Absence de pilotage financier, conflits d’intérêts dans les marchés, confusion entre prestataires et direction, non-publication des comptes depuis 2022... C’est un rapport sévère du dispositif Asalée (pour action de santé libérale en équipe) que vient publier l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).
Missionnée par le ministre de la Santé pour contrôler l’association éponyme (à la fois sa gestion et le déploiement d’Asalée), l’Igas souligne les graves « dysfonctionnements » organisationnels, budgétaires et conventionnels qui entachent ce dispositif créé en 2005 pour structurer la collaboration entre généralistes et infirmiers au service des malades chroniques, notamment via des séances d’éducation thérapeutique. Des éléments « incompatibles avec la poursuite d’un financement public », tranche le ministère.
Évaluation difficile
Constituée à l’origine par douze médecins et trois infirmiers, l’association Asalée n’a cessé de monter en puissance : elle rassemble 20 ans plus tard plus de 2 000 infirmiers et plus de 9 000 généralistes libéraux (17,5 % des omnipraticiens de ville) et permet aux patients chroniques de bénéficier gratuitement de séances d’éducation thérapeutique assurées par ces paramédicaux formés par l’association, en lien avec leur médecin traitant.
Malgré l’utilité de ce réseau souvent cité en exemple, la mission souligne le caractère « figé » du protocole de coopération autorisé en 2012. Alors que l’éducation thérapeutique est censée être au cœur du schéma, elle y apparaît « de façon marginale », se concentrant sur les actes dérogatoires (prescription d’examens biologiques, ECG, spirométrie…) pour quatre pathologies chroniques (BPCO, diabète de type 2, risque cardiovasculaire et troubles cognitifs), « source d’incompréhension », souligne l’Igas.
De nombreuses actions menées par les infirmiers Asalée (surpoids de l’enfant, parcours complexes) ne s’appuient sur aucune base conventionnelle précise, rendant leur évaluation difficile. Le dispositif conventionnel n’encadre pas suffisamment les relations entre médecins et infirmiers, ni les engagements réciproques.
Objectifs quantitatifs non atteints
Côté budget, les dépenses de l’association (charges de personnel, charges sociales, indemnités des infirmiers, frais de fonctionnement) sont « pour l’essentiel » (95 %) conformes aux décisions de financement qui repose quasi exclusivement sur une dotation de l’Assurance-maladie, à hauteur de 97,6 % des ressources de l’association (104 millions d’euros en 2024). Une part plus résiduelle (5 %) a été contestée par la Cnam (locations immobilières, licences informatiques) même si l’Igas juge « difficile d’arbitrer », en raison de l’imprécision de la convention signée entre la Cnam et l’association Asalée.
Le rapport souligne toutefois que, pour les médecins, « les sommes versées s’avèrent insuffisamment encadrées » et parfois non conformes car en dehors du cadre conventionnel comme les indemnisations du temps de concertation et de formation – qui ont représenté jusqu’à 15 % des subventions entre 2019 et 2022 (à hauteur de 1 288 euros par médecin généraliste en 2023).
Malgré un financement public significatif (295,2 millions d’euros sur la période 2019-2023), Asalée atteint de façon « limitée » ses objectifs d’activité quantitatifs. De fait, « moins de 10 % des infirmiers » atteignent l’objectif requis de 1 205 patients par an et par ETP infirmier (avec par exemple une moyenne limitée à 729 patients en 2023). Rapporté au nombre de consultations totales sur cette période de cinq ans (850 000), chaque patient a bénéficié de 3,3 consultations par an, soit « un coût élevé autour de 100 euros par consultation », pointe l’Igas. Cette situation est en partie liée au faible niveau d’adressage par les médecins, lui-même non encadré.
Organisation défaillante
Autre point noir : une organisation de l’association « mal adaptée » à ce qu’est devenu le dispositif Asalée. L’Igas déplore en effet une « externalisation » généralisée des fonctions stratégiques (pilotage, système d’information, gestion budgétaire) à des prestataires historiques (Isas, Informed 79), sans mise en concurrence équitable. « Certains marchés publics sont entachés de conflits d’intérêts et d’une rupture d’égalité entre les candidats en raison de l’imbrication avec les prestataires historiques », peut-on lire dans le rapport.
De même, l’Igas dénonce une organisation « holacratique », couplée à la sous-traitance généralisée, attribuant des responsabilités inhabituelles aux médecins et infirmiers. Ce modèle engendre des difficultés en matière de ressources humaines et de dialogue social.
La mission relève aussi une absence de « budget consolidé », de comptabilité analytique et de pilotage budgétaire précis, générant une « opacité financière ». Sans compter que le dépassement des plafonds de recrutement fixés par la convention ont conduit à une dégradation des comptes de l’association à partir de 2021.
Dialogue difficile avec l’Igas
Le rapport mentionne des échanges « tendus » entre l’association Asalée et les inspecteurs, témoignant d’une culture de « défiance » vis-à-vis du contrôle public, y compris lors de la phase contradictoire.
Sans remettre en cause l’engagement des soignants et le modèle, l’Igas formule 38 recommandations. Parmi les propositions notables, la clarification du protocole de coopération, recentré sur l’éducation thérapeutique ; l’encadrement des relations avec les prestataires externes, avec mise en concurrence ; la signature d’un contrat avec les médecins définissant leurs droits (indemnités, formation) et devoirs (adressage, participation, cotisation, adhésion au protocole) ; ou encore le fait de rendre opposables les engagements d’activité, via un meilleur suivi des indicateurs.
Aussitôt ce réquisitoire publié, les deux ministres de la Santé (Catherine Vautrin et Yannick Neuder) se sont dits « attachés » à la poursuite du dispositif Asalée, mais en demandant à l’association de se conformer aux recommandations du rapport. Il convient aussi de « remettre en ordre la gestion et l’organisation ». Les ministres ont demandé à cet effet à l’association de travailler avec un tiers indépendant, chargé de contrôler la mise en œuvre des mesures correctrices et l’instauration d’une direction opérationnelle capable de conduire les réformes nécessaires.
À titre exceptionnel, les ministres proposent une prolongation transitoire de quatre mois de la convention avec l’Assurance-maladie (jusqu’à fin octobre 2025) pour lui donner le temps d’assainir sa gestion, « sous réserve que l’association Asalée démontre sa volonté réelle de se réformer pour continuer à bénéficier d’un financement public ». Un avertissement clair et net.
MG France déplore la « pression » sur Asalée
Fervent défenseur d’Asalée, le syndicat de médecins généralistes MG France « encourage l’association à se conformer au maximum aux recommandations de l’Igas » car « ce sont des fonds publics » qui financent. Néanmoins, MG France se désole de « la pression » que subit l’association à travers ce rapport. « Il n’y a pas eu de détournements de fonds ou d’enrichissement personnel », affirme le Dr Jean-Christophe Nogrette. Pour le secrétaire général adjoint de MG France, « c’est le fonctionnement souple d’Asalée qui ne rentre pas dans les cases ». Le généraliste de Haute-Vienne rappelle que « plusieurs études réalisées notamment par l’Irdes ont démontré une économie de 10 % à 15 % des coûts de santé grâce à la coopération étroite entre infirmiers et médecins ».
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