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Entretien avec Nicolas Revel, DG de la CNAM

« Le DMP ne fonctionnera vraiment bien que si professionnels et patients jouent le jeu »

Par Camille Roux - Publié le 07/11/2018
« Le DMP ne fonctionnera vraiment bien que si professionnels et patients jouent le jeu »

Revel
Cnamts

Le directeur de l'Assurance maladie a annoncé mardi la relance du Dossier médical partagé (DMP) dans toute la France, deux ans après en avoir repris la gestion. Son objectif est de créer 40 millions de dossiers d'ici à 2022. Véritable arlésienne depuis 15 ans, ce « carnet de santé numérique » doit permettre au patient d'accéder à toutes les informations nécessaires à son suivi médical et aux professionnels de mieux se coordonner. Il faudra cependant convaincre les nombreux médecins sceptiques après les échecs passés. Sur legeneraliste.fr, la moitié des 215 généralistes qui ont répondu à notre enquête avouent ne plus rien attendre de cet outil. Nicolas Revel est lui convaincu que le DMP nouvelle formule va emporter l'adhésion et mobilisera acteurs de santé et patients. Entretien.

Que va changer le DMP 2018 pour les patients et les professionnels de santé ?

Nicolas Revel. C’est un élément de progrès pour les patients d’abord. Jusqu’à aujourd’hui, ils ne pouvaient pas accéder à leurs données médicales de manière simple et dématérialisée. Le DMP a vocation à être la mémoire de leur santé. Mais il sera aussi très utile pour les professionnels. Ce système d’information national retracera l’historique de soins et le parcours de santé des usagers sur tout le territoire et sera accessible partout. Les patients bougent géographiquement et voient beaucoup de professionnels dans leurs parcours de soins. Un médecin doit donc pouvoir accéder à l’historique médical et aux traitements en cours. C’est important pour améliorer la coordination et la qualité des prises en charge.

Le DMP a été un échec jusqu’à présent. Qu’est-ce qui fait la force de cette nouvelle version par rapport aux précédentes ?

N.R. La première étape 2004-2016 a conduit à la création de seulement 500 000 dossiers pour toute la population française et la moitié d’entre eux ne contenait aucune information. Avant, seuls les médecins étaient en capacité d’ouvrir le dossier d’un patient, en face à face. Ce n’était pas raisonnable car les praticiens n’en ont pas le temps. Depuis que nous avons repris en 2016 la gestion du projet, nous avons multiplié les voies possibles pour permettre aux patients de créer leur DMP. Les patients pourront soit le faire eux-mêmes en ligne sur dmp.fr, soit dans les accueils des caisses locales ou auprès des pharmaciens et je l’espère bientôt des infirmières (NDLR : le sujet est en cours de négociation). Les pharmaciens d’officine se sont engagés dans leur convention à ouvrir des DMP (NDLR : ils sont rémunérés 1 € par dossier créé). La semaine dernière, avant même que nous lancions la campagne, 82 000 DMP ont été ouverts. Dans les prochains mois, on sera certainement à 100 000 par semaine et cela devrait augmenter encore. L’objectif fixé par l’Assurance maladie et l’Etat est de 40 millions de DMP en 2022.
 

Les 1,8 million de dossiers déjà ouverts sont-ils tous alimentés régulièrement ?

N.R. Ils le sont dorénavant puisque l’Assurance maladie injecte automatiquement l’historique des soins remboursés au cours des deux dernières années dès qu’un DMP est ouvert : les médicaments, les séjours hospitaliers, les examens. Ce sont des éléments utiles qui sont actualisés tous les jours mais ce n’est pas suffisant. Nous invitons tous les professionnels de santé et tous les établissements à alimenter également le DMP par les volets de synthèse médicale, les comptes rendus d’hospitalisation pour les établissements, les examens de biologie pour les labos, les bilans réalisés par les kinés, les orthophonistes… et demain les prescriptions dématérialisées. Lors des expérimentations dans les territoires pilotes, l’alimentation était assez inégale. Environ 30 % des médecins accèdent aujourd’hui au DMP, soit pour le consulter, soit pour l’alimenter. C’est encore insuffisant mais il faut se laisser du temps. Le dispositif ne fonctionnera vraiment bien que si professionnels et patients jouent le jeu. Si tout le monde est attentiste, cela ne marchera pas.

Quel sera le rôle du médecin traitant dans l’alimentation en information de ce carnet de santé virtuel ? Avez-vous prévu une rémunération pour ce travail d’enrichissement ?

N.R. Pour les patients qui sont déjà dans leur patientèle, nous demandons aux médecins traitants de mettre dans le DMP le volet de synthèse médicale. C’est un document extrêmement précieux notamment quand le patient est ensuite hospitalisé ou vu par un autre médecin de ville, en premier ou second recours. Aujourd’hui, on rémunère déjà les médecins pour réaliser cette synthèse dans le cadre du forfait patientèle. Pour moi il n’y a donc pas de sens à ce que chaque transmission de documents dans le DMP donne lieu à une rémunération ad hoc. Le seul fait de transférer ce document dans le DMP doit se faire simplement et même automatiquement avec certains logiciels métier. Ce n’est ni par la coercition ni en mettant en chèque sur la table qu’on y arrivera mais parce que les professionnels seront progressivement convaincus que le DMP leur est utile, mais aussi utile à leurs patients. Ne les oublions pas : le DMP vient mettre fin à une vraie anomalie : l’impossibilité de pouvoir accéder simplement à ses informations médicales. L’intérêt d’alimenter les DMP n’est donc pas le seul sujet des professionnels, c’est pour les patients aussi.

Les logiciels métiers des généralistes sont-ils prêts à opérer ces transferts automatiques du volet de synthèse vers le DMP ?

N.R. En fin d’année 2017, il y avait encore quelques logiciels médecins non « DMP compatibles », ce qui a entraîné pour certains une perte de rémunération au titre du forfait structure. La compatibilité avec le DMP est en effet un des prérequis de cette rémunération. Je n’ai pas encore fait le point avec les éditeurs mais je serais très surpris qu’il y ait des logiciels métiers de généralistes qui ne soient pas compatibles d’ici la fin de l’année 2018. Ce chemin-là est accompli.

Certains médecins qui ont testé le dispositif sont plutôt critiques sur son ergonomie, allez-vous améliorer ce point ?

N.R. Je suis tout à fait conscient que l’ergonomie actuelle est perfectible. Nous avons consacré beaucoup de ressources à essayer de travailler l’alimentation, les modalités de création… Nous allons maintenant nous attacher à améliorer son ergonomie en consultation. J’insiste sur le fait que tout ne sera pas parfait tout de suite. Toute la population n’aura pas immédiatement un DMP, certains ne contiendront pas toutes les informations recherchées... Il faut se laisser deux ou trois ans pour que le système s’améliore, en fonction des retours des utilisateurs. De son côté, l’Assurance maladie continuera à agir pour qu’il fonctionne le mieux possible et qu’il soit le plus simple d’utilisation.

Combien va coûter la généralisation du DMP à l’Assurance maladie ?

N.R. La généralisation engendre des coûts d’une part pour développer et améliorer l’interface, et d’autre part, pour stocker et héberger des données avec des volumes qui augmenteront à mesure des créations. On y consacre aujourd’hui 15 millions d’euros par an. Ce budget est à date et pourra légèrement augmenter en fonction du nombre de DMP créés et du nombre de pharmaciens rémunérés pour les ouvrir. La campagne de communication à destination des patients va coûter 5 millions d’euros sur plusieurs mois. Il faut évidemment expliquer aux patients ce qu’est le DMP et qu’une fois créé, ils peuvent le gérer eux-mêmes.

Le DMP a vocation à jouer un rôle important dans le partage d’information au sein des futures CPTS notamment. Est-ce que ce sera le seul outil nécessaire à la coordination ?

N.R. Non. Le DMP pourra être cet outil mais d’autres se développent déjà comme les messageries internes, les agendas communs… Le DMP ne permet pas de tout faire en termes de coordination. Il y aura donc probablement d’autres systèmes d’information partagés à l’échelle d’un territoire, mais dans les limites de ce territoire. Le DMP a l’avantage d’être un système national qui pourra ainsi alimenter ces outils numériques plus territoriaux. Tous ces dispositifs d’échange d’information sont donc complémentaires dès lors que nous veillons à ce qu’il y ait une interopérabilité entre eux.

Le défi du Dossier Médical Partagé va donc enfin être relevé ?

N.R. Oui car on le lance après avoir beaucoup écouté les acteurs et profondément renouvelé les conditions de création et d’alimentation. Il devrait ainsi concerner rapidement un très grand nombre d’assurés et contenir d’emblée des informations utiles. Il faudra cependant environ trois ans pour que le DMP atteigne pleinement sa cible : couvrir des dizaines de millions de patients et que toutes les structures et professionnels se mettent à l’alimenter en routine. La réussite du DMP, ce n’est pas pour faire plaisir à l’Assurance maladie, ce d’autant que nous n’accédons pas à son contenu. C’est pour améliorer l’information des patients et la coordination des soins. Ce sera donc un défi collectif. On ne le relèvera que si tout le monde s’engage.

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