Kévin Arnold est en 3e année d’internat à la fac de Reims et effectue son stage de 5e semestre à Troyes dans un cabinet de médecine générale. Le jeune homme de 28 ans confie être encore secoué par l’expérience qu’il a vécue il y a trois mois. Mi-décembre, un patient d’une quarantaine d’années consulte pour « un problème de dos ». Il refuse l’examen clinique et réclame d’emblée une prescription de médicament. Le généraliste en formation le recadre et lui explique calmement qu’il ne délivre pas de prescriptions sans examen préalable.
Le patient se montre de plus en plus agressif et menaçant, et exige le nom et le matricule du jeune interne pour se plaindre… à la Sécu. Kévin Arnold en appelle à son maître de stage, sans parvenir à désamorcer la situation. Le patient « se lève de sa chaise et me crie dessus. Je me suis levé aussi, pas très chaud pour recevoir un coup de poing sans me défendre. Bref, je décide de sortir me calmer sur le parking », se souvient Kévin. Dix minutes plus tard, le patient l’y rejoint, puis repart en invectives. Mais à ce stade heureusement, l’affaire ne dégénère pas en pugilat – contrairement à d’autres agressions physiques, comme celle subie par exemple à Audincourt (Doubs) par le Dr Baris Cecen.
Face à la police, un sentiment de solitude
« Mais j’étais quand même un peu perturbé », poursuit l’interne, qui, sur les conseils de l’Ordre et de son maître de stage, décide de porter plainte au commissariat. Coup de chance, il est reçu tout de suite. Mais à partir de ce moment, Kévin va enchaîner les déconvenues. « Quand je leur ai parlé du protocole établi entre l’Ordre, la police et le préfet pour les dépôts de plainte des médecins, ils m’ont regardé l’air de dire : “Il est bien gentil celui-là, de quoi nous parle-t-il” ». L’agent censé prendre sa déposition fait tout pour le décourager, arguant qu’il a besoin d’éléments supplémentaires pour qualifier l’infraction. « Le patient n’avait pas menacé de me péter les dents ou de me tuer », grince la victime. « Ne pas vouloir écouter mon histoire, montrer des signes d’impatience et attendre d’une certaine façon que je renonce à déposer plainte, bref, l’attitude des policiers m’a presque plus choqué que mon agression elle-même », se désole le jeune interne. « On ne s’attend pas à être reçu de cette manière et à se retrouver soi-même à la place du suspect », ajoute-t-il.
On est dans notre droit et on ne se sent pas du tout accompagné »
Un mois plus tard, il apprendra qu’une suite a bien été donnée à sa plainte, par un mauvais hasard. En visite à domicile auprès d’une femme qui porte le même nom de famille que l’énergumène à qui il a eu affaire, il se rend compte qu’il s’agit du fils de sa patiente, lorsque celui-ci pousse la porte de l’appartement. « Cette fois, il s’est énervé tout de suite, son frère était aussi présent. Je me trouvais coincé en me disant que s’ils décident de me casser la figure, je ne pourrais pas faire grand-chose ». La mère parvient à calmer son fils, qui revenait justement de sa convocation au commissariat, à la suite de la plainte initiale de l’interne… « J’ai mieux compris son énervement et comme il ne m’a pas cherché de noises cette fois, je me suis limité à déposer une main courante », explique Kévin Arnold.
Cette affaire illustre à quel point certains libéraux isolés peuvent se trouver démunis en cas d’agression ou de menace. « J’ai déjà eu affaire à des patients agressifs aux urgences, mais en contexte hospitalier, il y a toujours des équipes avec nous. Ce n’est pas du tout la même dynamique quand on est seul au cabinet de médecine générale », analyse le jeune homme, passablement remonté « contre l’attitude des flics. On est dans notre droit et on ne se sent pas du tout accompagné ».
Les syndicats en nom et place des victimes ?
Dans ce contexte, la récente proposition de loi (PPL) portée par le député Horizons Philippe Pradal (et adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 14 mars) pourrait contribuer à rompre l’isolement des professionnels de santé libéraux victimes de violences et qui souhaitent porter plainte.
Selon ce texte, un organisme représentatif des libéraux – l’Ordre, les syndicats ou les URPS – pourrait être autorisé à porter plainte pour les professionnels qui en font la demande. Une incertitude qui inquiète déjà : l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS) estime en effet que « seuls les syndicats représentatifs » sont habilités à défendre les intérêts des blouses blanches et peuvent donc porter plainte pour leur compte. En clair, ni les Ordres, garants de l’éthique, ni les Unions, qui se concentrent sur la coordination et l’organisation des soins, ne devraient assumer cette mission.
Les URPS d’Île-de-France se dotent d’un « monsieur Sûreté »
L’atelier « Violences médecins » du CMGF a été l’occasion de présenter le référent « sûreté » des URPS franciliennes, en poste depuis 2024. À charge pour lui d’instaurer des actions de sensibilisation à destination des professionnels de santé franciliens– dont l’importance de la qualification juridique des faits lors du dépôt de plainte. À partir du moment où des éléments délictuels sont caractérisés – et si la plainte n’est pas prise en compte ou instruite – 4 possibilités de recours se présentent aux médecins : faire une lettre plainte auprès du Procureur de la République ; adresser un courrier au préfet ; rédiger une lettre avec AR au commissaire de police ou au commandant de gendarmerie; saisir directement l’Inspection générale de la police nationale
L’association inter-URPS francilienne (AIUF) a ouvert une ligne directe pour les agressions 01 88 61 61 71
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