Ambiance thérapie de groupe à la CPAM de la Somme. Vendredi 4 avril, le directeur général de l’Assurance-maladie, Thomas Fatôme, s’est éclipsé quelques heures de son bureau parisien pour échanger avec une vingtaine de médecins libéraux à Amiens sur la nouvelle convention médicale, signée en juin 2024 après d’âpres négociations. Un déplacement que la Cnam a exceptionnellement ouvert à la presse, après s’être prêtée au même exercice à Caen (Calvados) en janvier, puis Vesoul (Haute-Saône) et Nice (Alpes-Maritimes) en mars.
Dans les locaux de la caisse primaire, un bref état des lieux de la démographie médicale du département est tout d’abord présenté par Marie-Gabrielle Dubreuil, directrice de la Cpam de la Somme, pointant une répartition inégale des docteurs, à la défaveur de l’est et l’ouest du territoire. Puis Thomas Fatôme met directement les pieds dans le plat : « Quelle est votre vision de la convention médicale, êtes-vous bien accompagnés par la caisse locale ? », interroge-t-il, le sourire crispé. Un léger silence opère avant que les médecins vident leur sac. « Il nous a fallu beaucoup de patience pour avoir non pas l’accouchement, mais la délivrance à la césarienne de la convention », lâche le Dr Stéphane Foulon. Également membre du conseil d’administration de la FMF des Hauts-de-France, le généraliste amiénois a particulièrement regretté l’échec du premier tour des négociations conventionnelles en 2023. « Ça a été très mal vécu par la profession de subir un régime particulier [faute de signature, un règlement arbitral avait été mis en place en 2023, NDLR] puis de relancer les négos, affirme-t-il. S’il y avait eu plus d’écoute nationale dès le début, la convention aurait pu aboutir la première fois. »
Un « ennemi » face à nous
Jeune généraliste installé à Harbonnières, le Dr Alexis Boisdin juge la convention insuffisante pour déclencher le choc d’attractivité espéré par la profession. « Je travaille en campagne, je fais des visites à domicile car les patients ne sont pas forcément véhiculés. Il y a encore des choses à améliorer, notamment sur la visite longue », souligne-t-il. « On voit beaucoup trop d’internes qui, à la fin de leurs études, ont peur de l’exercice libéral, abonde le Dr Amélie Sellier-Petitprez, généraliste à Vignacourt et directrice du département de médecine générale à l’université d’Amiens. Il y en a encore un certain nombre qui part à l’hôpital et n’exerce donc pas la médecine générale comme on le souhaiterait ». Et le Dr Foulon d’ajouter une couche : « Pendant les négociations conventionnelles, je disais aux plus jeunes qu’ils exercent un beau métier. C’est vrai, il est passionnant, on peut changer de profession, d’exercice en cours de route… Par contre, ils auront à se battre pour les conditions d’exercice avec les autorités de tutelle. Face à nous, on a un ennemi qui fait tout pour que ce soit moins sympa. »
Le médecin traitant est un trésor
Thomas Fatôme, directeur général de l’Assurance-maladie
Ces derniers termes créent le malaise dans la salle, obligeant Thomas Fatôme à dérouler avec pédagogie son plaidoyer. « Pourquoi on a signé cette convention ? Parce qu’on considère que le médecin traitant est un trésor. Il n’y a pas d’accès aux soins sans vous. On a besoin de vous, on est vos partenaires, commence-t-il en brossant l’assistance dans le sens du poil. Quand j’entends le mot “ennemi”, ce n’est vraiment pas la façon dont on travaille, ni les relations entre les caisses et les médecins libéraux ». « Parler d’ennemi, certes le mot est un peu fort, modère le Dr Franck Garate, généraliste installé à Amiens et délégué départemental de la CSMF. Mais on sent quand même qu’il y a un petit glissement du dialogue conventionnel de la Cnam vers le ministère de la Santé », qui aurait davantage la main sur les arbitrages qui concernent au premier chef la médecine libérale.
Des négos à un milliard dans un trou de souris
Piqué au vif, Thomas Fatôme rappelle à l’assemblée, d’une traite, à quel point ses négociations ont été ardues. « On est passé dans un trou de souris en juin 2024, vu tout ce qu’il s’est passé après, argumente-t-il, faisant référence à la dissolution de l’Assemblée nationale après les élections européennes. Je peux vous dire que trois mois plus tard, en septembre 2024, le milliard d’euros [investi dans la convention] ne serait pas passé ! »
Passé les aigreurs, la discussion s’est poursuivi sur des préoccupations plus concrètes pour l’exercice des médecins de la Somme. « Je me sens un peu oubliée de la convention, regrette la Dr Pascaline Hagnere. Je suis gynécologue-obstétricienne à Abbeville et je n’ai pas eu droit à la revalorisation de décembre, réservée aux gynécologues médicaux ». Le 22 décembre 2024, une première vague d’augmentation tarifaire est entrée en vigueur, portant à 37 euros le tarif de la consultation des gynécologues médicaux conventionné secteur 1 ou 2 avec Optam alors que le prix des obstétriciens est resté figé à 31,50 euros dans ces deux mêmes secteurs. « Je pratique majoritairement des actes de gynécologie médicale. Pourquoi n’y ai-je pas droit ? s’interroge la Dr Hagnere. La seule réponse qu’on m’a apportée, c’est de changer de spécialité. Il suffit pourtant de voir que je ne fais aucun acte de chirurgie ni d’obstétrique ». Ni Thomas Fatôme, ni Marie-Gabrielle Dubreuil ne lui apportent satisfaction, considérant « qu’il faut bien s’appuyer sur des règles solides pour appliquer les revalorisations ».
Le DG de la Cnam a enfin interrogé les blouses blanches sur les assistants médicaux, qu’il a à cœur de déployer à plus large échelle dans les cabinets afin de réduire le volume de patients sans médecin traitant. À ce sujet, le Dr Alexis Boisdin partage un retour d’expérience positif : « J’ai une assistante médicale depuis septembre et c’est une bonne idée, assure-t-il. Sur la prévention du cancer colorectal par exemple, j’ai téléchargé la liste des patients qui ne sont pas dépistés, j’ai demandé à mon assistante de les appeler. C’est un vrai gain de temps dans ma pratique quotidienne ». Seule ombre au tableau, les objectifs à atteindre pour percevoir une aide financière à l’embauche d’un assistant médical sont a priori trop rigides. « J’ai beau avoir une patientèle médecin traitant qui a explosé en six mois, passant de 1100 à 2400, avec des patients complexes, je n’ai pas droit aux primes… [quelques rires dans la salle] aux aides, pardon, parce que ma file active a baissé », se lamente le jeune généraliste. Attentif, Thomas Fatôme prend note, sans se risquer toutefois à des engagements précipités. Prudent, comme à son habitude.
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