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Dossier

Thermalisme

Les cures à l’heure des preuves

Publié le 13/01/2017
Les cures  à l’heure  des preuves

Therm
GARO/PHANIE

Avec de nombreuses études publiées, ou en cours, la médecine thermale se met peu à peu à l’EBM. La discipline innove aussi en s’intéressant de plus en plus à l’éducation thérapeutique et en proposant des cures pour la prévention du burn out ou le post-cancer…

Les cures thermales ont-elles une place dans les stratégies thérapeutiques ou relèvent-elles davantage du soin de confort ? Face à cette question récurrente, le secteur a pris le taureau par les cornes et s’est rapidement attelé à évaluer ses pratiques.

80 % des cures évaluées

Ainsi, contrairement aux idées reçues, « le thermalisme a plutôt été en avance sur les autres traitements non médicamenteux, soulignait R. Forestier dans un article très récent (Revue du Rhumatisme 83 ; 2016 ; 403-7), avec, dès la fin des années 80, la publication d’essais randomisés dans la presse internationale à comité de lecture ».

Depuis, la création de l’Association française pour la recherche thermale (AFRETh) en 2004 a permis de structurer l’évaluation et de fédérer le financement des études scientifiques. « D’anciennes études péchaient par leur méthodologie, mais nous avons réagi en nous entourant d’un conseil scientifique indépendant », explique le Pr Christian-François Roques, président du comité scientifique de l’AFRETh et membre de l’Académie nationale de médecine. Et, désormais, les essais se fondent sur les procédures les plus abouties des essais contrôlés randomisés.

Dans un contexte où le remboursement des cures thermales n’est jamais définitivement acquis (voir encadré p. 18), l’objectif était aussi de pouvoir apporter aux autorités de tutelle des données solides permettant d’objectiver le service médical rendu (SMR) du thermalisme. « Nous avons fait pas mal de chemin sur le service médical rendu, se félicite Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux (CNETh). Nous devons faire valoir l’intérêt médical et sanitaire de la médecine thermale et comment nous pouvons enrichir l’offre médicale, notamment en prévention et en éducation à la santé. » Aujourd’hui, « 80 % des cures sont évaluées », avec, à la clé, un investissement de 12 millions d’euros par la profession.

De nombreuses études en rhumatologie

« La grande majorité (77 %) de l’effort de recherche se concentre sur la rhumatologie, mais il y a aussi un investissement important dans les indications phares de la phlébologie et de la dermatologie », poursuit Claude-Eugène Bouvier.

Les indications des voies respiratoires – représentant 8 % des prescriptions – sont en revanche un peu à la traîne en raison des difficultés de recrutement dans les essais d’évaluation.

Historiquement, la rhumatologie est l’indication phare de la cure thermale. « Dès les années 1930, les stations thermales se sont implantées en rhumatologie. La plupart des pathologies sont couvertes, comme les lombalgies, les rhumatismes inflammatoires, l’ostéoporose, ou après la mise en place de prothèse », indique le Dr Laurent Grange (Grenoble). Le caractère multimodal du thermalisme centré sur les vertus thérapeutiques de l’eau prélevée à la source permet la
mobilisation articulaire douce ainsi qu’une rééducation fonctionnelle graduelle.

Avec des preuves d’efficacité de plus en plus nombreuses. Dans l’arthrose, première indication de cure en rhumatologie, l’étude Thermarthrose publiée en 2010 par R. Forestier a été réalisée dans trois grandes stations thermales chez 462 patients souffrant de gonarthrose. Elle montre que le traitement thermal associé aux exercices physiques à domicile fait mieux que les exercices effectués isolément. Le gain était observé en termes de douleurs et de capacité fonctionnelle au moyen de l’indice Womac, à 3,6 et 9 mois. L’amélioration était également perçue par le médecin et considérée comme « cliniquement pertinente » par le patient. Ainsi, deux fois plus de patients curistes se sentaient améliorés par rapport aux non-curistes avec des taux de respectivement 54,4 % et 29,7 % de satisfaits. En revanche, il n’y avait pas de différence significative sur la qualité de vie et la consommation médicamenteuse.

Deuxième élément scientifique, l’étude multicentrique de Franke sur 681 patients souffrant de diverses affections rhumatologiques arthrosiques ou inflammatoires retrouve une amélioration de l’indice fonctionnel Womac sans toutefois pouvoir relier la présence de radon dans l’eau thermale étudiée au bénéfice observé dans le programme d’hydrothérapie et de rééducation.

Dans les deux études de Fioravanti, le traitement thermal comparativement à la poursuite du traitement habituel permet une amélioration significative de la symptomatologie douloureuse et de l’indice fonctionnel Womac. Elle objective aussi une réduction de la consommation d’antalgiques et d’AINS ainsi qu’une meilleure qualité de vie évaluée par à 3, 6 et 9 mois.

Arthrose des mains : le traitement thermal efficace sur plusieurs indices cliniques

Dans l’arthrose des mains, une étude a comparé l’immersion en étuve à l’application de gel d’ibuprofène. À la troisième semaine, le traitement thermal était supérieur sur tous les indices et au sixième mois, il persistait une différence significative sur la force de préhension et le gonflement articulaire. L’étude de Fioravanti sur cette localisation arthrosique montre que l’application de boue et de bains permet d’améliorer le score douloureux à 9 mois.

Ainsi, la cure thermale fait entièrement partie du paysage de la prise en charge de l’arthrose. Comme le fait remarquer le Dr Grange, « on pose deux fois moins de PTG (prothèses totales de genou) en France, et cela est dû à l’ensemble des possibilités de prise en charge médicale ». Pour lui, il ne faudrait pas que ce maillage thérapeutique soit détricoté en considérant qu’il s’agit de soins de confort. Avec le déremboursement des antiarthrosiques d’action lente et de la viscosupplémentation, les spécialistes s’interrogent sur la viabilité des différentes options thérapeutiques qui font la richesse et l’efficacité de la prise en charge en France.

Chez les lombalgiques chroniques, les résultats des études sont robustes compte tenu des effectifs importants et d’une méthodologie rigoureuse. Elles s’accordent sur l’amélioration significative de la douleur et du handicap à 3 et 6 mois associée à une réduction de la consommation médicamenteuse mais sans incidence sur la mobilité lombaire.

Comme pour l’arthrose, l’étude de Franke n’a pas réussi à montrer dans cette population un bénéfice de l’apport d’un élément spécifique présent dans certaines stations thermales. « Il est difficile de faire la part des choses, mais la cure thermale permet de se reposer, de s’extraire de son milieu habituel, et d’avoir du temps disponible pour bénéficier d’éducation thérapeutique », souligne le rhumatologue.

Dans la fibromyalgie, la cure thermale apporte aussi un intérêt. Deux études ont « un biais moyen » et permettent de disposer de données objectives. Un programme d’éducation et d’hydrothérapie à base de kinésithérapie, d’hydrothérapie et d’exercices supervisés permet une amélioration sur les critères algofonctionnels et de qualité de vie pendant trois mois. L’étude de Donmez, quant à elle, entachée d’une moindre puissance, a constaté, comparé au traitement habituel, une amélioration des indices algofonctionnels, de la douleur, des points douloureux jusqu’à la fin du premier mois. Quant à la fatigue et à l’évaluation globale du patient, elles étaient améliorées par le traitement thermal jusqu’à la fin de la cure. « L’étude Fiett permettra d’avoir des données supplémentaires sur l’amélioration de l’état de santé des fibromyalgiques. »

Côté rhumatisme inflammatoire, dans la spondylarthrite ankylosante et la polyarthrite, plusieurs études tendent à dégager un bénéfice, mais l’essor des biothérapies réserve au thermalisme une niche restreinte. La place devrait rester « confidentielle » ou cantonnée aux séquelles ou aux formes non candidates aux
thérapies biologiques qui induisent une immunodépression et majorent le risque infectieux. D’ailleurs, la Haute Autorité de santé a émis un niveau de preuve de grade C, sur un « effet antalgique et fonctionnel de la cure thermale » à réserver aux formes non évolutives. « C’est un complément utile pour certains patients », résume le Dr Grange.

Obésité, des arguments de poids avec l'étude Maathermes

Autre champ classique du thermalisme, la lutte contre l’obésité et les maladies est aussi de mieux en mieux évaluée.

Dans l’étude Maathermes, l’objectif était d’évaluer le bénéfice à un an d’une cure thermale de 3 semaines sur la perte de poids. Il s’agissait d’un essai contrôlé randomisé avec double consentement visant à comparer chez des patients en surpoids ou obèses (IMC : 27 - 35 kg/m2) l’évolution de l’IMC à un an entre un groupe de patients réalisant une cure thermale de 3 semaines et un autre traité par des soins usuels, associés ou non à un entretien diététique motivationnel (EDM) durant le suivi, selon un plan factoriel 2 sur 2.

L’analyse principale était une analyse « per protocole » comparant les patients ayant suivi une cure thermale aux patients ayant suivi les soins habituels. Les patients étaient appariés sur des critères de sexe, le surpoids ou l’obésité, la randomisation EDM, et le score de propension à suivre une cure thermale ou les soins usuels.

Résultats : parmi les 257 patients avec un suivi complet, 70 patients de chaque groupe ont pu être appariés. La perte moyenne d’IMC était de 1,91 kg/m2 [IC 95 : 1,46 ; 2,35] pour les patients du groupe thermal et de 0,20 kg/m2 pour les patients en soins habituels (p< 0,001), ce qui traduit un bénéfice significatif en faveur de la cure thermale de 1,71 kg/m2 [IC 95 : 1,08 ; 2,33]. Il n’a pas été constaté d’effet significatif de l’entretien diététique motivationnel ni d’interaction de celui-ci avec la cure thermale ou les soins habituels. Aucun effet indésirable n’a été rapporté. Conclusion : la cure thermale de trois semaines apporte un bénéfice significatif à un an par rapport aux conseils diététiques habituels pour les patients en surpoids ou obèses.

Post-cancer, burn out… des nouveaux champs d’investigation Au-delà de ces indications

« traditionnelles », le thermalisme tente aussi d’élargir son champ d’action. Dernière évolution en date : les soins après un cancer. Les cures visent à améliorer les conséquences d’un traitement lourd (comme les lésions cutanées que peut provoquer une radiothérapie ou le lymphœdème après chirurgie d’un cancer du sein) ainsi qu’à agir positivement sur le mental. « Dans l’étude PACTHE publiée en 2013, chez des femmes en rémission de cancer du sein, un an après l’intervention, et après deux semaines de soins hydrothermaux, on a observé une amélioration durable de la qualité de vie », explique le Pr. Yves-Jean Bignon, du laboratoire de biologie médicale OncoGèn Auvergne, Clermont-Ferrand. Il y a deux possibilités de prise en charge, soit en non-conventionné, dans le cadre d’une cure classique, soit en programme d’éducation thérapeutique validé par l’Agence régionale de santé avec une des indications prise en charge par la Sécurité sociale. Par exemple, une prise de poids qui est de mauvais pronostic peut entrer dans le cadre d’une cure à indication métabolique.

« Cela répond à une vraie attente pour des patients qui se sentent un peu perdus après les traitements lourds », explique le Pr Bignon. Fin 2016, 21 établissements le proposent avec trois axes majeurs de prise en charge, l’activité physique, le maintien du poids et le soutien psychologique. Ces cures sont organisées en groupes. « Il y a un aspect important de dynamique de groupe réunissant des patients ayant vécu des parcours assez similaires », souligne le spécialiste. La kinésithérapie est particulièrement importante, il a été démontré que la mobilisation précoce de l’épaule après chirurgie est très bénéfique sur les amplitudes articulaires, en particulier sur l’abduction qui peut être limitée en post-opératoire.

Certaines stations misent aussi sur le thermalisme pour la lutte contre l’épuisement professionnel (burn out) mais les résultats préliminaires ne sont pas encore validés. Le Dr Olivier Dubois, médecin psychiatre et président des Thermes de Saujon, souligne les bienfaits potentiels d’une rupture de trois semaines avec l’environnement professionnel. La cure permet de mettre à distance et d’analyser à froid son positionnement individuel face au travail. Des ateliers de remédiation cognitive ou de prise en charge cognitivo-comportementale complètent le recours à la relaxation générée par l’hydrothérapie.