Jusqu’à 10 427 euros d’indus : alertes sur les prescriptions d’arrêts de travail en téléconsultation

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Publié le 14/10/2024

Des médecins ont alerté sur des réclamations d’indus de la part de caisses primaires, liées à des arrêts de travail de plus de trois jours prescrits en téléconsultation. Un généraliste s’est vu réclamer 10 400 euros. La Cnam se défend de toute stratégie nationale de contrôles mais suit l’affaire de près.

Crédit photo : MOURAD ALLILI/SIPA

En fin de semaine dernière, plusieurs praticiens libéraux ont dénoncé des réclamations d’indus de la part de caisses primaires à la suite de prescriptions en téléconsultation d’arrêts de travail de plus de trois jours. Ces dernières – qu’il s’agisse d’un arrêt initial ou de prolongation – sont effectivement limitées à trois jours, conformément à l’encadrement de la prescription en téléconsultation voté dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024, dès lors que le prescripteur n’est ni le médecin traitant du patient, ni la sage-femme référente pour une grossesse.

Le montant du préjudice financier réclamé a atteint 10 427,79 euros pour une médecin généraliste des Côtes-d’Armor. « Votre prescription a engendré une dépense de l’Assurance-maladie qui n’aurait pas dû être engagée », lui a-t-on écrit dans la notification d’indu que s’est procurée l’actif « Docteur Pepper » sur X (ex-Twitter).

Cette CPAM se justifie en citant l’article L.133-4 du Code de la Sécurité sociale, relatif aux inobservations des règles de tarification, distribution ou de facturation des actes. Selon nos informations, cette généraliste aurait prescrit deux arrêts particulièrement longs.

Les psychiatres particulièrement inquiétés ?

Le Dr Richard Talbot, trésorier de la FMF, a lui aussi alerté sur cette affaire sur son compte X (ex-Twitter). Au Quotidien, il explique avoir reçu en début de semaine dernière un courrier d’un psychiatre, lui aussi des Côtes-d’Armor, concerné par un indu de 800 euros. Or, ces spécialistes disposent d’un seuil maximal d’actes réalisés en téléconsultation de 40 % de leur volume d’activité globale. « Comme les arrêts font partie de leur arsenal thérapeutique et qu’ils font beaucoup de prolongations, ils se retrouvent coincés, car ils ne sont pas médecins traitants », explique le généraliste normand.

Le Dr Talbot ajoute que peu de ses confrères sont au courant de cette évolution législative, sans doute à cause d’un défaut de communication de certaines caisses, lesquelles auraient pu refuser l’avis de travail prescrit hors des clous (sans laisser le préjudice augmenter). La possibilité d’une conciliation gracieuse avec l’Assurance-maladie est néanmoins toujours possible avec les libéraux.

Pour ce même responsable syndical, un nouveau statut de « praticien suivant régulièrement le patient, qui n’a pas de médecin traitant, car il a déménagé ou qu’il n’en trouve pas » devrait être envisagé afin d’éviter certains contentieux sur les arrêts. Preuve que le sujet prend de l’ampleur, la FMF appelle ce lundi à « un moratoire immédiat sur ces sanctions injustes, au moins pour 2024 ». Une démarche intersyndicale pourrait être engagée en ce sens.

Prévenir les médecins

La Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France, confirme que la cellule juridique de son syndicat s’occupe du cas extrême de la généraliste sommée de rembourser plus de 10 000 euros. Mais pour elle, il n’y a pas le feu au lac, plutôt une nécessité de bien informer tous les médecins. « Il faut que les collègues prennent conscience qu’ils ne doivent pas prescrire d’arrêts de plus de trois jours en téléconsultation lorsqu’ils ne sont pas médecins traitants, recadre-t-elle. Mais il est possible aussi de négocier et de régler cela à l’amiable, sur dossier, afin de voir ce qu’il s’est passé, si ce ne sont pas des pratiques abusives ».

Pour expliquer certains montants importants, la présidente de MG France prend l’exemple d’un arrêt de trois mois délivré pour dépanner une personne bien rémunérée et souffrant d’un cancer, dont les indemnités journalières peuvent grimper (même si elles sont plafonnées). « C’est pourquoi la caisse devrait prévenir de manière systématique » en cas d’irrégularité, juge la généraliste parisienne. Elle aussi réfléchit à un statut pour ces médecins qui suivent des patients sans médecin traitant et sont amenés à prescrire des arrêts à distance.

La caisse parisienne privilégie le dialogue

La CPAM des Côtes-d’Armor n’est pas la seule à se mobiliser sur cette question. La caisse de Paris a envoyé de son côté des courriers pédagogiques (et de rappel à l’ordre) à des patients et des médecins concernés par des arrêts de plus de trois jours prescrits en téléconsultation.

Dans des documents que Le Quotidien s’est procurés, la caisse parisienne propose, à l’un des patients concernés, d’apporter « la preuve » qu’elle avait « été dans l’impossibilité de consulter un médecin à son cabinet », soit par un « document prouvant l’indisponibilité des professionnels de santé concernés » dans sa zone géographique soit par une « attestation sur l’honneur ». Et au médecin qui a prescrit l’arrêt – en l’occurrence de six jours – la caisse rappelle « la législation en vigueur », sans demander d’indu. Deux autres situations de ce type ont été rapportées au Quotidien, n’ayant pas entraîné de réclamation d’indu de la part de la CPAM 75.

Pour le Dr Elie Winter, président du Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), il ne faut pas diaboliser les caisses primaires. « La Sécu a toujours cherché des arrangements et, généralement, elle prévient lorsqu’on dépasse des seuils, même a posteriori en disant : “Nous avons oublié de vous prévenir”. » Le psychiatre rappelle la volonté commune des syndicats et de la Cnam de mettre en place un groupe de travail sur la pertinence des soins – dont les arrêts de travail – ainsi que le dispositif « SOS IJ », pour aiguiller les prescripteurs en cas d’IJ litigieuses (renouvellements, demandes complexes).

Pas de stratégie nationale, assure la Cnam

Contactée, l’Assurance-maladie fait savoir ce lundi au Quotidien que ce sujet lui a « en effet » bien été remonté. Mais elle se défend de toute action nationale de contrôle « à ce stade » concernant les prescriptions d’arrêts de travail supérieures à trois jours en téléconsultation (hors médecin traitant). En revanche, elle confie avoir « demandé à la caisse de mettre ce process sur pause » et « examin[e] » avec elle « le dossier avec attention ».

De son côté, le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, estime que « les indus d’IJ, ce n’est que la première étape : par la suite, ils viseront les dépassements pour exigence – donc la surfacturation à 30 euros – qui seront le retour de bâton de l’Assurance-maladie. »


Source : lequotidiendumedecin.fr