LE QUOTIDIEN : Votre 10e congrès, qui s’ouvre ce vendredi au Havre, est placé sous le signe de l’accès aux soins. Comment les médecins généralistes peuvent-ils relever ce défi dans un contexte de pénurie ?
Dr AGNÈS GIANNOTTI : Les médecins généralistes relèvent déjà au quotidien le défi de l’accès aux soins ! Malgré un nombre moins important de médecins, nous continuons à assurer un million de consultations par jour et à réduire le nombre de patients en ALD sans médecin traitant, puisqu’on se situe désormais à 96,4 % des patients en ALD pourvus d’un médecin traitant.
Mais c’est vrai, face au creux démographique, les difficultés vont encore s’accentuer. Dans ce contexte, la médecine générale ne peut être seule à proposer et trouver des solutions. Ce défi doit être relevé avec tout le monde – les institutions, les autres professions, la population. La question de l’accès aux soins est complexe. Il est nécessaire de se projeter et de l’envisager sous de multiples facettes : l’accès financier, l’accès territorial, la prise en charge des malades complexes.
Le congrès du Havre sera à cet égard un moment important pour permettre aux divers et nombreux intervenants d’échanger avec la profession sur les solutions à construire ensemble. Mais surtout, je le répète, on ne réglera pas le problème de l’accès aux soins par la coercition.
Les ministres Catherine Vautrin et Yannick Neuder ainsi qu’Édouard Philippe, maire du Havre et candidat à la présidentielle, seront présents à votre congrès. Quels engagements attendez-vous, alors que le déficit de l’assurance-maladie est extrêmement préoccupant ?
Il y a deux messages essentiels que j'aimerais entendre de la part des autorités. D’abord, qu’ils n'abandonnent pas le principe de la solidarité nationale qui est à la base de notre protection sociale. La Sécurité sociale va fêter ses 80 ans. J’aimerais qu’on puisse fêter ses 100 ans !
Les responsables politiques doivent ensuite comprendre que, dans les prochaines années, nos efforts devront être davantage centrés sur la prise en charge des patients chroniques et complexes, les plus malades avec des problématiques sociales. C’est pourquoi il faut nous aider maintenant – nous généralistes – à assumer ce rôle essentiel de garde-fou auprès d’une population fragile et qui va mal.
“L’argent ne doit pas être distribué pour renforcer des structures financiarisées qui considèrent la santé comme un marché
Dans ce contexte budgétaire très contraint, j’aimerais que les dépenses soient absolument orientées vers les organisations qui répondent aux besoins de soins dans les territoires et non aux demandes ponctuelles de soins. Autrement dit, l’argent ne doit pas être distribué pour renforcer des structures financiarisées qui considèrent la santé comme un marché et non comme un enjeu de santé publique. Je pense par exemple à certains centres de soins non programmés ou à des plateformes de téléconsultation qui relancent les patients sous couvert de prévention.
La Cnam va relancer une nouvelle campagne contre les gros prescripteurs d'arrêts maladie. Est-ce une bonne idée ?
Une réunion est organisée par la Cnam pour nous présenter cette nouvelle campagne avec ses modalités. Mais nous ne savons pas avec quelle méthode les médecins sont ciblés.
D’ores et déjà, des confrères rapportent avoir été contrôlés pour un supposé excès de prescriptions d’arrêts maladie. J’ai l’exemple d’une généraliste qui a été “alpaguée” : ses IJ ont flambé car elle a récupéré toute la patientèle de sa consœur partie à la retraite. Je mets en garde la Cnam contre des méthodes basées uniquement sur des algorithmes et qui risquent de pointer des praticiens le plus souvent consciencieux. La dernière campagne de la Cnam avait traumatisé la profession.
La solidarité territoriale obligatoire, prévue dans le pacte Bayrou contre les déserts médicaux, pourrait se mettre en place dès septembre. Vous dites banco ?
Nous sommes favorables à un principe de solidarité territoriale. Sur le terrain, beaucoup d’entre nous se sont déjà organisés spontanément pour réaliser des consultations avancées afin de répondre aux besoins de soins dans des zones blanches. Par contre, ce qui va être mis en place dans les zones rouges via la proposition de loi Mouiller me paraît aberrant car c’est basé sur un zonage faussé. Il est faux parce qu'il n'a pas tenu compte de l'évolution démographique des professionnels. Il est faux également parce qu'il n'est pas capable de faire la différence entre un médecin généraliste traitant et un médecin esthétique ou un médecin urgentiste. Tout le monde est mis dans le même panier. Enfin, il n’y a toujours pas de définition claire et cohérente de ce qu’est une zone “surdotée”. Tout cela se fait au doigt mouillé.
Sur le fond, je pose clairement la question de la faisabilité de cette mesure de solidarité territoriale ainsi présentée. Elle nécessitera en tout cas une organisation, un local, un assistant médical, un remplaçant, un infirmier et des moyens. Qui va payer le local ? Cela demande une réflexion et des moyens.
Sur la réforme de la 4e année d’internat de médecine générale, censée entrer en vigueur l’an prochain avec les premiers docteurs juniors, va-t-on droit dans le mur ?
La réponse est oui. Pourquoi ? Le ministère s’est opposé à appliquer la logique libérale d'un cabinet de ville pour ces futurs médecins en année professionnalisante. Nous avions pourtant proposé que le futur dispositif – avec les quatrième année – soit calqué sur le fonctionnement de nos collaborateurs du point de vue administratif, de la gestion et des finances.
Hélas, le ministère a préféré rester dans une logique très hospitalière. Du coup, malgré les rapports préparatoires faits sur cette réforme, le montage proposé est abracadabrantesque simplement pour éviter que ces futurs médecins soient payés comme nous. Cette quatrième année de médecine générale est en train de devenir un casse-tête chinois avec des propositions qui ne tiennent pas la route.
La PPL infirmière va être adoptée définitivement. Vous convient-elle avec la consultation propre et le diagnostic infirmier ?
Ce texte me paraît insuffisant dans le cadre de l'interprofessionnalité nécessaire. On voit des listes de prescription, des listes d'actes. Mais comment l’infirmier va-t-il se coordonner avec le médecin généraliste traitant ? C’est flou. Si les professionnels ne travaillent pas ensemble mais uniquement les uns à côté des autres, la sécurité des soins risque d’en pâtir.
L’obligation de solidarité territoriale pour les médecins effective « dès septembre », confirme Yannick Neuder
« Les syndicats sont nostalgiques de la médecine de papa », tacle Dominique Voynet, seule médecin ayant voté la loi Garot
Face à un tweet raciste d’un membre de Reconquête, des médecins de l’Oise portent plainte
Prescription des aGLP-1, l’usine à gaz ? Après les médecins, la Fédération des diabétiques affiche son inquiétude