Permanence des soins ambulatoires, service d’accès aux soins, prise en charge des soins non programmés, les praticiens sont sollicités pour assurer pendant et en dehors des horaires d’ouverture de leur cabinet. Comment participent-ils dans un contexte de démographie médicale tendue et quelles évolutions sont attendues pour améliorer l’organisation actuelle. Le Quotidien a interrogé ses lecteurs dans une grande enquête mais également des élus.
« Nous constatons un réinvestissement de la permanence des soins ambulatoires (PDS-A) », affirme le Dr René-Pierre Labarrière, généraliste et spécialiste de ces questions au sein de la section exercice professionnel du Conseil national de l’Ordre des médecins. Et effectivement, le nombre de libéraux installés, retraités, salariés et remplaçants ayant participé à la régulation de PDS-A croît régulièrement depuis 2019, passant de 2 865 à 3 355 en 2022, selon le dernier rapport de l’Ordre publié en 2023. Du côté de l’effection, après une baisse entre 2020 et 2021, le taux de volontariat se stabilise. Près de 38,5 % des médecins susceptibles de prendre une garde ayant participé en 2022. Et « le plus important », selon le praticien, « c’est que les territoires soient couverts à 95 % ». Alors pourquoi la permanence mais aussi la continuité des soins font-elles couler autant d’encre ? Car outre la PDS-A, on parle également du déploiement des services d’accès aux soins (SAS) et de la prise en charge des soins non programmés.
La continuité des soins est bien (voire très bien) assurée pour plus de 60 % des répondants à notre enquête
Dans un contexte de tension sur la démographie médicale, et face à l’augmentation des maladies chroniques, au vieillissement de la population…, la question devient prégnante. « Malgré les difficultés de l’exercice, la surcharge professionnelle, l’épuisement de certains confrères, ils ont encore la capacité, ils arrivent à s’organiser », insiste le Dr Labarrière. Un constat partagé par les lecteurs du Quotidien du Médecin. Dans une enquête menée en ligne ces dernières semaines, si un peu plus de 12 % pensent que la continuité des soins n’est pas bien assurée, près de 38 % des 563 répondants estiment qu’elle est bien assurée et même très bien assurée pour 24,5 %.
Un sujet récurrent sous l’œil des parlementaires
Oui, mais ça ne semble pas suffire. On ne compte plus ces derniers mois les déclarations gouvernementales, les discussions de parlementaires, alertant sur la prise en charge sur les territoires. « Le fait que le sujet soit beaucoup traité au Parlement révèle l’importance du sujet », note le Dr Bernard Jomier, médecin généraliste et sénateur de Paris (groupe SER - socialiste, écologiste et républicain). Jean-François Rousset, chirurgien retraité et député de la 3e circonscription de l’Aveyron (parti Renaissance), observe également que « beaucoup de médecins libéraux sont déjà engagés dans cette permanence des soins », ce qui n’empêche pas certains de ne pas avoir « accès dans l’urgence à un professionnel de santé ». Cela fait partie « des trous dans la raquette », estime-t-il.
Faut-il revenir à l’obligation de gardes, comme l’a mentionné Gabriel Attal en janvier ? Une menace qui inquiète 59 % de nos lecteurs qui sont par ailleurs près de 42 % a participé à la PDS-A ou au SAS. « Je trouve contreproductif de vouloir obliger », alerte le Dr Labarrière qui invite à « parler au cœur » des praticiens. Pour le député Yannick Neuder (7e circonscription de l’Isère, parti Les Républicains), le discours de « la carotte et du bâton » est insupportable. « Bien sûr que la question des gardes se pose mais il faut prendre en compte l’âge des médecins, les difficultés du quotidien… Ne faisons pas payer les difficultés actuelles à nos généralistes qui tiennent le système libéral à bout de bras », insiste le député qui invite à regarder les conséquences d’une garde : « le médecin va annuler une cinquantaine de patients parce qu’il en aura vu trois en nuit profonde ? Il faut regarder le risque pour le médecin le lendemain d’une garde ».
De son côté, le Dr Labarrière rappelle que la permanence des soins est « partie intégrante de nos métiers : les malades doivent réaliser que le docteur est là pour les aider ». La Dr Cécile Angoulvant, généraliste dans la Sarthe, cite par ailleurs les études montrant l’intérêt du médecin traitant et du lien avec son patient pour améliorer la prise en charge, diminuer l’accès aux soins non programmés et les hospitalisations évitables, le recours aux urgences… « La montée en charge des services d’accès aux soins (SAS) et du nombre de plages de rendez-vous s’accompagne d’une augmentation de l’offre de soins en journée, et d’une diminution des demandes en soirée », note le Dr Labarraière. La Dr Angoulvant appelle cependant à faire évoluer l’organisation actuelle pour que « ça ne repose pas toujours sur les mêmes ».
Revoir les horaires
Parmi les évolutions demandées de longue date par le Cnom, une revue des horaires de la PDS-A semble faire l’unanimité. Le député Yannick Neuder se montre également favorable à une modification des horaires, notamment en nuit profonde. « Quand vous allez consulter entre minuit et 5 heures du matin, c’est souvent grave, il faut médicaliser vite et tout de suite ». « J’ai porté le sujet au Sénat en 2017 sur la question du samedi matin, des horaires du soir… Nous n’avons toujours pas avancé sur la question », déplore Bernard Jomier. Dans la mission flash de Braun à l’été 2022, il était prévu de « sécuriser la réponse aux soins non programmés le samedi matin par une organisation formalisée », une mesure « qui n’a pas prouvé son utilité » et pouvant « comporter des effets dissuasifs à terme sur l’activité libérale » en créant une situation « d’entre-deux sur le sujet sensible de la PDS-A élargie au samedi matin », notait l’Igas dans son évaluation du dispositif.
Se posent également les questions des rémunérations. Alors que la majoration des soins non programmés lancée par la mission Braun a été pérennisée, les mesures concernant les valorisations financières arrivent en tête des éléments incitatifs (voir graphe).
Une vigilance pour les jeunes générations
Et la Dr Angoulvant, également enseignante au département de médecine générale d’Angers alerte sur la charge mentale que constitue la continuité des soins pour les généralistes et notamment pour les futurs omnipraticiens : du lundi au vendredi de 8 heures à 20 heures et le samedi matin, « ce n’est plus faisable aujourd’hui. Il faut regarder ce que veut la jeune génération et ce qui les incite à s’installer ». Un effort à faire pour renforcer l’attractivité du métier et de la participation à la permanence et la continuité des soins. Car plus les volontaires seront nombreux, plus la charge sera partagée.
Enquête réalisée en ligne auprès des lecteurs du Quotidien du Médecin entre le 19 février et le 6 mars 2024. Près de 77 % des 563 participants sont généralistes et 21 % d’une autre spécialité. 45 % exercent en libéral en cabinet de groupe ou maison de santé, 30,4 % en libéral isolé, 5 % en activité mixte, 4,3 % en cumul emploi retraite… 65,4 % des répondants sont des hommes. Près de 71 % des participants ont plus de 51 ans (15 % ont entre 31 et 40 ans et 13 % entre 41 et 50 ans).