On la met aujourd’hui à toutes les sauces, sous forme d’indicateurs, de reporting et de process. Dans un pamphlet d’une centaine de pages, le Dr Dominique Dupagne démonte les ressorts de la démarche qualité. Occasion pour cet iconoclaste, bien connu de la blogosphère santé, de mettre en évidence ses effets pervers et ses dévoiements.
La critique émane d’un généraliste qui fut parmi les premiers à s’impliquer dans les démarches pionnières d’évaluation des pratiques professionnelles en médecine de ville, à l’époque, pas si lointaine, où en parlait encore d’EPP... Dans son livre, le généraliste parisien -qui est aussi enseignant, blogueur et animateurs de site internet- ne s’intéresse pas qu’au secteur santé. Il fait remonter la dérive de la démarche qualité à son passage du monde industriel au secteur tertiaire : « les difficultés sont apparues lorsqu’il a été question de l’appliquer aux services, » explique-t-il dans les premières pages de son petit bouquin.
Une méthode de domination
A l’entendre, appliquée au monde des services, la « qualité avec un grand Q » est rapidement devenue une méthode tyrannique de domination, doublé d’un outil offrant aux incompétents un contrôle sur les vrais professionnels pour mieux déposséder ces derniers de leur travail... Dupagne convoque de grands spécialistes de la sociologie du travail pour démontrer que la démarche qualité telle qu’elle se répand dans nos sociétés rime avec coût supplémentaire, déshumanisation et prend parfois un tour tellement bureaucratique qu’elle confine souvent à l’absurdité.
La démonstration est d’autant plus méchante qu’elle est drôle. Car l’iconoclaste du web attaque avec les armes de l’ironie et de la dérision, à l’instar de la "bande-annonce" de promotion de son livre. Appliquée au monde de la santé, cela débouche par exemple sur une critique en règle de la stratégie de prévention contre la grippe H1N1 au cours de laquelle « seuls quelques millions de français furent vaccinés pour un coût colossal. »
Les couacs de la vaccination contre la grippe aviaire
Le Dr Dupagne n’a toujours pas compris pourquoi, un beau jour de 2009, Roselyne Bachelot a décidé de mettre en place une vaccination de masse en court-circuitant les acteurs du monde libéral. Ou plutôt si ; et il en livre une explication décapante : « Les ratés du programme ne sont pas dus à la précipitation face à l’urgence : ce plan était prêt depuis plusieurs années. Ce fiasco est essentiellement dû aux instincts de domination plus ou moins conscients de ceux qui l’ont planifié. Le désir de disposer de la gestion exclusive du processus s’est ajouté à la défiance envers les hommes et des femmes constituant le tissu sanitaire français. »
Il faut lire l’extrait du manuel du parfait vaccinateur édité à l’époque pour se rendre compte du grotesque d’un dispositif, si décrié à l’époque par les libéraux de santé. Sept ans plus tard, l’auteur de « Qualité mon Q » s’en étrangle encore : « les responsables de ce désastre sanitaire n’ont pas été sanctionnés. Cette impunité est courante face aux décisions dramatiques prises par les échelons administratifs les plus élevés, car il existe une sorte de solidarité parmi les dominants qui les pousse à se protéger mutuellement. Ils savent qu’ils auraient tous agi de la même façon… »
"Taylorisme sanitaire"
[[asset:image:10356 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]Dominer, contrôler, soumettre… Pour le Dr Dupagne c’est encore ce triptyque infernal qui a enfanté la prime à la performance. Le généraliste qualiticien se souvient, un rien nostalgique, des premières expérimentations d’évaluation des pratiques en face à face, auxquelles il a prêté son concours au tout début des années 2000. Une approche qui fut finalement abandonnée : trop budgétivore, disait-on alors… « Ce n’était bien sûr par la vraie raison », avance Dominique Dupagne, pour lequel « ce système si pertinent et efficace souffrait d’un défaut rédhibitoire : il ne permettait pas aux tutelles d’exercer un contrôle individuel sur les médecins libéraux. »
La suite est mieux connue de ces derniers. Depuis cinq ans, via le Capi (Contrat d’amélioration des pratiques) ou la ROSP (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique), la rémunération sur objectifs s’est mise en place. Autant dire que ce « taylorisme sanitaire » n’est pas du tout du goût du bouillant animateur de Atoute.org. Il n' y voit rien moins qu’une « prise de contrôle » de la Sécu sur les médecins qui « invoque le déficit de l’Assurance maladie pour se justifier. »
Au final, Dominique Dupagne ne retient de la ROSP que ses effets pervers : incidences nulles, voire négatives sur la qualité des soins, dispositif coûteux, potentiellement limite au plan déontologique.... « Cette politique du chiffre finit par désespérer ceux qui tentent de faire du bon travail. Elle assure au contraire la fortune des escrocs, tant les indicateurs sont faciles à manipuler,» ose-t-il. Et de mettre les rieurs de son côté pour mieux convaincre, en citant l’histoire de ce petit malin qui faisait grimper ses objectifs de ROSP, en récoltant lui-même bons de vaccination, puis vaccins de sa patientèle âgée, jetant ensuite des lots inutilisés…
Au terme de sa démonstration, Dominique Dupagne ne veut pas désespérer ses lecteurs, à commencer par ceux de sa corporation. Et, tout en appelant les uns et les autres à résister au totalitarisme de la démarche qualité, il cite quelques exemples qui montrent que, même dans le monde de la santé, il est possible d’envisager la qualité autrement…
« Qualité mon Q ! » Editeur BoD – 122 pages – 7,50 € - Commandes possibles sur www.qualitemonq.com
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