Maîtrise médicalisée ou tour de vis financier ? Malgré une forte réduction du déficit du régime général (7,1 milliards d'euros attendus en 2023 versus 21 milliards en 2022), l'Assurance-maladie entend intensifier ses efforts de régulation des dépenses de santé, au point de soulever les inquiétudes de la profession.
Dans son traditionnel rapport dit « charges et produits » présenté au gouvernement, en pleine préparation du prochain budget de la Sécu, la Cnam a proposé des économies à hauteur de 1,3 milliard d'euros pour 2024 (lire tableau). Si le montant global des efforts réclamés est habituel, la profession a perçu des signaux inquiétants, au fil des secteurs mis à contribution.
Sobriété ou rationnement ?
Dans le viseur de la Cnam, la « sobriété et l'efficience des soins » doit procurer près de 700 millions d'euros (actes, médicaments, LPP, biologie, transports, IJ), soit plus de la moitié (55 %) du programme de gestion du risque et ce, sans compter les 345 millions attendus grâce aux contrôles et à la lutte contre les fraudes. Alors que la maîtrise dite médicalisée des dépenses a longtemps représenté un volet d'économies de 500 à 700 millions d'euros par an, c'est bien un surcroît d'efforts qui semble réclamé aux seuls prescripteurs.
L'affaire des IJ a mis le feu aux poudres. Les locataires de Bercy, Bruno Le Maire et Gabriel Attal, ont chacun dans leur registre pourfendu la « dérive » des dépenses d'arrêts de travail – qui ont vu leur coût bondir de 8,2 % sur un an pour atteindre 16 milliards d'euros en 2022 hors Covid – et l'absentéisme « qui n'est pas une fatalité ». La Cnam a embrayé, annonçant un tour de vis dans ce domaine. Elle cible en priorité les « prescripteurs très atypiques » (par rapport à leurs confrères exerçant dans des conditions similaires), soit environ 1 000 généralistes libéraux (1,5 à 2 % des effectifs) pour une potentielle mise sous objectifs (MSO). Mais quelque 5 000 médecins sous surveillance se verront aussi proposer des entretiens individuels. Et des échanges sont prévus avec 10 000 autres praticiens qui délivrent fréquemment des arrêts liés à la santé mentale. En tout, le tiers des généralistes est concerné par cette campagne, ce qui a exaspéré les syndicats. La caisse vise aussi les praticiens « téléconsultants » qui ont multiplié les arrêts pour des patients inconnus. Elle propose de limiter à trois jours au maximum la durée des arrêts prescrits après une téléconsultation.
Au total, la Sécu ambitionne de raboter de plus de 200 millions d'euros les dépenses d'IJ, soit le plus gros poste d'économies… Face à cette offensive, les syndicats ont boycotté le comité de pilotage ministériel autour du plan pour les patients en ALD sans médecin traitant. Ils appellent les praticiens concernés à refuser toute procédure de mise sous objectifs. Et localement, des médecins contrôlés dénoncent la « pression psychologique » sur les arrêts de travail alors que d'autres causes expliquent la hausse des IJ comme la croissance de la masse salariale, la flambée des pathologies psychiques et la dégradation des conditions de travail.
Déprescription graduelle
Outre les IJ, des mesures d'efficience et de bon usage sont programmées sur le médicament. La Cnam souhaite limiter la polymédication des personnes âgées notamment par un accompagnement de « déprescription graduelle ». Cette démarche consiste à inciter les médecins à réviser régulièrement leurs ordonnances et à déprescrire les traitements inappropriés chez les patients âgés. Sont ciblées aussi les prescriptions des opioïdes, dont le tramadol, ou la prescription d'IPP chez les enfants.
Le développement de la prescription des biosimilaires est aussi une piste forte d'économies. Pour faire passer leur taux de pénétration de 42 % à 80 %, la Cnam recommande d'instaurer un dispositif de « tiers payant contre biosimilaire ». Sur la biologie, le futur protocole d'accord-cadre triennal avec la profession doit permettre, là encore, de « maîtriser les volumes » (différents dosages non conformes tels que les tests de vitesse de sédimentation ou les dosages de la vitamine D). En matière de transports sanitaires enfin, autre secteur où les dépenses sont dynamiques (4,1% par an depuis dix ans), la Cnam mise sur l'incitation forte au « transport partagé » contre tiers payant pour les trajets itératifs et non urgents.
Pression sur l'ambulatoire
Le balancier part-il trop loin vers la maîtrise comptable ? Dans son dernier rapport sur la Sécu, la Cour des comptes jugeait au contraire que les cibles de maîtrise médicalisée étaient encore très loin des gisements potentiels compris entre 12 et 18 milliards sur les « prescriptions, de toute nature, effectuées par la médecine de ville ».
Mais du côté de la profession, le plan de la Cnam est déjà jugé « purement comptable », comme le dénonce le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. « La maîtrise médicalisée n'existe plus, tonne le généralise mayennais. La priorité du gouvernement est de mettre la pression financière sur la médecine ambulatoire pour limiter le déficit ». Pour MG France, la vague de contrôles sur les IJ est « une campagne à visée comptable fondée sur l’intimidation des professionnels de santé ». Fait rare, l'Ordre est sorti de son silence pour rappeler que la prescription d’un arrêt de travail est un acte médical à part entière. « Les propos tenus qui jetaient la suspicion sur le comportement des médecins les ont blessés par leur caractère globalisant, s’adressant à l’ensemble d’une profession, et tout particulièrement à destination des médecins traitants, s'agace l'Ordre. En cela, ils sont tout à fait regrettables ».
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