Le service public de santé, une idée qui infuse

Par
Publié le 26/09/2025
Article réservé aux abonnés

Pour obtenir des résultats sur l’accès aux soins, la réflexion s’oriente vers la construction d’un « service public de santé de proximité », intégrant les médecins libéraux. Une évolution qui irait dans le sens de la décentralisation souhaitée par Sébastien Lecornu.

Le nouveau Premier ministre promet, d’ici à 2027, un accès aux soins de proximité pour chaque citoyen

Le nouveau Premier ministre promet, d’ici à 2027, un accès aux soins de proximité pour chaque citoyen
Crédit photo : BURGER/PHANIE

Comment agir efficacement contre les déserts médicaux, dans chaque territoire, sans braquer la profession ? C’est le défi que doit relever à court terme le gouvernement de Sébastien Lecornu. À peine arrivé, ce dernier a promis un « grand acte de décentralisation » qui devrait concerner, parmi divers domaines (environnement, urbanisme, logement, culture, tourisme), l’accès aux soins de proximité. Les élus locaux sont mobilisés en ce sens et devront transmettre des idées d’ici à fin octobre.

Sur la santé, le contexte est connu. Des voix réclament la méthode forte. Réunis à Laval mi-septembre, des députés de tous bords – de La France insoumise aux Républicains – ont lancé un appel solennel au gouvernement, réclamant l’inscription au Sénat de la proposition de loi « Garot », déjà adoptée au printemps par l’Assemblée. Épouvantail pour la profession, cette PPL prévoit de réguler l’installation dans les zones surdotées et de rétablir l’obligation de permanence des soins. Parallèlement, le Premier ministre est sorti du bois, évoquant, lui, non pas des mesures punitives mais la promesse de 5 000 maisons France Santé d’ici à 2027, pour garantir un accès aux soins à moins de trente minutes de chaque citoyen. Comment ? Nul ne le sait encore, même s’il s’agirait plutôt de labelliser des structures existantes (MSP ou centres de santé).

Ces deux offensives – l’une parlementaire et très directive, l’autre gouvernementale et encore floue – s’inscrivent dans un débat de fond sur la réorganisation des soins de proximité et la juste répartition des ressources médicales devenues rares. Dans ce contexte, des voix plaident aujourd’hui pour la création d’un « service public de santé », mobilisant équitablement hospitaliers et libéraux à l’échelle fine des bassins de vie, une façon aussi de rendre plus lisible l’action publique.

Absence d’autorité claire

Pour Martin Hirsch, ancien directeur de l’AP-HP, la racine du mal réside dans l’absence d’une autorité clairement responsable des soins primaires, ou plutôt dans la dilution des responsabilités (entre la Cnam, les ARS, les CPTS, etc.). « Créer un service public identifié permettrait de traiter de façon responsable des questions qui bloquent depuis des années : la liberté d’installation, le droit au conventionnement », a-t-il défendu lors de la journée parlementaire sur les déserts médicaux, en Mayenne. Pourtant, concède-t-il, « créer un service public, ça ne fait pas pousser des médecins comme des champignons ».

Les défenseurs de cette approche en espèrent un électrochoc de gouvernance. Aujourd’hui, ni l’État, ni son bras armé sanitaire (les ARS), ni a fortiori les collectivités territoriales n’assument une responsabilité unique et opposable sur l’accès aux soins primaires. Un service public de santé supposerait une autorité locale identifiée et un nouvel échelon d’intervention pour réorganiser l’offre, fixer les règles du jeu et, si besoin, imposer des obligations aux acteurs libéraux comme hospitaliers. Communes et intercommunalités pourraient avoir un rôle accru, à l’heure où le périmètre des ARS est jugé beaucoup trop large.

« Créer un service public permettrait de traiter des questions qui bloquent depuis des années : liberté d’installation, droit au conventionnement…

Martin Hirsch, ancien directeur de l’AP-HP

Dans ce cadre, l’hôpital pourrait hériter de nouvelles missions, par exemple assurer lui-même des soins de proximité à la faveur de consultations avancées (comme cela se fait ponctuellement dans certaines spécialités). À l’inverse, le secteur libéral pourrait venir renforcer systématiquement des services en souffrance ou des lignes de garde incomplètes. Cette responsabilité partagée supposerait de lever certains verrous statutaires entre les carrières libérales, hospitalières et salariées (hors hôpital). Un statut unique de praticien ? Pas forcément. « Dans ce schéma, on participe tous au “service public de santé” mais sous différentes formes, avance Martin Hirsch. En tout cas, le service public de santé n’exclut pas les libéraux, au contraire ». Chacun partage les contraintes, à l’instar du cadre déjà fixé par la loi Valletoux pour la permanence des soins en établissement de santé (PDSES), censée mobiliser davantage les cliniques.

La liberté individuelle et ses limites

Certains élus et associations de terrain préconisent des mécanismes plus directifs pour atteindre le même objectif. Pour la rhumatologue sarthoise Laure Artru, présidente de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM), la liberté individuelle a trouvé ses limites pour répartir l’offre médicale. Elle prône l’instauration d’un « travail obligatoire temporaire dans les zones sous-dotées, au nom de l’égalité d’accès aux soins ». Une mesure encore plus contraignante que les jours de « solidarité territoriale » imaginés par François Bayrou, réforme qui se décline tant bien que mal depuis la rentrée dans les quelque 150 zones rouges avec des généralistes volontaires…

Le Dr Pascal Gendry, coprésident d’AvecSanté (Avenir des équipes coordonnées, qui fédère les maisons de santé), défend une approche collaborative généralisée. « On voit bien que l’exercice collectif est indispensable : il n’y a quasiment plus de nouvelles installations libérales en dehors des maisons de santé. Mais ce n’est pas suffisant. » Pour le généraliste de Mayenne, une « révolution culturelle » est nécessaire, incluant travail en équipe, délégations de tâches aux non-médecins et… responsabilité partagée d’une patientèle sur un territoire. « Ce n’est pas avec des objectifs individuels qu’on assurera la prévention ou le suivi des pathologies chroniques », résume le médecin. Or, le système conventionnel, toujours centré sur le paiement à l’acte et la pratique mono-professionnelle, freine certaines évolutions.

La Fédération hospitalière de France (FHF) porte depuis 2017 une démarche de « responsabilité populationnelle », qui vise justement à mobiliser l’ensemble des acteurs d’un bassin de vie, quel que soit leur statut. Réunions cliniques ville-hôpital, parcours intégrés sur le diabète ou l’insuffisance cardiaque, actions d’aller-vers, financements dérogatoires : expérimentée dans des territoires pionniers, la démarche commence à démontrer ses bénéfices. Une approche qui pourrait rejoindre la mise en place d’un service public territorial de santé…

Loan Tranthimy et Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du Médecin