ça n’est pas possible de mettre 3 500 internes du jour au lendemain dans des cabinets libéraux. Mais quand j’entends certaines collectivités parler de nous mettre dans des préfabriqués empilés les uns sur les autres, je ne peux plus me taire. »
Sur la question du logement, là aussi, « rien n’a encore été fait pour trouver des solutions à proximité de nos futurs lieux de stage ». Face « à l’insuffisance très probable » du nombre de terrains de stage et de MSU disponibles pour encadrer ces jeunes, certains étudiants devront se tourner vers d’autres solutions, anticipe Bastien Bailleul. « À Paris, dans les meilleures estimations, ce sont seulement 40 % des docteurs juniors qui auront l’opportunité de l’ambulatoire. C’est loin d’être anecdotique, ce n’est pas quelques internes, c’est plus de 300 internes parisiens », a-t-il déploré, soulignant la difficulté pour ces étudiants de s’installer par la suite en ville.
Des textes pour Noël ?
Malgré l'inquiétude « compréhensible » des internes, les enseignants en médecine générale présents ont rejeté l'idée d'un report de la réforme de la quatrième année. « Je pense que cette proposition ne sera pas retenue car la réforme a été annoncée, non seulement pour ses enjeux pédagogiques, mais aussi pour répondre à des besoins de soins dans certains territoires », a précisé la Pr Laurence Compagnon.
Toutefois, conscients des conséquences de ce retard pour l’attractivité de la spécialité, les enseignants ont lancé un appel au gouvernement. « Si nous n’avons rien d’ici à début janvier, nous devons tous nous préparer à une mobilisation rigoureuse, qu’il s’agisse des internes, des maîtres de stages ou des universitaires, ce sera notre façon de dire que ça suffit », a averti la médecine généraliste. De son côté, le Pr Olivier Saint-Lary a exprimé un vœu pour Noël : « Nous attendons fermement les textes nécessaires à la mise en place du nouveau DES… au pied du sapin. »
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