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Dossier

Vague de contrôles sur les arrêts maladie

Les généralistes sont-ils responsables de la hausse des IJ ?

Publié le 09/10/2015
Les généralistes sont-ils responsables de la hausse des IJ ?


GARO/PHANIE

Les dépenses d’indemnités journalières continuent d’augmenter et de peser sur la Cnamts qui cherche toujours à faire des économies. Depuis plusieurs années, la Caisse cible donc les généralistes méga-prescripteurs pour les faire rentrer dans le rang. De nouveau fin juin, nombre de confrères ont été concernés par une nouvelle vague de contrôles. Pourtant, praticiens comme syndicats se défendent d’être responsables de la hausse des IJ et évoquent des évolutions sociétales et professionnelles.

Dans le climat d’exaspération actuel, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase… Fin septembre un journaliste de France 2 se présentait en caméra cachée chez des généralistes pour se faire prescrire des arrêts maladie. Conclusion de ce reportage à charge : il est bien trop facile d’embobiner ces chers généralistes. Sous-entendu, conscient ou non, du sujet : la hausse des IJ et le coût qu’elle fait peser sur la Sécu sont imputables aux généralistes. Une conclusion qui va bien à l’Assurance Maladie qui a relancé au début de l’été sa croisade dans les cabinets.

Si la Cnamts met un point d’honneur à agir sur ce sujet, c’est parce que le poste IJ progresse plus vite (+4 % en rythme annuel) que les dépenses de santé. « Sur les dix dernières années, on constate une augmentation d’à peu près 50 % des IJ soit près de 6,5 milliards auxquels s’ajoutent les accidents du travail, les maladies professionnelles et régime des indépendants, donc en tout 10 milliards d’euros », détaille Pierre Morange, député UMP et coprésident de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS). Dans le détail, on s’aperçoit que ce sont les arrêts de travail de longue durée qui progressent le plus : ainsi, sur les dix premiers mois de 2014 le nombre de bénéficiaires d'indemnités maladie avait baissé (-2,7 %) par rapport à l'année précédente ; en revanche, le nombre de jours indemnisés a augmenté (+2,8 %) tout comme le nombre de jours indemnisés par arrêt (+5,1 %).

Il y a donc moins d’arrêts mais ils sont plus longs. Or ce sont précisément ceux-là qui coûtent le plus cher. Selon la Caisse, les arrêts maladie d'un à six mois représentent 19 % du volume, mais 41 % des dépenses, et les arrêts au-delà de six mois, 5 % du volume et 39 % des dépenses. Et, bien sûr, la Caisse a sa petite idée sur la façon de limiter ces coûts : faire rentrer dans le rang les généralistes qui prescrivent trop de journées d’arrêts maladies. « Si ces médecins baissent d’un jour la durée de prescription d'IJ de leurs patients, cela représente 33 millions d'euros d'économies », déclarait-elle début juin.

Dégradation des conditions de travail

Les médecins de leurs côtés, n’apprécient que très modérément d’être pris pour cible. Au-delà du sentiment d’ingérence dans leur consultation, les généralistes ont encore une fois l’impression d’être les dindons de la farce. « C’est très mal vécu par les médecins car c’est purement statistique. Face à une problématique sociétale, on a besoin d’un bouc émissaire », s’indigne Luc Duquesnel, président de l’UNOF. Les généralistes ont l’impression de payer pour une augmentation qui n’est pas de leur fait.

La hausse des IJ est-elle directement imputable aux généralistes ? Rien n’est moins sûr car, plutôt qu’à une hausse des arrêts maladie, on assiste à un changement dans leur nature : des arrêts plus longs, avec augmentation des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou des troubles mentaux. Une évolution qui s’expliquerait aussi par une dégradation des conditions de travail. C’est en tout cas l’analyse que développe le président du syndicat CFE-CGC-santé au travail : « Avec la crise notamment, on assiste à une espèce de retour du taylorisme qui génère des TMS de manière épidémique, explique le Dr Bernard Salengro. Il y a des thèmes grossiers de sécurité qui s’améliorent. Mais, dans la façon de travailler, le rythme, la spécialisation s’accentuent considérablement et ne vont pas dans le sens du fonctionnement humain ».

Ce phénomène mettrait presque en cause une règle jusqu’alors bien établie qui veut qu’en période de crise économique et de fort taux de chômage, les arrêts maladie ont habituellement tendance à baisser. « Les gens ne veulent pas s’arrêter, souligne Jean-Paul Hamon; ils restent au boulot jusqu’au dernier moment, mais quand ils craquent souvent c’est plus grave », argumente le président de la FMF.

Travailler plus vieux, donc plus malade

Au-delà des conditions de travail, l’évolution des pathologies joue aussi son rôle dans l’allongement des arrêts maladie. La montée des pathologies chroniques et le vieillissement des salariés pèsent financièrement. L’Assurance Maladie n’est pas loin de le reconnaître, d’ailleurs, relevant que l’augmentation des dépenses d’IJ chez les personnes de plus de 60 ans est à l’origine de 15 % de la hausse des dépenses d’arrêts de travail, tout comme le temps partiel thérapeutique, qui lui aussi contribue à une hausse de 15 % des indemnités. « Aujourd’hui, les gens peuvent avoir un cancer mais ont le bon goût de ne pas mourir ; les traitements sont plus efficaces mais les temps de soins importants », remarque Claude Leicher, président de MG France.

Un référentiel au soutien ?

La cause est peut-être en partie sociétale, mais pour l’ex-généraliste Pierre Morange, cela n’empêche pas d’agir déjà au niveau médical : « L’arrêt de travail n’est pas une réponse à une problématique sociale, c’est un acte médical qui répond à une situation médicale. La problématique sociale va pouvoir se présenter sur un aspect médical, mais il ne faut pas médicaliser une problématique sociale. C’est prendre le problème à l’inverse ». Dans une proposition de loi déposée en avril 2014 avec sa consœur députée, la sage-femme Bérangère Poletti, pour renforcer le contrôle sur les IJ, le député proposait notamment la mise en place d’un référentiel : « On suggérait d’adosser ces arrêts de travail sur des référentiels rédigés par la HAS. Un référentiel qui ne soit pas une injonction mais une indication, qui permette de respecter le principe fondateur, essentiel et incontournable de la liberté de prescrire du praticien, mais qui s’adosse à une orthodoxie. », explique-t-il.

Pour les syndicats, un tel dispositif ne changerait pas le cœur du problème : « On est dans un schéma administré où tout patient français est égal à son voisin. C’est une vision simplifiée du monde et nous, nous sommes pour une médecine humaine », réagit Eric Henry, président du SML. « C’est une aide à la prescription et on y est favorable en théorie, mais il faudra de toute façon l’adapter en fonction du patient. Donc, ça ne changera rien au bout du compte », ajoute Luc Duquesnel.

Délit statistique et suractivité

Reste que les généralistes au-dessus de la moyenne existent bel et bien et c’est précisément eux qui sont visés par l’Assurance Maladie. Mais, face à la suspicion qui pèse sur leurs prescriptions, les intéressés que nous avons rencontrés mettent souvent en avant la particularité de leur patientèle. L’un traite beaucoup d’employés d’aéroport, un autre davantage d’ouvriers… et beaucoup arguent aussi d’une hausse de leur patientèle en ces temps de pénurie médicale. 2?200 patients pour le Dr Yves Cauvin ou le Dr Véronique Moller, 70 patients par jour pour le Dr Martigues. Imperceptiblement, la désertification médicale mettrait donc certains généralistes en délit statistique. « Depuis 2010 on est passé de 10 à 6 médecins sur la commune. Avec mon associé, on est en suractivité. Quand on récupère les patients des autres, on récupère aussi de nouveaux arrêts maladies potentiels », explique le Dr Michel Artigues qui exerce à Montataire dans l’Oise.

Quand il a reçu sa lettre de la caisse, ce généraliste a également fait le tour des spécialistes du coin pour leur demander de prendre les choses en main et de faire eux-mêmes les arrêts maladie, quand ils sont justifiés. « Les spécialistes et l’hôpital refusent de donner eux-mêmes les arrêts de travail mais seuls les généralistes sont contrôlés pour leurs prescriptions d’arrêts maladie » proteste-t-il. « L’hôpital, les spécialistes, tous renvoient vers le généraliste, tout est un guichet vers le généraliste », ajoute Eric Henry. « Ça ne nous dérange pas d’assumer cette responsabilité, précise Luc Duquesnel, à condition de ne pas être une nouvelle fois les boucs émissaires. »

En résumé, les généralistes veulent donc bien être garants de leurs prescriptions mais refusent d’endosser la responsabilité pour tous les maux de la société. Pour l’heure, si les syndicats ont donné pour mot d’ordre de refuser la mise sous objectifs, la plupart des médecins convoqués devront quand même en passer par une mise sous autorisation préalable. De quoi donner du travail supplémentaire à la Cnamts comme aux médecins, en attendant les économies potentielles...