Pendant de nombreuses années, le vice-président de MG France fut le porte-voix de ses confrères médecins. Depuis cinq ans, il s'est fait l’avocat de milliers de patients. Le Dr Philippe Sopena, médecin généraliste dans le 18e arrondissement de la capitale pendant 35 ans, est officiellement parti à la retraite en 2011. Mais il n’est jamais vraiment resté inactif. Le praticien a troqué le stéthoscope pour devenir l’expert d’un dossier. Et pas n’importe lequel. Depuis cinq ans, l’affaire Lévothyrox est devenue la sienne.
Tout démarre en mars 2017 lorsque la filiale française du laboratoire Merck met sur le marché une nouvelle formule du Lévothyrox à la demande de l’ANSM. Le principe actif de cette hormone thyroïdienne de synthèse reste le même mais des excipients ont changé. L’ANSM voulait rendre le médicament plus stable. Très rapidement, des milliers de patients ressentent des effets indésirables. « J’ai eu quelques coups de fil d’anciennes patientes qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. Toutes me disaient ressentir des symptômes bizarres : cœur qui bat trop vite, énervement, diarrhées, crampes et troubles musculaires… Les endocrinologues n’ont pas voulu les écouter. »
Une affaire hors-norme
L’aventure du Dr Sopena avec l’AFMT (Association française des malades de la thyroïde) démarre quelques mois plus tard, en octobre 2017. Le généraliste est convié par un membre de l’AFMT, le Dr Gérard Bapt, ancien cardiologue et député PS de Haute-Garonne, à une réunion au ministère de la Santé. « Une cinquantaine de personnes, administratifs et endocrinologues étaient présents et tous ont dit : "ces femmes mentent, elles n’ont rien ! " . Et cela alors qu’il y avait eu 32 000 déclarations de pharmacovigilance. Je suis sorti furieux de cette réunion, je n’imaginais pas que cette affaire allait bouffer cinq ans de ma vie. »
L’ancien vice-président de MG France apprend les arcanes de la justice. Sa lenteur aussi. Une juge d’instruction a été nommée en mars 2018. Il faudra attendre 2020 pour que Merck soit condamné en appel, au civil, à verser 1 000 euros à chacun des 3 300 plaignants. « Notre objectif n’est pas que les gens soient payés mais que l’on reconnaisse qu’ils ont été vraiment malades et qu’on en tire les conclusions », affirme le Dr Sopena.
Cinq ans après
Or, pour l’heure, la juge n’a demandé aucune expertise en cinq ans, rapporte le médecin. « Nous voulons savoir ce que contenait exactement la nouvelle formule du Lévothyrox en 2017 », martèle le Dr Sopena. Il cite également les démarches de l’AFMT pour faire réaliser des études cliniques pour voir quels étaient les changements de la nouvelle formule. « Nous avons récupéré plein d’échantillons de 2017 et nous les avons donnés à trois labos pour les comparer à la nouvelle formule. Les trois nous ont rendu notre chèque », déplore-t-il.
Un épisode résume les difficultés à faire avancer l’affaire et la personnalité du Dr Sopena. Nous sommes en septembre 2018, l’AFMT obtient au terme de plusieurs mois d’attente un dossier expurgé de l’ANSM sur l’autorisation de mise sur le marché de la nouvelle formule du Lévothyrox « dans lequel manquaient, notamment, le lieu de production et le nom de l'entreprise qui fabrique le principe actif », raconte le généraliste. Est-ce la fibre du syndicaliste qui reprend le dessus ? Le Dr Sopena lance avec l’AFMT une pétition contre le secret des affaires en matière de santé publique reprochant à l'ANSM de se retrancher derrière cet argument.
Des mises en examen, et après ?
En octobre 2022, la filiale française du laboratoire pharmaceutique allemand Merck a été mise en examen pour « tromperie aggravée », quatre ans et demi après l'ouverture de l'enquête pénale à Marseille. L'ANSM a, elle, été mise en examen pour « tromperie » le 5 décembre dernier. Dans un communiqué, l'Agence a assuré n'avoir « jamais nié les difficultés rencontrées par certains patients au moment du passage à la nouvelle formule du Lévothyrox » et a affirmé qu'elle « apportera sa pleine contribution à la manifestation de la vérité mais conteste fermement les reproches formés à son encontre, car aucune infraction pénale n'a été commise ».
« Je pense que les choses vont bouger, veut croire Philippe Sopena. Nous espérons que la juge va enfin lancer des expertises et que des publications scientifiques permettront de détailler le changement de composition du Lévothyrox. » Le Dr Gérard Bapt, qui a mis le pied à l’étrier de Philippe Sopena à l’AFMT, loue l’opiniâtreté de son confrère. « Quand il s’engage, il le fait à fond et il ne lâche rien, il est obstiné et pugnace. Et puis, il a une capacité incroyable à éplucher les dossiers. »
L’affaire judiciaire suit son cours et l’AFMT n’a pas dit son dernier mot. Le Dr Sopena continue d’éplucher « le dossier pénal qui fait 25 000 pages ». Même s’il y passe beaucoup de temps, le généraliste n’a « jamais voulu lâcher l’affaire ». « Je le ferai le jour où l’on aura toutes les données sur ce changement de formule », conclut-il.
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