Dr Jean-Philippe Masson (FNMR) : « Les 300 millions d’économies que demande la Cnam, c’est colossal ! »

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Publié le 18/06/2025
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À l’occasion de son premier congrès, ce vendredi 20 juin à Paris, le Dr Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR), s’inquiète de la quête d’économies tous azimuts, qui menace directement l’imagerie. Il défend une radiologie source de richesses et moteur de croissance.

Crédit photo : FNMR

LE QUOTIDIEN : Vous organisez aujourd’hui le congrès Imagine 2025, premier du genre, pour repenser l’avenir de la spécialité dans le système de soins. Quel en est l’objectif ?

DR JEAN-PHILIPPE MASSON : L’idée de ce congrès, ouvert à tous, n’est pas de faire un congrès scientifique, comme celui de la Société française de radiologie, mais de dresser un panorama de la place fondamentale de la radiologie dans le système de soins. La FNMR est un syndicat professionnel : nous voulons défendre la profession et montrer tout ce qu’elle apporte au sein de l’écosystème économique médical. Quatre sessions sont programmées en ce sens au sein de cette journée inédite : la place de la radiologie dans l’économie de santé, dans l’innovation médicale, dans la prévention et dans la prise en charge des patients.

Notre spécialité joue un rôle structurant dans l’organisation des soins. Tous ces thèmes sont d’actualité puisque nous sommes en pleine négociation avec l’Assurance-maladie autour des économies sur l’imagerie, même si ce n’est pas nous qui sommes aux manettes. Ce sont les syndicats représentatifs qui ont signé la convention.

Justement, quelle est votre marge de manœuvre dans ces négociations, alors que le gouvernement réclame 300 millions d’euros sur l'imagerie médicale d'ici à 2027 ?

Elle est faible. Il faut savoir que les réunions dominantes sont les « multilatérales » entre les organisations signataires de la convention et la Cnam. La FNMR est toutefois représentée au sein des syndicats représentatifs des spécialistes. On a donc, lors de chaque réunion, un radiologue qui accompagne les délégations pour donner des arguments et des chiffres qui ne sont pas forcément connus. On prépare en amont les discussions et on formule des propositions alternatives.

Lesquelles en l’occurrence ?

Les propositions de la FNMR, reprises par les syndicats, ont trait à tout ce qui est “radiologie pure” et elles concernent en particulier des actions de pertinence des soins, comme en 2018 quand j’avais signé le premier plan sur la pertinence. Je vais prendre l’exemple des coronarographies traditionnelles diagnostiques qui n’apportent pas plus sur le plan de la qualité médicale qu’un coroscanner. Or, le tarif n’est pas le même : le coroscanner est un scanner normal avec un forfait technique aux alentours de 90 euros, sans compter l’acte intellectuel, tandis que la coronographie se chiffre à peu près à 300 euros. Pourquoi continuer à faire des examens qui n’apportent rien de plus sur le plan du diagnostic et qui sont aussi plus dangereux avec un risque plus élevé de comorbidité ? 

On a aussi travaillé sur les dépenses d’échographie. Il faut savoir que les radiologues ne sont responsables que de 40 % de l’échographie en France. Ceux qui sont en tête sont les cardiologues, avec un montant moyen d’acte à 89 euros. Pour les généralistes, le montant moyen de facturation est de 55 euros. Les radiologues n’arrivent qu’en dixième position avec un montant moyen à 33 euros. Ce tableau a beaucoup intéressé la Cnam qui n’avait pas forcément cette notion.

Nous avons aussi des propositions d’aménagement de la nomenclature sur un certain nombre d’actes. Je prends l’exemple de l’échographie pelvienne qui est typique. Il y a aujourd’hui trois codes CCAM qui existent avec trois valeurs différentes. Nous proposons de garder la valeur médiane et de tout unifier, ce qui générera une économie certaine. Certes, ceux qui appliquent souvent la valeur la plus haute perdront un peu d’argent, mais à l’arrivée, la qualité médicale n’en sera que meilleure.

Mais l’objectif de 300 millions d’euros sur l’imagerie sur les années 2025 à 2027 est-il tenable ?

Je rappelle qu’il y a eu l’année dernière une grande réforme des produits de contraste. Elle correspond déjà à 200 millions d’économies par an pour la Cnam, imputées aux radiologues qui doivent désormais acheter ces produits de contraste.

Dans ce contexte, les 300 millions d’économies supplémentaires* que réclame la Cnam d’ici à 2027, c’est quelque chose de colossal ! L’Assurance-maladie prétend que, par rapport aux quelque cinq à six milliards d’euros de dépenses en imagerie, cela ne représente qu’un faible pourcentage. Mais outre le fait que cela s’ajoute aux 200 millions des produits de contraste, l’inflation, elle, ne s’arrête pas et les charges salariales dans les cabinets augmentent aussi.

Avez-vous l’impression, à l’instar des biologistes médicaux, d’être considérés comme des vilains petits canards ?

Oui, nous l’avons toujours été. La radiologie et la biologie sont en quelque sorte les deux mamelles de la Sécurité sociale. Notre problème, comme l’avait expliqué l’ancien directeur général de la Cnam Frédéric Van Roekeghem à l’un de mes prédécesseurs, c’est qu’avec la masse financière que représente l’imagerie, une baisse de 1 % chez nous, équivaut à une économie beaucoup plus importante que si on fait une baisse de 10 % chez les dermatologues par exemple. Et les pouvoirs publics se disent qu’on se débrouillera toujours pour absorber le choc ! Donc, ils vont taper là où c’est facile… De plus, il y a des décisions qui relèvent du fait du Prince. Sur les forfaits techniques, ils peuvent décider des décotes du jour au lendemain et récupérer ainsi des millions d’euros…

Dans un contexte de déficit abyssal de la Sécu, que préconisez-vous ?

La volonté de la Cnam, affichée par Thomas Fatôme, c’est de faire une politique de revenus des médecins. Il dit d’une certaine façon qu’ il n’y a pas de raison qu’un radiologue gagne plus qu’un généraliste. À la différence près que nous ne faisons pas le même métier. Le radiologue a des investissements très lourds et emploie beaucoup de personnel.

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles on organise ce congrès d’explication. Nous voulons rappeler qu’on emploie 30 000 personnes directement au travers de nos salariés et qu’on fait vivre indirectement quelque 100 000 personnes au travers de nos constructeurs et sous-traitants auxquels on achète le matériel. La radiologie est une source d’économies mais surtout de richesses et un moteur de croissance.

Je le redis : comme les biologistes, nous avons des équipements qui coûtent cher et qu’il faut financer. Ce n’est pas en baissant la valeur de nos actes que cela améliorera le système de soins. Nos investissements sont lourds et nous sommes garants, sur nos fonds personnels. Tous les ans, au moment des déclarations de revenus, on reçoit un courrier de la banque, nous rappelant que nous sommes caution solidaire pour tant de millions d’euros. C’est une lourde charge mentale et il est normal que les radiologues gagnent honnêtement leur vie.

C’est la raison pour laquelle vous prônez une politique de pertinence des actes plutôt que des coups de rabot…

Oui, à 300 %. Nous pensons même que c’est la seule façon de réaliser des économies pérennes. L’exemple typique, ce sont les antibiotiques. La campagne lancée il y a vingt ans a abouti à une baisse de leur consommation et à une économie substantielle. Mais cela prend du temps, et le problème, c’est que la Cnam veut aujourd’hui des économies à très court terme. Les 300 millions réclamés, c’est sur trois ans ! Si les syndicats libéraux signent un accord en juin, il ne nous restera que six mois pour réaliser 100 millions d’économies sur 2025. Ce n’est pas possible.

Une dépense qui progresse de 5 % par an

En avril, le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, avait précisé au Quotidien que les négociations sur les économies concernaient « l’ensemble du secteur de l’imagerie », donc la radiologie mais aussi l’échographie, la médecine nucléaire, etc. Il entend s’appuyer sur la pertinence des examens, le juste recours à l’imagerie et les tarifs. « Aucune mesure unilatérale n’a touché ce secteur depuis 2020 », insiste le patron de la Cnam, ajoutant que la dépense d’imagerie progresse de « 5 % par an », un poste qui approche six milliards d’euros.

Repères

1983

Diplôme d’État de docteur en médecine (faculté de Paris)

1985

Certificat d’études spécialisées de radiodiagnostic (faculté de médecine de Paris)

1986

Création du service de radiologie de la polyclinique Montréal à Carcassonne (Aude)

1999 à 2015

Président du Syndicat des radiologues de l’Aude

2005 à 2014

Président de l’Observatoire de la sénologie

Depuis 2014

Président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR, libéraux), qui regroupe 80 % des radiologues

Propos recueillis par François Petty

Source : Le Quotidien du Médecin