« Manipulation », « culpabilisation », « absurde » : la profession tique face au tour de vis sur les arrêts de travail

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Publié le 30/07/2025

Fin des « abus » sur les arrêts maladie de plus de 18 mois qui seraient pour moitié « injustifiés », limitation du premier arrêt prescrit en ville « à 15 jours » : le tour de vis annoncé du gouvernement sur les IJ irrite la profession. Les arguments avancés par l’exécutif sont jugés biaisés, voire absurdes.

Crédit photo : GARO/PHANIE

C’est une petite musique qui monte dans le corps médical. Le volet « IJ » du plan d’économies sur la santé (5,5 milliards d’euros) présenté mi-juillet par François Bayrou – et décliné ensuite par Catherine Vautrin – a été peu apprécié par une partie de la profession qui y voit une approche injuste, culpabilisante pour les prescripteurs et les assurés, et en conteste les arguments sur le fond.

Deux mesures font l’objet de critiques particulièrement vives.

La première concerne le serrage de vis annoncé sur les arrêts longs. Le gouvernement envisage ainsi de « mettre fin aux abus » en la matière, affirmant que « 50 % » des arrêts de plus de 18 mois ne sont pas médicalement justifiés, sur la foi des contrôles exécutés, a redit Catherine Vautrin dans un entretien au Monde. Comme l’avait révélé Le Quotidien dès le 17 juillet, ce chiffre est issu de la synthèse du dernier rapport « charges et produits » de la Cnam, affirmant que « des contrôles médicaux ponctuels » sur les arrêts de plus de 18 mois ont révélé que 54 % d’entre eux n’étaient pas justifiés « avec la possibilité d’une reprise du travail pour le salarié ou d’un passage en invalidité ». La caisse ajoutait que les arrêts de très longue durée sans suivi médical se traduisaient mécaniquement par une forte désinsertion professionnelle.

Côté libéraux, le principal syndicat de généralistes MG France dénonce ce mercredi « une manipulation des chiffres relayée par les ministres » prétendant ainsi qu’un arrêt maladie long sur deux n’aurait pas lieu d’être. « Ce chiffre, repris sans nuance, ne concerne qu’un échantillon ciblé d’arrêts, sélectionnés pour leur contexte particulier, et non l’ensemble des arrêts longs », précise le syndicat. Surtout, parmi les arrêts qualifiés d’inappropriés, beaucoup relèvent en réalité d’une autre prise en charge – invalidité ou reclassement – insiste le syndicat. « Or, ni l’une ni l’autre ne relèvent du médecin généraliste, mais respectivement du médecin-conseil de l’Assurance-maladie et de la médecine du travail, notoirement peu accessibles », tacle MG France.

Autrement dit, en ciblant les praticiens libéraux (« Il y a un sujet sur la prescription de ces arrêts », a insisté Catherine Vautrin au Monde), l’exécutif serait en partie à côté de la plaque. MG France refuse que des déclarations « à l’emporte-pièce », « aussi approximatives et trompeuses jettent le discrédit sur les généralistes et leurs patients. Elles alimentent une défiance injustifiée à l’égard des malades, qui subissent désormais une double peine : celle de la souffrance et celle du soupçon. »

Épuisement professionnel, une cause profonde

S’il existe des abus minoritaires, les syndicats font valoir depuis des années que la dégradation des conditions de travail dans les entreprises, le manque de moyens pour accompagner les patients fragiles, la désorganisation du système de soins (y compris sur la prise en charge de la santé mentale), mais aussi le vieillissement de la population active et l’emploi salarié expliquent structurellement l’évolution des dépenses d’IJ. La Cnam de son côté identifie une part significative de croissance non expliquée (taux de recours, durée) qui justifie des contrôles accrus.

Les libéraux ne sont pas les seuls à contester le recadrage du gouvernement sur les arrêts longs puisque l’inquiétude gagne les organisations de praticiens hospitaliers. « La ministre avance un chiffre de 50 % d’arrêts maladie de longue durée non justifiés, d’où tient-elle cette information ? interpelle ce mercredi Action praticiens hôpital (APH). N’y a-t-il pas une explosion des problèmes de santé mentale et d’épuisement professionnel depuis la mise en œuvre d’une politique de gestion technocratique et déshumanisée des RH, situations exacerbées depuis le Covid ? Et surtout, pourquoi ne pas utiliser les moyens qui sont prévus par la réglementation pour contrôler les arrêts maladie (…) ?  »

15 jours maximum pour un premier arrêt ? « Absurde »…

La deuxième mesure qui divise porte sur la volonté de plafonner « à 15 jours » le tout premier arrêt de travail prescrit en médecine de ville (et à un mois en sortie d’hospitalisation), une annonce ministérielle là encore inspirée par les récentes propositions de la Cnam. Catherine Vautrin assume cette mesure pour assurer un meilleur suivi médical de l’assuré et une réévaluation plus régulière des situations.

Mais là encore, le raisonnement a fait bondir certains confrères. « La ministre Catherine Vautrin ne semble pas savoir que les recommandations HAS pour un certain nombre de pathologies sont à trois semaines ou plus. Et que ce sont ces durées qui sont suggérées sur EspacePro quand on fait un arrêt de travail en ligne », commente, grinçant, sur X (ex-Twitter) le Dr Richard Talbot, trésorier de la Fédération des médecins de France.

Pas en reste, le Syndicat des généralistes, jeunes installés et remplaçants (Reagjir) juge qu’en décidant de plafonner à 15 jours les premiers arrêts prescrits en ville, Catherine Vautrin « indique que c’est encore une fois le prescripteur qui est tenu responsable d’une évolution aux multiples déterminants ». Le syndicat ajoute que cette règle systématique des 15 jours maximum pour un premier arrêt (ou un mois après hospitalisation) risque de devenir « absurde » dans nombre de situations cliniques « entraînant des consultations de réévaluation peu pertinentes voire impossibles ». Et de citer le patient « souffrant d’une tendinite » avec un délai de trois semaines avant de voir le kiné, le « patient opéré revu par le chirurgien à 8 semaines », le patient suivi par plusieurs professionnels, sans compter les généralistes « débordés »… « Les problèmes rencontrés par les prescripteurs et les patients ne sont pas la priorité » de la ministre, s’agace Reagjir.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux médecins s’étonnent ces derniers jours d’une annonce perçue comme déconnectée du terrain.

En attendant de connaître les arbitrages définitifs de l’exécutif à l’automne, dans le cadre du budget 2026 de la Sécurité sociale (PLFSS), la Cnam poursuit de son côté sa stratégie pour endiguer la forte dynamique des dépenses d’IJ maladie (+6,3 % par an en moyenne entre 2019 et 2024, sur une assiette proche de 16 milliards d’euros). L’Assurance-maladie teste dans plusieurs départements le dispositif SOS IJ, qui permet d’accompagner les médecins sur des situations complexes, par exemple en cas de demandes d’arrêts répétitifs. Et le « ciblage » des gros prescripteurs avec mise sous objectifs ou mise sous accord préalable a été réengagé en 2025.


Source : lequotidiendumedecin.fr