Consultations longues à 60 euros, part de capitation, observatoire de l’accès aux soins, intéressement sur les prescriptions… L’Assurance-maladie a présenté, lors de la séance multilatérale du 14 mars, plusieurs pistes innovantes, voire disruptives, pour persuader un maximum de syndicats d’approuver la future convention. Suffisant ?
Consultations longues à 60 euros pour les généralistes : la durée valorisée
L’Assurance-maladie est prête à investir davantage dans les actes cliniques qui réclament du temps et de la complexité. Au-delà de la revalorisation du G à 30 euros et de l’avis ponctuel de consultant (APC) des spécialistes à 60 euros, la Cnam propose la création de deux consultations longues rémunérées 60 euros pour les médecins traitants. La première, la CLA, à destination des plus de 80 ans, pourrait être cotée une fois par an et par patient dans les 30 jours après une sortie d’hôpital, pour les consultations de déprescription (10 médicaments et plus), pour les dossiers d’allocation personnalisée d’autonomie ou lors d’une consultation en présence d’une infirmière de pratique avancée.
La seconde consultation longue à 60 euros serait réservée au suivi d’une personne handicapée (CLH), lors du premier dossier d’une Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) ou de l’entrée dans la patientèle d’un patient avec un handicap sévère. Outre quelques rares consultations très complexes que peuvent déjà coter les médecins généralistes, ces consultations longues à 60 euros sont les premières à valoriser le temps clinique passé. En reconnaissant que ces actes chronophages méritent deux fois plus qu’un G, la Cnam cherche à s’attacher les bonnes grâces de MG France – principalement– et de la CSMF, qui a beaucoup travaillé sur la hiérarchisation des actes. Lesquels saluent une première étape mais réclament que les lettres clés CLA et CLH ne se limitent pas à une cotation par an.
La Cnam cherche à s’attacher les bonnes grâces de MG France et de la CSMF
L’expérimentation de la capitation, pavé (calculé) dans la mare
À côté du forfait médecin traitant unifié new-look, la Cnam propose aux praticiens exerçant en groupe une « option de rémunération innovante » : la capitation. Que changerait ce mode de rémunération forfaitaire au patient, auquel tient fortement Emmanuel Macron ? Les généralistes exerçant en équipe dans un lieu unique et qui sont volontaires pourraient ainsi percevoir un forfait médecin traitant « intégral » qui se substituerait à la totalité de leur rémunération (forfait médecin traitant et tarification à l’activité). Le médecin aurait la possibilité de choisir la taille de la patientèle pour laquelle s’appliquerait cette fameuse capitation (sur tout ou partie de sa patientèle, uniquement les ALD, etc.). Le cahier des charges reste à définir avec les syndicats, notamment pour préciser les conditions de détention des cabinets de groupe, les partenaires souhaitant éviter tout risque de financiarisation. « Pour l’Assurance-maladie, cette proposition de capitation fait partie du paquet d’ensemble, a affirmé Thomas Fatôme. Il n’y aura pas de signature de convention sans celle-ci. » Mais ce pavé dans la mare est calculé, puisque nombre d’équipes libérales (au sein des MSP) ne font pas mystère de leur intérêt pour la capitation, comme viennent de l’illustrer les Rencontres du mouvement AvecSanté. Et le volontariat est un argument protecteur.
Le médecin aurait la possibilité de choisir la taille de la patientèle pour laquelle s’appliquerait cette capitation
Permanence des soins : priorité à la régulation, haro sur les abus
L’Assurance-maladie souhaite que 100 % du territoire français soit couvert par la permanence ces soins ambulatoires (PDS-A) contre 95 % aujourd’hui. Pour y parvenir, elle est disposée à revaloriser les gardes… mais pas toutes ! « Notre objectif est de mettre davantage d’investissements sur la permanence des soins régulée, assume Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Cnam. Le soir et le week-end, lorsque le patient a d’abord quelqu’un au téléphone, une fois sur deux, la régulation fait tomber sa demande de soins car elle le rassure. »
Concrètement, la Cnam projette de revaloriser les cotations de soins non programmés (SNP) et la majoration médecin traitant régulation (MRT) pour consultation ou visite en urgence régulée à 20 euros « entre 19 heures et 21 heures ». Elle veut aussi créer une majoration de 10 euros pour les visites à domicile réalisées moins de 24 heures après la régulation ; et une autre de 6,50 euros pour les visites les samedis après-midi, dimanche et la nuit. Ces revalorisations lisibles récompenseraient ainsi la pénibilité attachée au travail de nuit et le week-end. Surtout, elles visent à éviter une « distorsion trop importante » avec certains centres de soins non programmés auteurs « d’abus », qui ont fleuri sur le territoire, recadre la Cnam.
De l’intéressement pour les prescripteurs sobres
Pour réduire l’empreinte carbone du médicament et surtout améliorer la pertinence des ordonnances, l’Assurance-maladie propose un mécanisme inédit d’intéressement direct des médecins sur leurs prescriptions. « Nous aimerions partager avec les médecins généralistes un indicateur de sobriété pour leur permettre de comparer leur niveau de prescription avec leurs confrères, une fois lissées les différences de patientèle, précise Thomas Fatôme. Nous pourrions imaginer un bonus pour les médecins dont les prescriptions sont les plus sobres mais il ne s’agit en aucun cas de rationner ou d’interdire aux médecins de prescrire. »
À ce stade, la Cnam a retenu trois domaines prioritaires pour démarrer ce système d’intéressement. Les médecins seraient encouragés à augmenter la part de biosimilaires prescrits pour réduire les dépenses liées aux traitements de la DMLA et à recentrer leurs prescriptions d’IPP, conformément aux indications recommandées par la HAS. L’Assurance-maladie souhaite aussi que les praticiens soient davantage incités à l’initiation d’orthèses d’avancées mandibulaires (OAM) pour diminuer les coûts de traitement de l’apnée du sommeil par PPC. Dans le cadre de ces accords gagnant-gagnant, l’intéressement pourrait représenter pour le médecin de 10 à 30 % des économies réalisées, selon les exemples présentés par la Cnam.
L’Assurance-maladie a remisé le très controversé contrat individuel d’engagement territorial imaginé en 2022
Un observatoire pour scruter l’accès aux soins
Comme elle s’y était engagée, l’Assurance-maladie a remisé dans ce round de négociations le très controversé contrat individuel d’engagement territorial imaginé en 2022 – grâce auquel elle souhaitait conditionner les revalorisations à un nombre accru de patients pris en charge. Mais elle n’a pas renoncé à son objectif d’améliorer l’accès aux soins avec des indicateurs mesurables. Elle demande désormais aux syndicats de souscrire à dix « engagements collectifs », qui seront monitorés périodiquement. Les médecins traitants seront par exemple tenus d’accroître leur patientèle moyenne de 2 % par an (même objectif pour la file active des autres praticiens libéraux). Une moyenne de 5 000 actes cliniques annuels est aussi requise pour les généralistes. La caisse espère par ailleurs que la part de patients ALD sans médecin traitant sera stabilisée à 2 % dès 2025 et que le pays comptera 10 000 assistants médicaux à cet horizon. Il conviendra aussi de raccourcir le délai moyen d’accès aux spécialistes ou encore d’augmenter de 5 % par an le nombre de praticiens qui s’affilient à l’option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam). Les revalorisations des médecins ne seront pas conditionnées au respect de ces indicateurs, garantit la caisse. Il n’empêche… Pour suivre ces dix engagements collectifs, un observatoire conventionnel de l’accès aux soins sera mis en place. Se réunissant deux fois par an, il pourrait définir de nouveaux indicateurs et « prendre toute mesure facilitant l’atteinte des objectifs ». « Nous mettons pas mal d’argent sur la table, avertit Thomas Fatôme. Les médecins doivent se mobiliser pour prendre en charge davantage de patients. »