L’inquiétude est palpable. Depuis quinze ans, la régulation libérale de la permanence des soins (PDSA) de l’Allier fonctionnait comme un modèle d’autonomie. Sous l’impulsion du Dr Jean-Antoine Rosati, généraliste à Chantelle et président fondateur de l’association départementale des médecins libéraux pour la permanence des soins, les praticiens s’étaient dotés de leur propre logiciel (Sypps) conçu « par et pour les libéraux ».
Ce système, financé chaque année par l’ARS Auvergne Rhône-Alpes, à hauteur d’environ 60 000 euros, permettait aux médecins régulateurs d’assurer les gardes à distance, depuis leurs cabinets ou depuis les locaux de régulation, tout en gérant eux-mêmes leurs data : appels entrants et sortants, effecteurs mobilisés, bilans, et suivi médico-légal des interventions. « On gérait nos appels, nos données, notre organisation. C’était un vrai outil de terrain, pensé par des médecins pour des médecins », explique le Dr Rosati. Mais tout devrait changer le 4 novembre 2025. L’ARS a en effet annoncé la fin du financement de Sypps et la coupure de l’interface avec le logiciel du Samu départemental.
“On risque une désorganisation complète et un danger médico-légal
Dr Jean-Antoine Rosati, généraliste à Chantelle (Allier)
Pour les régulateurs libéraux, la pilule est amère. « On nous demande d’abandonner notre outil pour adopter celui du Samu, Exos. Mais ce logiciel, dans sa version actuelle, ne permet pas les mêmes fonctionnalités. Pas d’agenda, pas de fiche complète pour les effecteurs, moins de traçabilité… On passe d’une Rolls à une Clio », grince le Dr Rosati.
Pour le généraliste, cette décision serait motivée par des raisons budgétaires. « L’ARS nous dit que c’est pour faire des économies. Mais on risque surtout une désorganisation complète et un danger médico-légal », poursuit-il. L’association, qui regroupe une vingtaine de médecins régulateurs et environ 160 effecteurs libéraux pour 350 000 habitants, traite près de 700 appels chaque week-end. « Le 4 novembre, si on ne peut plus réguler, certains confrères arrêteront. Et on ne peut pas être réquisitionnés pour ça », prévient encore le médecin.
Exos, un logiciel plus moderne ?
Du côté de la présidente actuelle de l’association, la Dr Isabelle Domenech, le ton se veut plus apaisé. Si elle reconnaît le rôle historique de l’outil Sypps, elle estime que la transition vers la nouvelle suite logicielle est inévitable et même bénéfique. « Exos est déjà utilisé par les Samu de la région, il a beaucoup évolué et permet désormais la régulation hors site, comme Sypps. Nous l’utilisons déjà dans le cadre du service d’accès aux soins (Sas) et ça fonctionne très bien. ». Le coût de maintenance serait par ailleurs sans commune mesure : 7 000 euros par an contre 60 000 euros pour Sypps.
Face à l’inquiétude, des réunions ont été organisées afin de recueillir les attentes des régulateurs et des effecteurs libéraux. Deux options ont été discutées : conserver le logiciel Sypps, au prix d’un financement autonome et sans lien avec le Samu ; ou adopter l’outil institutionnel Exos, avec accompagnement et sessions de formation prévues fin octobre (45 minutes chacune, en ligne). Selon la Dr Domenech, également trésorière de MG France, les inquiétudes tiennent surtout au changement lui-même, davantage qu’aux fonctionnalités.
Autonomie préservée
Dans une lettre adressée aux médecins régulateurs et effecteurs, le 12 octobre, la présidente de l’association départementale s’emploie à rassurer : « L’ARS et l’association des médecins libéraux de l'Allier pour la permanence des soins [AMLAPS] veilleront à ce que tout soit mis en œuvre pour garantir une continuité optimale de la prise en charge des patients durant les horaires de la PDSA et pour que ni les régulateurs et les effecteurs ne soient mis en difficulté par ces évolutions », peut-on lire. « On garde notre autonomie, mais avec une meilleure coordination entre libéraux et Samu. Le but, ce n’est pas de travailler chacun dans son coin », insiste la Dr Domenech.
Interrogée par Le Quotidien, l’ARS Auvergne Rhône-Alpes confirme qu’avec « la mise en place du service d’accès aux soins se pose la question du passage au même logiciel que le Samu ». « Cette configuration permettrait en effet de mieux assurer la sécurité de la régulation des deux filières, en conformité avec le décret sur les services d’accès aux soins », écrit l’ARS. Et d’ajouter qu’elle n'a « pas vocation à financer deux logiciels différents pour les libéraux au-delà d’une période de transition nécessaire ». Des échanges sont prévus sur le sujet dans les prochains jours. À quelques semaines de la date couperet, la friture sur la ligne libérale demeure.
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